25

 

Cette buse d’Arthur avait oublié une fois de plus de fermer la porte à clé. Il mit le verrou, fila à la salle de bains, se passa le visage à l’eau.

Antonia apparut en arrière-plan dans le miroir. Elle souriait. Il réfréna une envie aiguë de la gifler.

– Fais comme chez toi.

– Ton appartement sera intéressant, une fois terminé.

– Qu’est-ce que je peux pour ton service ? Te tringler pendant que Quasimodo filmera le tout avant de balancer la vidéo sur le net ?

– Honoré n’aime pas le cinéma.

– Toi si, apparemment.

– On a eu une mauvaise journée ?

Il lui fit signe de dégager. Elle s’écarta pour le laisser sortir. Il entrouvrit la baie, constata que la lune était dans son premier quartier. Antonia et son sourire se reflétèrent sur la vitre. Elle se colla contre son dos. Palpa son torse, son ventre.

– Qu’est-ce que tu fais au juste ?

– Je cherche un micro éventuel.

– À quoi bon ? Tu ne fais jamais de révélations.

Elle alla faire la chatte sur le canapé, prit des poses comme dans la Bentley.

– Tu sais ce qui serait bien ?

Il se passa une main lasse dans les cheveux.

– J’adore quand tu fais ça, Sacha. On a envie de te consoler.

– Merci, ça ira.

– Ce qui serait bien, c’est que tu sois destitué de cette fichue enquête. On pourrait enfin faire l’amour sans que ça pose problème.

Mars avait raison. Antonia, le maillon faible. Mais il fallait de la cruauté. Il n’en avait pas plus envie que de s’ouvrir le ventre avec un couteau à beurre. Je n’ai pas d’autre plan. On n’a rien à perdre, Sacha.

– C’est parce que tu ne peux plus avoir d’enfant que tu es avec lui ? Ou parce que tu sors de nulle part. Ce vieux pourri va te protéger jusqu’à son dernier souffle. Fin de l’histoire ?

Elle avait cillé. Enfin. Et il savait que dans ce moment précis, si elle avait pu l’abattre, elle l’aurait fait. Ses yeux incandescents. Sa lèvre inférieure tordue.

– Tu es belle comme un sarcophage, on te l’a déjà dit ?

– Et toi, tu es une coquille vide.

C’était une voix de colère pure. Une voix de lances acérées, tendues vers le ciel.

– Amuse-toi, Antonia. Amuse-toi avec moi si c’est tout ce qui te reste pour t’envoyer en l’air.

– Tu refais ton décor mais il n’y a personne dedans.

– C’est peut-être parce que, contrairement à toi, je n’aime pas les reliques du passé.

Elle se redressa d’un bond.

– Il y a de la musique ici ? Hein ? Ou alors tu fais partie de ces gens qui n’aiment pas la musique. Qui n’aiment que leur boulot.

Elle était en rage à présent. Il lui semblait que ses cicatrices dissimulées remontaient de son ventre comme une armée de ronces pour venir salir son visage. Il n’aimait pas ce qu’il avait déclenché.

Elle s’attaquait à un carton de CD, y semait la panique. Elle trouva ce qu’elle cherchait, glissa sa prise dans le lecteur de la chaîne stéréo.

La voix de R. Kelly. Du R’n’B sexy à mort.

Antonia dansait déjà.

Kelly invitait sa petite amie à une cession de sexe ininterrompue. Son patron était prévenu : elle ne viendrait pas travailler aujourd’hui. Il lui suggérait de filer chez lui. Il fallait qu’elle passe la tenue achetée à son intention et le rejoigne dans le lit où il l’attendait depuis des heures, savourant son attente.

Antonia dansait avec plus de conviction.

I want your echo, echo, echoooo…

Évidemment cette musique lui allait à ravir. Elle se débarrassa de son pull et le balança contre la baie vitrée. Sacha allait la saisir par le bras d’une seconde à l’autre, lui dire qu’il avait déjà une strip-teaseuse dans sa vie et que c’était bien suffisant.

Sex in the morning, sex all day…

La douleur. Pique dans le cou. Noir assommant. Tout s’arrête là ? Pourquoi pas… j’ai assez donné dans le fond…

 

Il dormait à ses côtés, dans le même sarcophage, depuis cinq mille ans. Antonia ne lui avait rien confié, il avait percé seul le secret des baumes mortuaires de l’Égypte ancienne. Une dose de térébenthine, deux doses de white-spirit…

Sacha ouvrit les yeux sur un plafond blanc mais irrégulier. Quelqu’un avait oublié de passer la deuxième couche. Une sonnerie énervée agaçait le monde.

Il mit quelques secondes à comprendre qu’il était allongé sur son lit, torse nu, le cerveau chargé de grenaille en fusion. Il frissonnait. La fenêtre était grande ouverte sur un matin rose sale. Et toujours cette sonnerie, scie à neurones, scie rouillée. Il se redressa sur un coude, eut le temps de se pencher pour vomir sur le parquet. Vit une traînée rougeâtre.

Ses draps étaient maculés de sang.

Son ventre, son jean étaient maculés de sang.

Il tâta son corps. Intact. Son cou était enflé, il palpa une trace de piqûre. Quitta sa chambre à reculons. Tour de l’appartement vide, il enfila sa veste à même la peau. La sonnerie toujours. La porte d’entrée. Arthur ?

Il ouvrit à une escouade de flics, reconnut le visage de Seguelas, un lieutenant de la BAC, la Brigade de nuit. Il voyait son buste et son visage couverts de sang, écarquillait les yeux.

– Qu’est-ce qui se passe, Duguin ?

– C’est toi qui vas me le dire, Seguelas.

– On nous a appelés…

– Qui ça ?

– Un anonyme. Max va te passer les menottes. C’est la procédure, ne m’en veux pas, mon pote, hein, d’accord ?

– Mais tu dérailles ou quoi !

Le dénommé Max le plaquait déjà contre le mur et le menottait. Il les entendit cavaler dans l’appartement. Bientôt, ils débouleraient dans la chambre, verraient les draps ensanglantés.

Tu m’as piégé comme un rat, Antonia.