Dans la couleur il n’y a que des différences, c’est-à-dire la vie. Le fond n’existe pas. Un empilement de surfaces. Lui, moi, vous, nous sommes à la surface. Exposés en surface (terre), sur toutes les parties de notre surface (corps), à manier des capteurs de surfaces (appareils), à enregistrer, à reproduire, à tracer sur des surfaces, et sans fin (c’est-à-dire la vie). Je voulais commencer comme une lettre : Mon cher H., il n’y a que des différences, je l’ai vu encore ce matin, ici, sur la route de Lurs, il y a devant moi le gris de pierre du toit, le gris de l’arbre, le gris du ciel, le gris du sol, léger, mouillé, foncé, profond, le gris sans fin et sans fond du réel, et nous sommes dans ce gris, dans le bleu du gris, dans ce bleu de ciel et d’ardoise et d’eau, et c’est la même couleur jamais la même, et c’est cela que je voulais te dire aujourd’hui : dans la peinture pas un bleu n’est pareil parce que les surfaces et tout ce qui arrive entre les surfaces et nous, je veux dire les nuages ou n’importe quelle panne d’électricité.
Mon cher H., c’est comme si je t’écrivais une lettre, je me suis demandé cette semaine ce que pouvait bien signifier tout ce bleu. J’ai regardé dans un dictionnaire tous les noms du bleu, tous les mots qui disent cette couleur qui n’a pas de nom, qui est partout et en nous et dans le creux de ta main. Tous ces noms ne servent à rien, il y a ce bleu que tu fais, celui que tu respires, le mien, le nôtre, ce bleu d’Occident mélangé de bleu du Sud, avec du lait et des morceaux de mur.
Cela (le bleu par exemple) n’est rien. Le point dont je parle (celui où me rejoint la peinture, où je touche un arbre, où je communique avec ce qui est gris, ou bleu, ou froid, etc.), ce point, qui me donne la vie (tout), n’est rien. J’ai lu et j’ai recopié ces mots d’un peintre (Kandinsky je crois) : « Das nicht ist manchmal unmöglich zu erreichen. » Le ne pas est souvent difficile à atteindre.
Quelque chose comme le sol jusqu’à la pierre après de très grandes pluies après de très grands incendies et toute la terre partie glissée coulée, et il ne reste plus que l’os. Du bleu très nu en train de devenir bleu et plus nu encore, du réel en train de devenir réellement réel. Maintenant cette lettre est presque finie.