Je suis un monstre

Lorsque je descends à la cuisine, Cori se coule un café et Ge écoute Salut, bonjour passionnément. Je ne dis rien à mes amies. Du moins, pas devant Coriande. En comparaison de sa situation, ma dispute peut paraître anodine, et il me semble qu’elle ne doit pas avoir envie d’entendre parler des « petits problèmes de couple » des autres. Je ne veux pas non plus la culpabiliser pour hier en plus.

Lorsqu’elle quitte le condo, je me dirige vers Ge et me couche sur le divan. Je pose ensuite ma tête sur ses genoux en soupirant.

— Voyons ? T’imites le chat ? fait-elle, peu maternelle relativement à mon comportement de petite fille.

— Je suis une grosse conne…

Je lui raconte l’histoire au complet, les échanges de textos d’hier, ma réflexion à ce moment-là et la photo de ce matin.

— T’es ben nulle, Mali ! s’exclame-t-elle, sans aucune gêne.

— Oh wow ! Merci !

Je me redresse en position horizontale, l’air offusqué. Non mais, un peu de délicatesse tout de même.

— Non, sérieusement ! J’aurais pu rester avec Cori hier…

— Après coup, je sais bien. Mais en n’étant pas au courant de ce qu’il tramait, je me suis dit : « Bon, écouter la télé chez mon chum ou prendre soin de mon amie ici ? »

— Je te l’avais dit qu’il devait préparer une surprise pour vos retrouvailles. Tu le sous-estimes tout le temps, Mali.

C’est bien effrayant ce qu’elle me dit ! Je sous-estime mon chum ? Je suis vraiment pire que je le pensais. Un vrai monstre !

— Eille, tu me fais du bien toi, ce matin, c’est fou ! que je réplique, un peu vexée.

— Non mais, c’est vrai. J’ai raison…

Ge a toujours été la défenderesse de Bobby, et ce, depuis la nuit des temps. Pas nouveau.

— Bon, je vais aller me suicider, je reviens plus tard…

— Premièrement, excuse-toi au plus vite, et à genoux de préférence.

— Il est, par hasard, « non disponible » pour quelques jours…

— Il est choqué, c’est bien normal.

Je quitte la pièce. Ge m’énerve royalement, mais la vérité est qu’elle a raison. Je possède une belle qualité dans la vie : celle d’être capable de me mettre à la place des autres. En reconstituant la scène, je comprends très bien pourquoi il semble amer. Reste à savoir comment je vais rattraper ma bourde.

Mon cellulaire qui retentit m’indique que ma chère mère est au bout du fil. Bon, voilà le moment idoine de recevoir un peu de réconfort dans cette matinée grise.

— Allô, maman, que je réponds sur un ton laissant croire que la journée débute sur une note un peu tristounette.

— Bonjour ! Avant que j’oublie, ton frère vient souper samedi. Peux-tu être là ?

— Euh…

Je n’ai pas revu mon frère depuis presque deux mois. En fait, depuis sa semaine de congé, soit un mois avant qu’il ne quitte Coriande. Mais bon, il faut que ça se passe à un moment donné… Il faut dire qu’on s’est beaucoup éloignés depuis le début de son contrat de travail là-bas. Je trouve la situation dommage et, vu les circonstances actuelles, ce n’est rien pour aider notre relation.

— Oui, j’y serai, que je confirme après une hésitation bien trop longue.

Ma mère, qui sent bien mon ambivalence, m’explique :

— Je sais, Mali, que c’est bien délicat pour tout le monde, mais ça reste ton frère. La famille…

— Je sais, maman, je viendrai, c’est certain.

— Bon, avec ma petite mémoire, je voulais être certaine de ne pas oublier. Et toi, comment ça va ? Tu sembles triste.

— Bof…

Je lui explique aussi l’épopée Bobby (sans donner de précisions sur notre abstinence sexuelle, quoique si la tendance se maintient, elle doit déjà être au courant…). Interloquée, elle me dit sans ménagement :

— Franchement, Mali !

— …

Je suis bouche bée. Bon, ma mère va-t-elle, elle aussi, me dire mes quatre vérités en pleine face ?

— Ton chum est toujours fin et attentionné avec toi, ce n’était pas fort de ta part…

Quoi ? « TOUJOURS » attentionné ? Il n’est pas parfait quand même ! De plus, est-ce que ma propre mère (alias celle qui m’a portée dans son sein) vient de me faire une mise en échec en disant « ce n’était pas fort » ?

— Je ne savais pas que…

— Comprends-le.

Oui ! oui ! oui ! Le dossier « compréhension de la situation » est déjà réglé. Merci ! Je suis vraiment un monstre, on le sait. Comme je ne dis rien, ma mère se radoucit un peu :

— C’est vrai que tu ne pouvais pas savoir, mais là, c’est vraiment à toi de t’excuser…

Ce volet-là a aussi été passé en revue. La question reste : comment ?

— Je sais…

Après quelques conseils flous de sa part concernant le fameux « comment », je raccroche encore plus démolie qu’avant de répondre à cet appel.

Subban entre dans ma chambre en miaulant. Bon, il ne va pas s’en mêler lui aussi ? Comme de raison, il grimpe sur mes genoux et me balance dans un râlement plaintif : « Même s’il me lance sur le divan des fois, je l’aime bien Bobby ! Pas fort, ton affaire ! » Pfft !

Après avoir de nouveau songé à l’option « m’enterrer-vivante-en-laissant-une-lettre-à-mes-proches », je prends mon mini courage à deux doigts pour lui écrire la vérité :

(Je suis poche et je me sens comme la pire blonde du monde entier… :-( )

Il ne me répond pas. Il doit être en train de tricher…