Chapitre 8
Des pipes en terre
Pendant plusieurs jours, les trois compères retournent à l’île Rouge, parfois le matin, parfois l’après-midi, de façon à ne pas trop se faire remarquer.
– Il serait peut-être temps de dire ce qu’on fait, Elvis ? À maman au moins…
– Non, pas question. Imagine qu’on trouve rien. On aurait l’air fin, tout le monde se moquerait de nous autres.
Ce serait pire que tout. Elvis se fait déjà assez taquiner avec son prénom, il ne voudrait pas qu’en plus ses copains de l’école l’appellent l’archéologue raté. D’ailleurs, pour tromper tout le monde, Elvis fait des efforts pour jouer un peu avec les copains. Il fait du vélo avec les uns, joue au basket-ball avec les autres dans la cour de l’école. Heureusement, on ne lui pose pas trop de questions sur le reste de ses activités. La majorité des garçons qu’il connaît vivent à l’autre bout du village et ne se sont pas rendu compte de ses allées et venues.
Aujourd’hui, Elvis, Anne et leur compagnon d’aventure s’arrangent pour partir dès le matin.
– Give pas up, conseille monsieur Lecointre qui mélange de plus en plus d’anglais à son français à mesure que les travaux avancent.
– Pas de danger ! réplique Elvis en souriant. On a trouvé le puits, le reste va suivre.
Anne et Elvis sourient. Monsieur Lecointre est vraiment formidable. Depuis le début de leur aventure, il ne les a pas laissés tomber une seule fois. Comme Elvis, le vieux monsieur prend place à l’intérieur du carré avec sa truelle, sa brosse et sa pelle à poussière dans laquelle il pousse la terre qu’il enlève du sol. En dehors du carré, Anne passe la terre dans un tamis pour s’assurer que rien ne leur échappe.
– C’est moins fatigant, a soutenu Elvis qui craint que sa sœur ne les abandonne et qu’elle n’aille tout raconter. « Déjà que maman trouve que, le soir, elle est épuisée. Elle a de la misère à garder les yeux ouverts pour manger son souper… »
On travaille en silence. De temps en temps, on entend le cri d’un goéland, le bruit strident d’une scie à chaîne qui vient de la Grand’Terre, où quelqu’un débite du bois de chauffage, et puis, à intervalles réguliers, le grincement de la truelle qui frotte sur de petits cailloux.
Tout à coup, les trois chercheurs entendent un bruit insolite : la truelle d’Elvis a frappé quelque chose de bizarre… Ce n’est pas un caillou, ni un galet…
– Regardez, regardez ! s’écrie-t-il, tout excité.
Anne abandonne son tamis et ses seaux de terre, tandis qu’Elvis prend sa brosse et commence à nettoyer délicatement tout autour d’un objet blanchâtre.
– Une pipe en terre !
– I guess que oui, constate monsieur Lecointre. C’est excitant, c’est vraiment excitant !
Elvis n’en peut plus de joie. Malgré sa hâte, avant de l’enlever du sol, il indique l’emplacement de la pipe, leur première trouvaille, sur le petit quadrillage tracé par Anne. Ensuite, avec mille précautions, il prend l’objet dans sa main. Cette petite pipe a peut-être appartenu à son ancêtre Bozec, pourquoi pas ? Il lui semble que c’est toute l’histoire de son village qu’il tient dans sa main.
Il passe l’objet à Anne qui le dépose dans un petit sac en plastique, comme lui a expliqué son frère. Elvis y appose une étiquette sur laquelle on peut lire : 21 août 2000, île Rouge, site de la boulangerie, pipe en terre.
Le travail reprend, avec enthousiasme cette fois. Elvis croit que s’ils ont trouvé la pipe à cette profondeur-là, c’est qu’ils sont rendus à la couche de terre qui correspond au passage des Français et qu’il y a sûrement d’autres objets à trouver. Il a raison.
Dans le courant de la matinée, ils mettent à jour d’autres pipes. « Autrefois, les pipes cassaient tout le temps, raconte Elvis. Alors, il fallait les changer souvent. » C’est ce que lui a révélé le soldat de Louisbourg et ce qu’il répète à sa sœur qui se demande bien pourquoi il y a tant de pipes dans le sol.
– C’est un peu comme les mégots de cigarettes aujourd’hui.
Plus tard, le père « I guess que oui » fait une autre découverte intéressante : quelques briques, certaines noircies par la fumée.
– On est sans doute à l’emplacement du four, conclut Elvis.
Après quelques minutes en effet, ils découvrent des traces de suie, des morceaux de bois mal brûlés. Elvis a du mal à suivre : il faut dessiner tout ça, bien noter l’emplacement et étiqueter chaque morceau avec soin.
« Mais que faire de tous ces objets historiques ? » pense Elvis. Il décide de les ramener à la Grand’Terre et de les montrer au directeur du centre communautaire. « Lui, il saura quoi faire. »
Avant de quitter l’île, monsieur Lecointre et Elvis étendent une toile imperméable sur le carré de fouilles. Ils déposent des pierres et les seaux pleins de terre par-dessus pour qu’elle ne s’envole pas au vent.
– On reviendra back finir la job, rappelle le père « I guess que oui », un peu déçu de voir l’aventure secrète tirer à sa fin.
Ce matin, de bonne heure, Elvis enfourche son vélo pour se rendre au centre scolaire et communautaire Sainte-Anne. Dans son sac à dos se trouvent tous les trésors découverts hier. Monsieur Cormier, qui dirige la section communautaire du centre, est plutôt surpris de trouver Elvis sur les lieux dès son arrivée au centre.
– Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? lui demande-t-il.
– J’aurais quelque chose à vous montrer…
– Montre donc.
Elvis ouvre le sac et en sort les diverses pochettes en plastique.
– Qu’est-ce que c’est ?
Elvis raconte tout : l’idée de faire des fouilles à l’île Rouge, le voyage à Louisbourg, le Manuel du parfait archéologue. l’assistance de monsieur Lecointre… Le directeur est un peu étourdi par tous ces détails.
– Vous avez trouvé ça sur l’île Rouge ?
s’étonne-t-il. Mais où ?
– Là où y avait la boulangerie autrefois, explique Elvis qui sort alors sa carte et le relevé du carré de fouilles.
– Mais, dis donc, t’as travaillé comme un professionnel !
– Pas rien que moi, précise Elvis, bon joueur. Anne et monsieur Lecointre m’ont beaucoup aidé.
– Félicitations ! Laisse ces objets ici, si tu veux bien. On va les mettre à l’abri dans notre musée. Là, au moins, on sait qu’il ne leur arrivera rien. Pour le reste, on va faire des copies de ta carte et de tes relevés, parce que j’ai une petite idée…