Suite de la correspondance

Claude, je suis devant L’Agneau mystique il est plus haut que moi je lève la tête il regarde vers la droite il est au centre du monde et il y a du vert du rouge et du bleu. Et maintenant je suis à l’intérieur de son œil et nu comme le blanc de son corps, laine, épaisseur de cheveux bouclés. Un début décembre à rayer le sol entre le Sud et le Nord et redescente et remontée comme l’eau de la fontaine aux pieds du mouton de Van Eyck. Sur la pente. Exactement en roue libre, par aiguillages (cette musique des aiguilles, nocturne). Non, celle de la nuit quand il passe devant les centrales électriques (comme des arbres de Noël avec ampoules suspendues dans le vide géométrie de lignes et puis encore le noir la vitesse le torrent). Un peu plus tard, même emportement nocturne, banlieue de Bruxelles pour Anvers (grêle, anglais de route et le café sous très grande hauteur de mur). Retour en bille de billard ou dans la boule en souvenir du jardin flamand de Bosch, paradisiaque, à pied entre les rues espagnoles, façade catholique jésuite, au courant de l’Escaut, vers Gent et le corps fumant de l’Agnus. Je ne sais pas dans quel sens il coule. D’ici, il n’y a que le gris et la pluie pénétrante, avec à l’ancre la rouille d’un cargo de Lagos.

 

Quelqu’un n’est pas entier à l’endroit où il parle. D’où la dérive. Emporté au courant, passif et sans droits d’un quai à l’autre. Comme si un couloir entre la Chapelle, ses feux d’artifice, ou le Café, ses eaux grises, et la Gare plus le soir tombe. Post-scriptum : dans le A de l’espace, inclus. C’est la nuit dans ces corps et je ne les comprends pas. Il vient de me dire le nom de la ville. Rijsel, le nom de la ville, la ville de Rijsel, Rijsel. Il suffit d’attendre. Le A se ferme. Il se couche. Un compas dans l’espace qui se ferme, devient ligne. Il y a le froid comme un solide. Attente à quelques centimètres du bord poussé par la foule des enfants ou plutôt devant le froid de la voie qui est vide et le noir à droite et à gauche avec le bourdonnement de leur bouche leur langue et la buée de leur bouche encore. Il ne s’arrêtera que pour nous. La voie est comme un fossé ouvert, l’infini d’une fosse à droite et gauche à ciel ouvert, métallique, de terre, de poussière de charbon, c’est elle lèvres fendues ou fente longue infinie, four, froid d’un trou creusé horizontalement et sans fin, devant nous, à quelques centimètres de nos corps debout. A quelques centimètres du bord poussé par le corps des enfants ou l’épaisseur de ces corps, l’effet de mur de ces corps. Il ne s’arrêtera que pour nous. Il partira pour la gare de Rijsel. A quelques centimètres du bord et plus un mot maintenant le silence des corps, les corps recouverts des enfants soudés les uns aux autres, cousus les uns aux autres, recouverts d’un tissu épais de laine brune ou bien de briques, comme un mur très dense et très silencieux. Il vient alors dans la nuit, il va boucher le vide de la fosse, il s’arrête maintenant le long du mur, il tient le lit de rivière. Je le touche. (Nijmegen-Roosendaal-Antwerpen Centraal-Gent St Pieters-Rijsel.)