Chapitre 5
Une visite à Louisbourg
Aujourd’hui, la famille Chiasson a décidé d’emmener les Terre-Neuviens à Louisbourg.
– Le plus beau site historique du Canada, annonce Jules, rien que sur les Français en plus. Tu vas voir, Elvis…
Elvis a, en effet, bien hâte. Il a déjà entendu parler de la forteresse de Louisbourg, il a même vu à la bibliothèque de l’école SainteAnne un dépliant publicitaire où figurent deux soldats en costume d’époque devant une grande porte.
– En voiture ! crie Géraldine.
Tout le monde se précipite. Une fois par an, les Chiasson visitent le site ; c’est l’événement de leur été. Il y a toujours quelque chose de nouveau à voir… Et avant de rentrer à Chéticamp – c’est la tradition –, Géraldine achète chez le boulanger de Louisbourg un gros pain de blé noir.
Lorsqu’ils arrivent au centre d’interprétation, ils doivent laisser les voitures et prendre l’autobus.
– Des autos autour du site, ça ferait pas ancien, explique Jules.
En attendant l’arrivée du bus, Elvis regarde d’un air distrait l’exposition permanente. Il a hâte de visiter Louisbourg en personne.
– Elvis, v’là l’autobus. Vite !
Au moment de passer la porte qui donne accès au site, Elvis aperçoit les deux soldats – ceux du dépliant. Il n’en revient pas, surtout quand il découvre, au loin, la forteresse puis, plus près de lui, les quais, les maisons, les ruelles pavées : « une ville » aux yeux du garçon du petit village de la Grand’Terre.
– Regarde, s’écrie Anne, regarde le quai. Il est en pierre, pas en bois comme celui de CapSaint-Georges…
– Regarde les maisons, Anne, réplique Elvis, émerveillé. Elles sont en pierre aussi. Quelles belles couleurs !
Même les pavés étincellent au soleil. À bien y regarder, Elvis se rend compte que ce sont des galets, les mêmes que dans la péninsule de Port-au-Port.
Les Chiasson ont bien du mal à faire avancer les deux petits Terre-Neuviens pour qu’ils entrent à l’intérieur de la forteresse. Il y a tellement de choses à ne pas manquer : les habitations meublées comme dans l’ancien temps, la chapelle, les logements pour les soldats…
Justement, un des soldats à l’intérieur de la forteresse remarque le regard ébloui d’Elvis et s’approche. En plus d’y jouer un rôle durant l’été, les figurants de Parcs Canada connaissent bien l’histoire du site et ils ont pour mission de renseigner les touristes.
– C’est quelque chose, hein ?
– J’aurais jamais pensé que tout ça aurait survécu en si bon état, commente Elvis qui se souvient de l’absence de ruines sur l’île Rouge.
Le soldat-interprète éclate de rire.
– Survivre ! Non. Ici, il y a cinquante ans, il n’y avait rien. Tout ce que tu vois autour, c’est tout reconstruit : du vieux neuf, si tu préfères. À part quelques tas de cailloux, il n’y avait plus rien du tout...
– Comment ? C’est pas possible…
Le guide le conduit alors dans une pièce où sont illustrées les différentes phases des travaux de recherche et de reconstitution qui ont permis de faire renaître de toutes pièces la forteresse et ses dépendances.
– Y avait rien du tout, vraiment ?
– Rien ! Les chercheurs ont trouvé les emplacements, ils ont dit aux archéologues où faire des fouilles, et voilà le résultat !
Fasciné, Elvis examine les vieilles cartes et les photos des différentes étapes des travaux, et lit avec soin les explications sur les fouilles, accompagnées des commentaires des scientifiques et des étudiants qui ont y travaillé pendant plusieurs étés. « Si c’est comme ça, tout est encore possible », se dit-il en souriant.
Après tout, la forteresse de Louisbourg date des années 1700, « plus de cent ans avant que le premier Bozec arrive à l’île Rouge ! » Et puis, cent ans, c’est aussi le temps qui sépare Elvis de son ancêtre. Vue de cette façon, l’histoire présente un intérêt qu’elle n’avait jamais eu pour Elvis dans la classe de mademoiselle Félix…
– Elvis, on continue, lui crie son cousin Jules.
– Allez-y. Je vais vous rattraper.
Elvis a encore bien des questions pour son guide. Comment on commence des fouilles ? Comment on creuse ? Et avec quoi ? Comment on préserve les choses qu’on trouve dans la terre ?
Le guide explique de son mieux. C’est l’aspect de son travail qu’il préfère : faire apprécier l’histoire aux jeunes, et « celui-là, c’est un fanatique ».
– Avant de partir, passe donc à la boutique. Ils ont toutes sortes de livres pour les jeunes, sur l’histoire, l’archéologie… T’apprendras plus de cette façon.
À regret, Elvis se résigne à aller retrouver le reste de la famille. Pendant que Géraldine s’arrête pour acheter du pain, les autres passent à la boutique de souvenirs. Anne achète quelques cartes postales, Adrienne une jolie lampe-tempête en étain.
– Une petite folie qui pourra toujours servir, explique-t-elle à Géraldine.
– Parfois, l’hiver, on a des pannes d’électricité, ajoute Anne.
Elvis trouve du premier coup d’œil le coin des livres et n’en bouge plus. Au bout d’un moment, son choix fait, il sort discrètement son argent de poche et compte tous ses sous avant de passer à la caisse.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Un livre. En français, ajoute-t-il.
C’est tout ce qu’il dit, et comme sa mère lit mal le français, elle n’en demande pas plus.
Trop vite, les quinze jours passent, puis il est temps de repartir. Cette fois, Adrienne, Elvis et Anne s’en retournent seuls à North Sydney. Les Chiasson les auraient bien accompagnés, mais Adrienne n’a pas voulu.
– Maintenant on connaît le chemin, dit Elvis qui se charge souvent de parler français à la place de sa mère. Et puis, ça fait cher d’essence.
Les deux cousines s’embrassent. Géraldine annonce que l’été prochain, c’est eux qui iront à la Grand’Terre.
– On n’a jamais vu Terre-Neuve ; ce serait le temps.
Jules et Elvis sont ravis. En quinze jours, ils sont devenus bons copains.
– Bon voyage ! Conduisez prudemment.
Déjà assis dans l’auto, Elvis s’impatiente. Autant il avait envie de quitter la Grand’Terre il y a deux semaines, autant il a envie d’y retourner. Le plus vite possible. Il y a beaucoup à faire.