L’Éden
La deuxième nuit n’a pas été meilleure que la première et rien n’autorisait l’espoir que les choses s’améliorent à la suivante. Il toussait, se sentait fiévreux, et personne ne savait lui dire au juste quand mouillerait à Casablanca le bateau portugais à destination de New York sur lequel il avait réservé une couchette. Au début de juin ? C’était lointain autant que vague. Comment meubler le temps dans ce purgatoire ? Autour de lui, les gens commençaient à s’installer. Une femme mettait du linge à sécher sur une corde, on battait les paillasses, des enfants se coursaient, policiers contre voleurs. Cela faisait beaucoup de bruit. Des liens de sympathie se nouaient, des rivalités, des exclusions en résultaient : éclats de rire et messes basses. Alors il s’est mis en quête d’un partenaire avec l’énergie d’un drogué en manque, pour tenir le coup.
Lorsqu’il quitte le camp, ses voisins de dortoir murmurent qu’il est bien léger de laisser ses valises sans surveillance. Dès le premier pas au-dehors, il respire.
Aïn Sebaa ne comptait à l’époque qu’une seule artère goudronnée, la route de Rabat, le long de laquelle se développait un embryon de vie urbaine. À sa demande, mon grand-père a dessiné un plan pour le professeur Vidal, très attaché aux détails topologiques comme à tous les faits matériels ou présentant un aspect objectif indéniable, aussi rébarbatifs soient-ils : c’est la mentalité universitaire.
Mon grand-père a tracé au stylo-bille, dans le cahier à spirale de notre hôte, les deux lignes parallèles de la route et il a écrit Rabat en haut, auprès d’une flèche, Casa de l’autre côté, puis il a griffonné des carrés et des rectangles tout autour. Le moindre trait qu’il dessinait lui rappelait un épisode de sa jeunesse ; ici, il avait eu son premier flirt ; là, sa première cuite ; et je découvrais avec perplexité que la plupart des anecdotes qui lui venaient aux lèvres m’étaient inconnues.