Vous écoutez un bruit de source. Pendant le trajet je vois la rue à l’envers. Ou des fragments de la rue, immeubles. Et des figures du ciel, ou comme un oiseau dans la cour du musée de Boston.
– Je vois toujours ainsi.
Ma vision est celle, restée celle, de ce retour. Je suis remonté à contre-courant vers le haut de la rue, dans le gris des murs, avec lumières, fragments de miroirs, figures simplifiées du ciel, et c’est comme ce que voit cet oiseau dans le carré de vert, Museum of Fine Arts : rien, basculement, vol aigu malgré, jusqu’ici.
Ils me remontent. Je suis sur la rive. Ce n’est pas moi. Ils luttent un peu contre le vent qui suit la pente. A mi-chemin, ils s’arrêtent. Les yeux fermés pour le reste du voyage. (Le visage de l’enfant les yeux fermés remonté contre le vent avec des fragments de miroirs du ciel à l’intérieur de son corps sous la peau de lait froid un matin d’avril.)
Ils ne savent rien de toi. Tu es ce qu’ils portent. Ils sont penchés en avant contre la poussière.
Je n’ai pas de mains. Imaginez un ballon, une manche ni creuse ni pleine. Le vent traversant la manche, la gonflant. Un sifflement continu. Quelque chose en moi connaît la rivière. J’entends la rue comme une rivière. Ils ne savent pas. Ils me nomment. Ils cherchent à me nommer.
Confirmation (au lieu dit La Chute-aux-Rats) du noir de la rivière. Au-dessus, depuis le trottoir de roches : le noir transparent (profond transparent envoûté de noir). Comme celui de Reinhardt.
Les « figures du ciel » ou l’acte de naissance. Dans la nuit du un au deux, vers la source. Remonté comme les Indiens pieds nus vers la source. Suivi le noir de la rivière au-dessus, depuis le trottoir de roches vers ces « figures géométriques » (du ciel, géométriques), leur concentration en un point, dans le bruit continu des chutes. Un sifflement continu, celui du noir de ciel dans ce COULOIR.
De cette nuit-là encore. Je suis né ici, rue François-Miron, à cinq cents mètres de la rue des Tournelles. « Il a fallu me remonter vers moi. » F.M. et T. sont deux de ces points. Entre les deux un couloir. Au moment où ils se confondent quelqu’un, ou cela, disparaît. En réalité je suis né ici. Le chant est inconnu et proche. C’est elle, cette langue : le corps prend la couleur du sol, la plante de leurs pieds est verte, sa main (cinq ans de noir de pluie noire de Bavière), sa main, de la même couleur. Ta main a la couleur du sol. Inconnue et proche. Parlé en une langue que je ne connais pas. Parlé, chanté en une langue qu’il ne parle pas. (Profond transparent envoûté de noir.) Dans cette histoire de remontée vers la source (vers l’est), j’ai décrit la rue Saint-Antoine comme un lit de rivière, comme un couloir. C’est un couloir. Il fait froid. L’enfant est remonté, contre le vent, dans le couloir de la rivière. (Les yeux fermés contre le vent avec des fragments de miroirs du ciel un matin d’avril.)
Les mots volume, espace, vide. Le mot cave. Le mot veine. Le mot peur. Les mots répétition, suite. Le mot scène. Le mot demeurer. Le mot phrase. Les mots immobile, talus, vertical. Le mot geste. Les mots faille ou cavité. Le mot évidence. Le mot froid. Le mot visible. Le mot extrémité. Les mots pierre et fluide. Les mots noir, fermé. Le mot couleur. Les mots contours géométriques propres. Chaque mot étant un objet. Son apparition dans le champ visuel ne dépendant d’aucune pensée préalable. La réalité s’avance et recule. Muette (et cachée, évidente) comme les pierres. A chaque mot une image, ou idole (en son esprit). Retour a lieu, anonyme, vers cela : comme la vision de l’oiseau (celle des yeux de l’oiseau) dans la cour du musée de Boston, comme celle du mort, celle des yeux du mort.