Mes débuts de star
Dix années s’écoulèrent…
Un soir d’automne, alors que Daniel, venu passer un moment chez nous, discutait avec Gilbert sur le pas de la porte, je compris vite que je devenais le sujet de leur conversation.
— C’est fou comme ton sapin a grandi, Gilbert ! Quel âge a-t-il au juste à présent ?
— Tu sais, Daniel, si ma fille était là, elle te rappellerait haut et fort que ce n’est pas MON sapin, mais LE SİEN !
Cette remarque fit sourire son voisin, il connaissait le tempérament de Claire.
— Figure-toi, poursuivit Gilbert, qu’il a dix ans cette année, bel anniversaire, non ? L’autre jour, par curiosité je l’ai mesuré, il fait sept mètres de haut.
— Ah oui ?... Ça ne me surprend pas, poursuivit Daniel, songeur.
Durant une poignée de secondes, tous deux eurent les yeux rivés sur moi. Puis…
— Une idée vient de me traverser l’esprit, Gilbert : et si on le décorait, ce sapin, à Noël ? Ce serait une jolie façon de lui fêter son dixième anniversaire… sans oublier qu’il a toutes les qualités : une belle taille, des formes harmonieuses, il est bien centré dans le quartier… Ce serait… le sapin de Mounicot. Tu en penses quoi ?
Passant tour à tour de son ami à moi, Gilbert était bouche bée. Moi, les branches faillirent m’en tomber !
— Dis donc, c’est une idée for-mi-dable !! Je regrette juste de ne pas avoir été le premier à y penser.
— Je suis sûr que Gilles et Christian suivraient les yeux fermés ! ajouta Daniel, déjà tout entier dans le projet.
— Oh ça, je n’me fais pas de souci. Toujours prêts pour la rigolade ces deux-là ! Tu leur en parles ? C’est ton idée, à toi l’honneur !
Et voilà comment se prennent les grandes décisions !!
C’est ainsi que commença une aventure collective fabuleuse entre un sapin de jardin et des hommes.
Comme s’en était douté Gilbert, leurs deux compères acceptèrent sans hésitation la proposition de Daniel. Tous les quatre avaient un enthousiasme débordant et communicatif. Je les voyais faire, me tournant autour, se penchant, s’éloignant, palabrant, choisissant…
Vous voulez savoir dans quel état j’étais ? Eh bien, je ressentais la même excitation qu’eux ! Au cœur de l’hiver, j’avoue qu’un peu d’animation n’était pas pour me déplaire. Je n’éprouvais aucune inquiétude. Au contraire… Une totale confiance ! Je savais que ces hommes-là avaient à cœur de s’appliquer pour moi et qu’ensemble, ils me feraient briller de mille feux, non plus dans l’intimité d’un foyer, mais aux yeux de tous !
La STAR, j’allais devenir une STAR !!
Bon, avant d’en arriver là, ils avaient du pain sur la planche, comme on dit, car ils ne possédaient aucun matériel adapté !
Daniel, d’un naturel terre-à-terre, venait d’inventer un slogan qu’il répéterait inlassablement, la règle d’ORR :
Organisation et Réflexion, les secrets d’une belle Réalisation.
Croyez-moi, il était écouté ! Ils avaient soif de réussir le défi qu’ils s’étaient lancé ; le jeu en valait un sapin heureux tout de même ! Les plus jeunes trépignaient d’impatience autour d’eux, buvant leurs paroles et cherchant à tout prix à participer, les yeux pleins d’envie et les mains prêtes à rendre service. Je vis les hommes tenter de les repousser puis finalement, grands seigneurs, les associer à eux. Quelle joie, quelle fierté pour les enfants ! Ils se réjouissaient d’exécuter pour leurs pères des petites tâches bien utiles.
Ils travaillèrent d’arrache-pied pour être prêts, demandant à leurs connaissances à droite et à gauche, qui des guirlandes, qui des ampoules et conçurent eux-mêmes l’étoile qui serait mienne en la découpant dans de la tôle.
Certes, le matériel s’avérait vétuste et rudimentaire, mais leur détermination, leur volonté et leur engouement me rendaient fier. Grâce à l’engin télescopique assez sommaire de Gilbert, Gilles, le plus téméraire des compères, mais aussi le plus âgé, grimpa m’habiller de lumière, soucieux de le faire avec goût. À sept mètres de haut, SANS PRÉCAUTION, c’était très COURAGEUX !
Le résultat fut à la hauteur de leurs espérances, j’étais SPLENDİDE !
À partir du 1er décembre, on ne vit que moi ! Si vous saviez comme Gilbert, Daniel, Gilles et Christian étaient heureux ! Comme des mômes, riant, se tapant sur l’épaule, se congratulant… Cette belle complicité toucha leurs épouses plus qu’elles ne l’auraient pensé. Quant à Claire et ses amis, ils étaient béats d’admiration devant moi et reconnaissants à l’égard des adultes pour ce cadeau... Exceptionnel et Merveilleux ! Radieux, les yeux remplis d’étoiles, ils entonnèrent en chœur mon hymne préféré, Mon beau sapin, provoquant un tonnerre d’applaudissements. Mes aiguilles en tremblèrent d’émoi.
Nous vécûmes des fêtes MAGIQUES !
Désormais, d’autres Noëls suivraient, bien plus beaux sans doute ; pourtant, celui-ci eut un goût particulier par l’émotion qu’il avait suscitée ; ce fut une première pour nous tous, elle ne serait pas la dernière. Lors de mon déshabillage, après un bon repas concocté par Ginou, je reçus les honneurs collectifs ; c’est ainsi qu’afin de sceller cette amitié unique avec un sapin, cette joyeuse troupe instaura ce rituel empreint de cérémonie, celui de me dire au revoir et de me donner rendez-vous pour le Noël suivant. Ils devinèrent qu’en silence (au vu de ma condition d’arbre), j’en faisais tout autant.