Cauchemar
Pour mon plus grand plaisir, la petite bande d’amis s’agrandissait régulièrement. En effet, de plus en plus souvent, quelqu’un du voisinage, séduit par la fougue ambiante, demandait à faire partie de mon équipe.
— Le sapin reçoit TOUT le monde ! aimait à répéter Gilbert.
Chacun avait un rôle déterminé, validé par les réunions de quartier que j’appelais pour m’amuser « Conseil des Sages » ; les uns calculaient et dirigeaient en raison de leurs compétences naturelles, les autres aidaient dans toutes sortes de travaux. Mais tous avaient leur importance dans cette entreprise commune y compris les jeunes, présents pendant leur temps libre, toujours prêts à se rendre utiles.
Tout se passait très bien, trop bien sans doute puisque malheureusement, le danger guettait, impatient de se montrer, avide de pouvoir et de destruction.
Aux portes de la St Sylvestre, une nuit (les catastrophes se produisent souvent la nuit, vous avez remarqué ?), une nuit donc, la BÊTE effroyable surgit, sous les traits d’un ouragan. Martin, fut-il nommé. Tempête colossale et monstrueuse, sa rouge colère était bien décidée à semer la terreur et tout ravager sur son passage. Pour la première fois de ma vie, j’étais terrifié et j’avais raison de l’être ! Elle rugit longtemps, si longtemps que je me demandais qui pourrait lui résister. Je me sentais fébrile, j’étais presque un objet de pacotille ou une marionnette entre ses bras puissants et gigantesques, je me sentais comme pris dans des tentacules qui me secouaient, me secouaient dans tous les sens.
Adieu mon étoile, mes guirlandes, adieu l’ambiance festive, les enfants me dévorant des yeux… je me retrouvai dans un piteux état, heureusement sans fractures, mais couché à 45 degrés. Je souffrais, croyez-moi ; de douleur, de rage, de dépit, mais certainement pas de m’être résigné ; je m’étais battu comme un sapin des forêts (peut-être n’était-ce qu’une légende ?)
J’appris par la suite que partout ce fut un Désastre, les dégâts s’avéraient considérables ! C’était, paraît-il, la tempête la plus dévastatrice depuis plusieurs siècles ; en tout cas, elle fut celle du siècle !
Mes petits jeunes, tristes de me voir dans cet état-là, venaient me murmurer des paroles d’encouragement tout en caressant mon écorce. C’était d’une douceur !
Les hommes se mobilisèrent à mon chevet aussi vite qu’ils purent pour me soigner et me réconforter. Ils me redressèrent et, grâce à leur ingéniosité, me fabriquèrent des prothèses sur mesure pour consolider le pied et le tronc.
— À présent, te voilà plus fort que nature ! me lancèrent-ils satisfaits du résultat, après m’avoir scruté.
Ouf, j’étais sauvé ! J’avais craint de rester de guingois.
La vie reprit son cours, il le fallait bien ! Cependant, la désagréable sensation d’avoir reçu, au réveil, un douloureux et violent uppercut resta longtemps ancré dans tous les esprits. Le travail de réparation et d’aide aux sinistrés ne manqua pas dans les semaines et les mois qui suivirent.