Quand vient l’orage

— Alors, qu’est-ce que vous avez envie de faire ? a demandé maman après que nous avons fini de manger.

— Il faudrait peut-être choisir une activité en intérieur, le temps vire à l’orage. Nous pourrions visiter un musée.

Jacob avait raison. Cela faisait un petit moment que nous surveillions la progression des nuages noirs qui avaient franchi les montagnes et s’amoncelaient désormais dans le ciel de la métropole. L’air commençait à fraîchir, il ne fallait pas tarder. J’ai proposé qu’on aille au musée d’art contemporain, le seul qui me paraissait convenir à Névée.

— Qu’est-ce que tu en penses ?

— Oui, pourquoi pas.

Sa voix traînante nous a inquiétés, tout autant que son teint pâle. Ren s’est approché de sa fille pour toucher son visage. Je percevais à quel point il était soucieux.

— Tu ne te sens pas bien ?

— Je suis fatiguée, je crois, et j’ai mal à la tête.

— J’ai du paracétamol dans mon sac, a proposé Jacob.

Ma mère lui a dit qu’un cachet n’était pas nécessaire, que nous allions rentrer plus tôt que prévu. Il était normal que la chaleur et les sollicitations de la ville aient épuisé Névée, une sieste et une bonne nuit de repos lui seraient bénéfiques.

Nous avons rangé nos affaires.

Le temps que nous sortions du parc, l’air s’est davantage rafraîchi et le vent s’est mis à souffler. L’orage a éclaté peu de temps après, noyant les rues d’une pluie battante et froide. Abrités sous un porche, nous avons attendu que la tempête se calme en regardant les éclairs déchirer le ciel anthracite. Comme Névée ne se sentait vraiment pas bien, Jacob est parti chercher la voiture sous la pluie.

Le trajet retour s’est fait dans le silence. Le gros de l’orage était passé, mais le ciel restait résolument gris et la pluie continuait de tomber à verse. Névée s’était endormie contre l’épaule de Lin.

La nature est souvent spectaculaire. Parfois, elle est sublime. C’est ce que j’ai ressenti quand tout à coup, presque par magie, l’orage s’est éloigné. Le bleu du ciel était soudain tellement lumineux, tellement pur, que je ne pouvais pas en décrocher mes yeux. J’aurais aimé que Névée voie ça, elle aussi, mais elle dormait toujours. Et elle ne s’est pas réveillée quand son père l’a prise sur son dos pour rejoindre la maison depuis l’endroit où se garait Jacob.

 

Cette nuit-là, il s’est passé deux choses que j’ai mis du temps à comprendre.

La première est arrivée quand je suis descendue boire. En passant devant le lit de Névée, j’ai jeté un coup d’œil dans l’ouverture que formaient les draps suspendus autour. Croyez-moi ou non, j’ai vu un renard blanc, lové contre la couverture. La surprise m’a fait bondir en arrière, j’ai heurté la commode et renversé une pile de livres.

Alors que je les ramassais en vitesse, espérant ne pas avoir réveillé tout le monde, Névée m’a demandé :

— Ça va, Yara, tu t’es blessée ?

— Non, non. Tout va bien !

Je me suis approchée du lit où elle était allongée. Elle m’a regardée en bâillant.

— Tu sais quoi ? lui ai-je avoué. J’ai cru voir un renard blanc à ta place il y a une seconde. C’est fou, hein !

Elle a souri en secouant la tête.

— Il n’y a que moi, ici. Rien que moi.

J’ai acquiescé, attrapé ma bouteille, et suis remontée dans ma chambre en lui souhaitant bonne nuit.

J’ai mis longtemps à me rendormir et j’ai eu la sensation d’un sommeil agité.

C’est comme ça qu’il s’est passé la deuxième chose.

Vous avez déjà fait des rêves qui paraissaient tellement réels que vous vous êtes demandé, le matin en vous réveillant, si c’était vrai ou pas ? Ça m’est arrivé cette nuit-là.

J’ai rêvé d’une conversation entre Névée et Ren. Elle disait que je l’avais vue en descendant, juste avant. Qu’il fallait peut-être me parler. Ren n’était pas d’accord. Selon lui, il était grand temps de rentrer chez eux. Ils avaient trop tardé. Elle ne pouvait pas rester là plus longtemps. Son état ne le lui permettait pas.

Elle comprenait et pourtant elle avait encore tant de choses à voir et à apprendre ! Est-ce que l’occasion se présenterait à nouveau ? Pourquoi fallait-il toujours faire des sacrifices ?

Ren répondait que la vie était comme ça. Qu’on n’était pas toujours maître de son destin. Il ajoutait que lui aussi avait dû renoncer à des combats qui lui étaient chers.

J’ai rêvé de cette conversation et, au matin, ils étaient partis.