Préface à la 3e edition
Professeur Marc Gentilini
Professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière Paris VI
Président honoraire de l’Académie nationale de médecine et de la Croix-Rouge française
L’
Histoire de la médecine est celle des Hommes. Celle de leur génie à soigner, soulager, guérir. Au-delà, c’est la quête de la survie, de la jeunesse éternelle, voire de l’immortalité.
L’inscription de cette discipline, dans le cursus des études médicales, est une avancée. Elle complète, par son apport culturel et scientifique, la formation du futur médecin en initiant ou en développant son ouverture au monde dans le temps et dans l’espace et en lui permettant d’appréhender les mécanismes rationnels qui ont fait passer l’Humanité de l’obscurantisme à la lumière. Mais notre connaissance reste fragile, relative, perfectible. Elle incite le clinicien à l’humilité, le chercheur à la modestie.
Il y aura bientôt 30 ans, paraissait un livre rédigé par un journaliste médical dont le titre était « Plus de progrès en 40 ans qu’en 40 siècles », mettant l’accent sur la révolution spectaculaire accomplie entre 1940 et 1980. La maîtrise des maladies infectieuses paraissait acquise : Pasteur et les vaccinations, Flemming et les antibiotiques, Vaksmann et les autres, avaient vaincu septicémies et tuberculose. Qui n’a connu les affres de la variole, du croup et de la phtisie ne peut comprendre la différence entre les conditions de vie d’un enfant ou d’un adulte au début du XXe siècle et celles du XXIe avec ses traitements et vaccinations efficaces contre les maladies létales ou invalidantes. En 1980, dans un climat de triomphalisme médical, les maladies transmissibles ne devaient plus faire parler d’elles ! Or, quelques mois plus tard, soudainement, émergeait un syndrome inconnu lié à une immunodéficience acquise, le Sida, qui en 25 ans a emporté 25 millions d’êtres humains… Ce drame, suivi ou accompagné d’une irruption de nouvelles maladies hémorragiques, d’affections virales tropicales, susceptibles de se mondialiser, fit ressurgir les peurs d’antan, irrationnelles mais légitimes, qu’engendraient la peste ou le choléra. Et même si nous avons heureusement échappé aux désastres promis ces dernières années au décours de l’encéphalopathie spongiforme, du SRAS, des grippes aviaire, porcine ou autres, l’espèce humaine reste menacée. Le combat pour le progrès continue.
Mais, actuellement, cette bataille est avant tout celle de la lutte contre l’inégalité des chances dans le domaine sanitaire. Les disparités qui frappent notre monde, du Nord au Sud, et que renforcent les mesures protectrices des riches face à la détresse des pauvres, constituent un indicateur de la grande inégalité régnant sur notre planète. Cette situation est nouvelle. Autrefois, pauvres et riches, devant l’inefficacité de la thérapeutique, du clystère à la saignée, couraient les mêmes risques, rois et manants, s’en remettant aux foudres du ciel ou à la clémence de Dieu. Aujourd’hui, ceux qui ont accès aux vaccinations, aux traitements et à un environnement assaini constituent une classe très minoritaire des privilégiés de la santé. L’
Histoire de la médecine est certes celle de la conquête des connaissances mais aussi celle de la couverture sociale et médicale, une s
écurité sociale qui demeure un rêve ou une utopie pour beaucoup.
Quelle sera la suite de l’Histoire ? Celle d’une médecine scientifique de plus en plus rigoureuse et efficace, de plus en plus soucieuse de l’environnement et de l’égalité des chances pour chacun, du droit à la santé pour tous. Au-delà de la compétence acquise et rigoureusement entretenue, au-delà de l’écran de l’ordinateur, le jeune praticien devra continuer à chercher du regard son patient, à percevoir son angoisse devant la maladie et son espérance d’échapper à la douleur et à la mort.
Le travail accompli par Bruno Halioua au cours de ces trois éditions successives, dans le cadre contraignant de « l’Abrégé », constitue une remarquable synthèse d’une très longue Histoire, celle de l’Humanité.