“J’ai appris que vous étiez arrivée à un accord avec Giovanni…

— Les bonnes nouvelles vont vite”, dit Faye en décochant un large sourire à Jaime da Rosa, pdg et propriétaire d’une entreprise de produits de beauté espagnole.

Ce n’était pas la plus grande d’Espagne, mais comme la société de Giovanni en Italie, elle pouvait jouer un rôle clé pour permettre à Revenge de combler ses lacunes en termes de fabrication, de distribution et de logistique avant de partir à l’assaut du marché américain. Ils avaient bavardé un moment en mangeant quelques tapas divines, mais à présent, après un expresso, le moment était venu de parler sérieusement affaires.

“Les mauvaises nouvelles aussi.”

Jaime avait un fort accent espagnol, mais sa grammaire anglaise était parfaite, et son vocabulaire varié : ils n’avaient aucune difficulté à se comprendre. Grâce à l’italien qu’elle parlait désormais couramment, elle aurait largement pu suivre la conversation en espagnol, mais elle aurait eu du mal à se faire comprendre aussi bien qu’elle en avait besoin.

“Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle, sur ses gardes, en prenant un morceau de chocolat dans le plat devant elle.

— J’ai quelques bons amis en Suède. Il court des bruits sur Revenge. On parle d’un rachat.”

Le morceau de chocolat lui resta en travers de la gorge. C’était exactement ce qui inquiétait Faye. Jusqu’à présent, elle avait réussi à contenir la presse, et elle se doutait qu’Henrik ne souhaitait pas que l’info fuite pour le moment, pour qu’elle fasse l’effet d’une bombe une fois lâchée dans les médias. Mais Stockholm était petit, le monde des affaires suédois plus petit encore, et elle n’était pas surprise que les rumeurs se soient propagées même à l’étranger.

La manière dont elle allait gérer cette conversation serait décisive. Si elle ne continuait pas d’œuvrer à l’expansion américaine à laquelle elle avait consacré tant de temps, d’énergie et d’espoir, elle pouvait aussi bien jeter l’éponge. De toute façon, elle ne mériterait plus Revenge.

“Il y a toujours des rumeurs, Jaime. Vous le savez aussi bien que moi. Je suppose que c’est exactement pareil en Espagne. À Madrid. Si je demandais autour de moi, combien de rumeurs entendrais-je sur vous et votre entreprise ? Un bel homme comme vous, vous devez les collectionner, non ? Combien de maîtresses les colporteurs de ragots vous ont-ils attribuées, Jaime ?

Elle lui sourit, étira le cou et fit briller ses yeux autant que ses bagues en diamant. Il éclata de rire, flatté.

“Oui, vous avez raison. On a prétendu beaucoup de choses…”

Il se pencha et lui fit un clin d’œil.

“Mais tout n’était pas faux, j’en ai peur…

— J’avais bien compris. Vous êtes un bad boy, Jaime”, pouffa Faye tout en soupirant intérieurement.

Ah, les hommes… Parfois, elle se demandait comment ils avaient bien pu réussir à conserver leur domination à travers l’histoire de l’humanité.

“Je suis ravi d’apprendre que ce n’étaient que des ragots, dit Jaime. Nous avons hâte de faire affaire avec vous. Si j’ai bien compris, il ne reste que quelques petits détails techniques, et mes avocats disent que nous pourrons signer le contrat d’ici une semaine.

— C’est aussi ce que j’ai entendu les miens dire.”

Jaime finit son expresso, posa les deux coudes sur la table et regarda Faye par en dessous. Elle connaissait la chanson. Elle avait dansé cette danse-là à tant de rendez-vous avec tant d’hommes. Ils voulaient tous la même chose. D’abord le business. Puis la baise. Comme si c’était inclus dans le deal.

Faye fit un grand sourire. Depuis le temps, elle avait appris à gérer cette situation avec une précision chirurgicale.

“Je me disais…” Jaime baissa la voix en la regardant dans les yeux. “Si vous n’avez pas d’autres projets pour ce soir, je pourrais peut-être vous montrer quelques-uns de mes jardins secrets. Je connais personnellement les meilleurs restaurants et les meilleurs chefs. Et j’ai une petite garçonnière en ville. Je travaille tellement qu’il est parfois trop tard pour rentrer dans ma belle villa à la montagne. On pourrait y finir la soirée ? Y prendre un café… gourmand.”

Il héla le serveur et demanda l’addition.

Faye poussa un grand soupir intérieur. Jamais la moindre originalité. Café gourmand dans sa garçonnière coquine…

“Ce serait sans doute très agréable, dit-elle. Mais j’ai avec moi ma meilleure amie et sa fille pour le week-end. Elle a cinq ans, elle est peut-être un peu agitée, mais elle est très mignonne. Je ne peux pas la laisser à l’hôtel, alors peut-être que…”

Avec un sourire suave, Faye regarda la panique se répandre sur le visage de Jaime.

“Pardon, je viens de me souvenir que j’avais promis à ma femme de rentrer pour le dîner ce soir. Je suis vraiment désolé. Mais je peux vous recommander quelques restaurants. Qui accueillent les enfants…

— Oh, comme c’est dommage, mais je noterai volontiers vos recommandations, c’est très aimable à vous.”

Jaime se dépêcha de payer et se leva en hochant la tête. Il tendit la main.

“On s’appelle la semaine prochaine.

— Sans faute”, dit Faye en lui serrant la main.

Elle le suivit longtemps des yeux tandis qu’il s’éloignait en direction de son bureau.

Avec un petit rire, elle regarda sa montre, prit son sac et repartit à pied vers son hôtel. La boutique qu’elle avait repérée sur Google avant de quitter la Suède était sur le chemin. David allait avoir une nouvelle surprise.

 

 

David était au téléphone en pleine conversation d’affaires quand elle entra dans la chambre d’hôtel, les mains chargées de deux gros sacs. Il s’illumina, lui mima qu’il n’en avait que pour cinq minutes, et elle lui envoya un baiser. Ça lui laissait le temps de préparer sa petite surprise.

Sur la grande terrasse, elle déballa en sifflotant tout ce qu’elle avait acheté. Devant elle s’étendaient les toits de Madrid. Elle chassa tous ses soucis, ne songeant plus qu’à une chose, qu’elle était là, dans une ville qu’elle aimait, avec un homme qu’elle aimait. Elle qui pensait ne jamais refaire confiance à un homme. David semblait sur le point de terminer son appel, et Faye se dépêcha de finir ses préparatifs. Quand il sortit sur la terrasse, elle se retourna et tendit les bras vers la table.

“Tadam !

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? fit David, les yeux écarquillés.

— Comme je t’ai privé de Saint-Jean, je me rattrape. Avant de partir, j’ai repéré sur Google une boutique, pas loin, qui vend des produits suédois. Alors, voici du hareng, du knäckebröd, du fromage de Västerbotten, du schnaps, de la crème, de la ciboulette, bref, tout. La seule chose que je n’ai pas réussi à organiser, c’est un mât de la Saint-Jean, mais je suis sûre qu’on va trouver une solution… Et regarde ! J’ai fait des couronnes !”

Elle sourit en sortant deux couronnes rapidement tressées chez un fleuriste. Elle en plaça une sur sa tête et l’autre sur celle de David. Il avait l’air ridicule et sexy, un cocktail irrésistible. Il la prit dans ses bras et l’embrassa.

“Tu es folle. Mais alors je propose que, selon la tradition, on commence par la danse autour du mât.

— Qu’est-ce qu’on attend ?” dit Faye en l’entraînant vers le lit tout en chantonnant la comptine des Petites Grenouilles.