Le retour de l’été

Le 17 août, Lin a fini par rentrer. Avec Jacob, nous sommes allés le chercher à l’aéroport Saint-Exupéry, à côté de Lyon. Je me suis rendu compte que c’était la première fois que je voyais un paysage sans montagnes et ça m’a fait bizarre de penser que ces géantes disparaissaient quand on s’éloignait d’elles.

La campagne autour de l’autoroute était laide mais le ciel, couvert de nuages semblables à des boules de coton, offrait un spectacle superbe. Comme le soleil se couchait, ils se couvraient d’incroyables nuances de orange et d’or. Jacob m’a dit que ces nuages s’appelaient « mamma », parce qu’ils ressemblaient à des mamelles.

Vous avez déjà réfléchi au nom des nuages ? Je veux dire, à part les cumulus ? Moi non. Mais, cette soirée-là, j’ai appris qu’il existait, entre autres, des « arcus », des « capuchons », des « nuages orographiques » ou des « virga ». Incroyable, non ? J’ai appris cela et, pour la première fois de ma vie, j’ai vu des avions de très près.

— Il est énorme ! me suis-je exclamée en regardant celui de Lin atterrir derrière les grandes baies vitrées.

— C’est fou qu’une chose aussi lourde puisse voler, tu ne trouves pas ?

J’ai acquiescé, en me demandant quelle sensation on éprouvait à être au-delà des nuages qui glissent pourtant si haut dans le ciel.

J’avais encore la tête pleine de questions quand Lin nous a enfin rejoints. Il m’a serrée dans ses bras, a embrassé son père et n’a arrêté de parler qu’au moment où nous nous sommes garés devant la maison.

— Tiens ! m’a-t-il dit, en me tendant un paquet qu’il avait sorti de sa valise. Tu te feras une idée plus précise de la mer.

À l’intérieur, j’ai trouvé des échantillons de son été : un sachet contenant du sable, des coquillages blancs, un bout de verre poli, une petite bouteille remplie d’eau de mer que je me suis empressée de sentir. C’était une odeur nouvelle sur laquelle il m’était impossible de mettre des mots, mais je la trouvais aussi étonnante qu’agréable.

— Ça te plaît ?

— Bien sûr que ça me plaît. C’est comme si je voyageais un peu, moi aussi.

Alors qu’il me racontait comment il avait collecté chacun de ces souvenirs, une vague de tristesse a submergé chacune des parcelles de mon corps. Pourquoi ? Parce que mis à part le trajet pour l’aéroport, je n’avais jamais quitté les montagnes qui m’entouraient.

C’est peut-être étonnant mais jusque-là je n’y avais pas pensé. Pourtant, depuis que ses parents avaient divorcé, Lin allait chaque année chez sa mère. Il m’avait aussi raconté ses colonies de vacances et son voyage scolaire à Londres, en cinquième.

Je me rendais compte que la situation avait changé, que maintenant mon univers me semblait étriqué, comme quand on enfile un tee-shirt devenu trop petit parce qu’on a grandi.

Avant, je me serais dit qu’on ne peut pas grandir si vite. Je veux dire en quelques jours. C’était pourtant possible. Il n’y avait qu’à regarder Lin. Ses trois semaines à la mer l’avaient transformé : c’est à peine si je le reconnaissais avec sa peau bronzée et ses épaules musclées !

Lin a posé sa main sur mon bras en me demandant si ça allait, si je n’étais pas trop triste à cause de mon père et ma sœur qui étaient partis sans rien dire. Triste, je l’étais, mais plus que tout, je me sentais perdue et j’ignorais si j’arriverais à retrouver le goût de la forêt.

— Si tu veux en parler, tu sais que je suis là…

Je ne savais pas quoi répondre et encore moins par où commencer. Lin n’a pas insisté. Il m’a proposé de le suivre dans le garage. Nous avons remonté un vieux lit de camp et l’avons installé dans la chambre, en faisant un peu de place pour pouvoir le déplier. Jacob n’a rien trouvé à redire quand nous lui avons annoncé que nous dormirions dans la même pièce.

Cette nuit-là, nous n’avons pas fermé l’œil, nous avons discuté, lu et regardé des films jusqu’au lever du soleil. Après le déjeuner, nous avons pédalé jusqu’au lac pour nous baigner et somnoler à l’ombre des arbres jusqu’à midi. Nous avons fait la même chose le lendemain et le surlendemain encore.

Maintenant que Lin était là, mon été ressemblait à un soleil.