Il y avait déjà un certain temps que nous ne nous parlions plus, mon père et moi. Rien de personnel, mais je n’avais pas souvent un téléphone sous la main, et il ne savait pas où m’appeler s’il en avait l’intention. Quelques mois avant de tomber malade, j’avais quitté la chambre que je louais dans cette ville allemande, et pris l’habitude de dormir sur un canapé, chez les gens que je connaissais. Non que j’aie manqué d’argent, mais en raison de l’irresponsabilité qu’impliquait, me semblait-il, le fait de n’avoir ni maison ni obligations ; une façon comme une autre de renoncer à tout. C’était vraiment agréable, mais l’ennui, quand on vit de cette façon, c’est qu’on ne peut pas accumuler beaucoup de choses, je m’étais donc peu à peu débarrassé de mes livres, des rares objets achetés depuis mon arrivée en Allemagne, et de mes vêtements ; je n’avais conservé que quelques chemises, pour la bonne raison qu’une chemise propre pouvait ouvrir une porte, quand on ne savait pas où aller. Je les lavais à la main dans une de ces maisons, après ma douche du matin, et je les mettais à sécher dans un casier de la bibliothèque du département de littérature de l’université où je travaillais, ou sur le gazon d’un parc dans lequel j’allais tuer le temps avant de demander l’hospitalité et la compagnie du ou de la propriétaire d’un canapé. Moi, j’étais de passage, tout simplement.