3 - La joie dont je parle

Lui

La joie dont je parle est comme un faisceau de lumière qui nous traverse, si on veut bien… La joie dont je parle est patience.

Elle

C’est dire que je n’ai jamais connu la joie, celle dont tu parles. Je suis d’une telle impatience, depuis l’enfance. Je me souviens de ces états de désordre hormonal extrêmes qui provoquaient des rages dérisoires dirigées, par exemple, bêtement, vers un tiroir de ma commode qui résistait, ne s’ouvrait pas assez vite, car le temps me pressait…

Lui

Le temps?

Elle

Des amis m’attendaient, le plaisir m’attendait, et ce sacré tiroir qui ne s’ouvrait pas. Cela s’est souvent répété : aux prises avec quelque obstacle matériel et opaque, et à maintes reprises, je me suis blessée. J’en conclus aujourd’hui que cette façon de connaître des transes m’était sans doute nécessaire pour m’éprouver hors de moi.

Lui

Sauvage rituel! Mais raconte encore… cette expérience hors de toi?

Elle

Lorsque plus tard, beaucoup plus tard, j’ai cessé de m’éviter, de masquer mon extrême fragilité… Mais comment le dire en termes clairs? Quand saisie d’une sorte de fulgurance, j’ai contemplé mes limites, dans le même instant, je me suis sentie projetée hors du temps. Comme si je m’égarais dans un lieu qui n’est pas un lieu. Soudainement désorientée, sans le moindre repère, sans la perspective d’un retour à ce que j’avais été…

Lui

Comme si ton extrême fragilité t’avait donné un aperçu de l’éternel.

Elle

J’avais été touchée et j’avais touché.