Ma vie au jardin
Je fis l’apprentissage du retour à la vie normale ; finis les scintillements et autres fioritures, je me retrouvai dans mon plus simple appareil, nu comme au premier jour. Forcément… l’espace d’un instant, dur, dur ! Je compris alors que ce Noël magique, inoubliable, avait été mon premier et serait aussi mon dernier. Pourtant, je n’étais pas triste et je reconnus que, pour mes aiguilles, il était temps de s’aérer ; confinées à l’intérieur, elles commençaient à étouffer sérieusement !
Ginou, Gilbert et Claire avaient décidé de m’installer devant la maison au Nord, face à la rue. À cet endroit-là, j’allais certainement attirer les regards ; c’est pourquoi j’ai immédiatement apprécié leur choix et d’emblée, pris mes aises.
Jamais je ne serais le roi de la forêt, alors je m’engageais à devenir le ROI du JARDIN.
Je n’eus rien à faire sinon grandir, m’étoffer, en un mot, profiter ; ce que je faisais plutôt bien à en croire les commentaires humains. Il faut dire que je ne manquais de rien : exposition privilégiée, bonne terre, arrosage intégré… j’étais comme un coq en pâte !
Mon moral se trouvait également au beau fixe, car, à Mounicot, régnait un sympathique esprit de voisinage. Les gens s’entraidaient volontiers, se retrouvaient autour d’un verre. Je voyais régulièrement Daniel, Christian, Gilles et les autres ; leurs têtes m’étaient devenues familières.
Quant aux enfants des uns et des autres, ils animaient mon quotidien et nous retrouvaient Claire et moi avec enthousiasme. Ces gais lurons s’entendaient comme « larrons en foire », jouant à « 1, 2,3 soleil », à « cache-cache », à « saute-mouton ». Je les entendais rire, se chamailler, se raconter des histoires tout en tripotant mes branches (émoustillées par tant d’intérêt), je salivais en les voyant manger leurs bonbons multicolores.
Moi, le sapin de jardin, j’avais conscience de vivre avec eux des moments privilégiés. Que de secrets partagés ! Combien de jupes ont virevolté autour de moi ! Que de courses-poursuites, d’acrobaties et de chutes aussi ! Nous grandissions ensemble, tranquillement, joyeusement.
Claire prenait de plus en plus d’assurance et affirmait son autorité naturelle. (Sans surprise n’est-ce pas ?) Surnommée « la grande » parce qu’elle était la plus âgée, elle était respectée des autres, mais pas seulement ; les années passant, ils l’admiraient aussi, car elle allait être la première à entrer au collège, au lycée, la première à passer son permis de conduire… et à voler de ses propres ailes. Plus tard, lorsqu’elle reviendrait le soir du travail, elle inonderait le quartier de musique, et les plus jeunes en profiteraient de bon cœur.
En attendant, les saisons s’enchaînaient ; je les aimais toutes sauf une en réalité : l’hiver. Ces mois-là, je m’ennuyais, c’était terrible ! Je sais bien qu’ils étaient souvent ponctués de pluies incessantes et de vents violents, mais en vérité, cela ne m’effrayait pas. Et puis, les souvenirs de mon unique Noël étaient encore tellement précis que mes aiguilles en transpiraient d’envie en imaginant la liesse qui régnait dans les maisons à ce moment-là. En revanche, j’avais une attirance naturelle pour le Printemps, symbole de renaissance, avec ses giboulées bienfaitrices. Tout ce qui me constituait se réveillait et se régénérait.