Mystère à Mounicot
Alors que mes préparatifs s’achevaient puisque nous approchions du premier jour de décembre, il se produisit un fait aussi bizarre qu’inattendu. Le jour pointait à peine un matin quand j’aperçus deux hommes, portant un objet encombrant, qui se dirigeaient droit chez nous. Que nous voulaient-ils ? À cette heure, ce n’était pas une visite ; d’ailleurs, les deux individus cherchaient à se faire discrets, épiant la moindre présence susceptible de les découvrir… à part moi dont ils n’ignoraient pas, les malins, que j’étais et resterais un témoin muet.
Le comble c’est que j’étais visé. Je les entendis chuchoter, les vis déposer contre moi leur fardeau mystère, face aux fenêtres de Gilbert et Ginou, puis filer se cacher à l’angle de la maison. Que se passait-il ? Que signifiait tout cela ?
J’en étais là de mes questions lorsque les premiers volets furent poussés par une Ginou encore tout ébouriffée et ensommeillée. Soudain, son geste s’interrompit. Je la vis bouche ouverte, les yeux écarquillés, les bras suspendus… comme hypnotisée ! Après une poignée de secondes, proche d’une éternité, elle tourna lentement la tête sans oser bouger davantage et, presque dans un murmure, appela son mari.
— Gilbert, viens voir… vite, dépêche-toi ! s’impatientait-elle
Gilbert tardait à venir, traînait des pieds ; bref, il était dérangé de bon matin alors qu’il prenait tranquillement son café au lait en écoutant les nouvelles à la radio. D’ailleurs, il venait d’apprendre qu’il s’en était passé une bonne cette nuit dans le chef-lieu du département ! Un VOL de PÈRE-NOËL !!!! İNİMAGİNABLE ! Qui donc peut avoir l’idée de voler un Père Noël ? Ce monde est FOU !!!
Tout en bougonnant, il rejoignit enfin sa femme qui n’en pouvait plus d’attendre ; mais quand il vit la fenêtre grande ouverte, il explosa :
— Tu es tombée sur la tête ce matin, ma pauvre Ginou ! Je te rappelle qu’on est en décembre et qu’il gèle dehors !!
Puis, voyant sa mine stupéfaite :
— Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as vu un ours ou quoi ?
À ce moment précis, son regard se porta machinalement à l’extérieur et là… son sang le quitta, il se décomposa. Il bredouilla des paroles que même Ginou ne comprit pas ; ahuri, il regarda ce qui se tenait devant ses yeux et chercha à se ressaisir un peu afin de répéter à sa femme ce qu’il venait d’entendre à la radio. Impossible ! Ginou n’en crut pas ses oreilles. Ils fermèrent la fenêtre et décidèrent d’aller voir de plus près : ils ne parvenaient pas à relier cette information avec ce qui se trouvait dans LEUR jardin !!
Eh oui, vous avez compris ! Le fardeau, soutenu par mes branches et apporté par les deux individus un peu plus tôt, n’était autre qu’un Père Noël ! En bois peint, grandeur nature… de toute beauté !
Deux paires d’yeux scrutaient avidement la sortie du couple. Moi, déjà rassuré, j’observais avec délectation tous les personnages de cette scène tragi-comique.
Le dénouement était proche.
Une fois dehors, il leur fallut constater que ce Père Noël était bien réel et qu’il se trouvait bien chez EUX, dans LEUR jardin. Inquiets et sonnés, ils regardèrent à droite, à gauche, Gilbert avança jusqu’à son portillon, revint sur ses pas, bredouille (mais qu’espérait-il trouver ?) quand un détail l’intrigua, juste un mouvement, là, à gauche, au coin de la maison… Il s’approcha…
Tout à coup :
— RROOOhh les bandits !! s’exclama-t-il en se tenant la tête. Approche Ginou, viens voir qui nous joue un tour pendable !
Les deux compères-farceurs sortirent de leur cachette, pliés de rire. Il s’agissait de Serge, un autre de leurs voisins, et Didier son fils.
En les découvrant, Ginou, pas vraiment soulagée, les gronda franchement :
— Vous êtes fous, vous nous avez fait une de ces peurs ! Il va me falloir la journée pour m’en remettre !
Ils vinrent l’embrasser pour se faire pardonner.
— Je ne pouvais pas rêver meilleur scénario, lui répondit Serge. Comme effet de surprise, c’est réussi ! Allez, Ginou, c’est plutôt drôle, non ? Dis-moi, il est pas beau mon Père Noël ? Je suis plutôt fier du résultat, moi ; il mérite les heures que j’ai passées dessus et mon inquiétude pour le finir à temps !
À ces mots, Gilbert et Ginou, bouche bée, se regardèrent, comprenant ensemble et aussitôt leur quiproquo : ce n’était évidemment pas le Père Noël volé... OUF !!!
Moi qui les connaissais bien, je lus dans leurs yeux combien ils étaient à la fois rassurés et gênés de s’être ainsi trompés ! Je dirais pour leur défense que la coïncidence était vraiment troublante. Pour la première fois de ma vie d’arbre, j’avais assisté à un vaudeville… aahh les humains !!
Très élégamment, le couple se ressaisit, félicitant chaleureusement Serge pour son œuvre et… moi aussi, car ils me le présentèrent. WOUAHH ! Tout y était, jusqu’aux moindres détails, plus vrai que nature ! J’acceptai volontiers la présence à mes côtés du vieux bonhomme emblématique. Serge leur expliqua qu’il devait son inspiration à ma grâce et ma beauté, qu’il regorgeait d’idées de mise en scène autour de moi et souhaitait donc intégrer l’équipe. Vous vous doutez bien que nous fûmes tous enchantés !
Lorsque père et fils repartirent, j’eus droit, de la part de Serge, à une attention inattendue et terriblement sympathique ; il me fit un clin d’œil complice assorti d’un signe de la main plus qu’amical.