PROLOGUE

 

AU COMMENCEMENT était l’Empire, et tout était bien. Depuis son monde natal, l’humanité s’élançait dans sa grande aventure, s’enfonçait toujours plus loin dans les ténèbres infinies en quête de nouveaux mondes et de merveilles inconnues. C’était un temps de héros et d’exploits prodigieux que celui où l’homme avançait de planète en planète et, implacablement, repoussait sans cesse ses frontières. Mille mondes, mille civilisations à l’éclat éblouissant dans l’obscurité du vide : l’Empire.

Il fallut quatre siècles à la pourriture pour s’y développer.

Le Parlement devint corrompu, le Collège des seigneurs vit son propre pouvoir grandir à proportion des profits que rapportait le pillage de centaines de mondes, tandis que l’empereur gouvernait l’ensemble d’une main d’acier depuis son Trône de Fer. La technologie parvint à produire des clones et des espsis, la loi les déclara biens meubles et institutionnalisa l’esclavage. L’Empire restait un paradis pour tous à la seule condition d’être riche, de haute naissance ou d’entretenir des relations bien placées ; mais ceux qui n’entraient pas dans ces catégories trimaient dur, courbaient le dos et se faisaient le plus discrets possible.

Il en fut ainsi neuf cents ans durant.

À l’époque d’Owen Traquemort, l’Empire était mûr pour la rébellion. Owen n’avait jamais souhaité devenir un héros ; malgré la tradition martiale de sa famille, il s’était toujours considéré comme un érudit plutôt qu’un guerrier. Mais, quand l’impératrice Lionnepierre XIV le décréta hors la loi et que ses propres gens, alléchés par la récompense promise, se mirent à se disputer sa tête, il ne put que prendre ses jambes à son cou et, à son corps défendant, accepter son destin. Il tomba sur Hazel d’Ark, hors-la-loi comme lui, pirate, épicurienne et ancienne trafiquante de clones, et ils s’enfuirent ensemble à destination de la planète rebelle Brumonde, où ils rallièrent à eux Jack Hasard, le révolutionnaire professionnel de légende, Rubis Voyage, la chasseuse de primes, et Tobias Lune, un homme ajusté de Haden la perdue. Ils se rendirent tous sur la planète Shandrakor, aux jungles infestées de monstres, théâtre d’éternels carnages, et, dans le Dernier Bastion du clan Traquemort, ils découvrirent l’ancêtre d’Owen qui avait vécu neuf siècles plus tôt : l’homme nommé Gilles, Premier Guerrier originel de l’Empire et inventeur du terrifiant Négateur du Noirvide ; il les conduisit sur le monde des Garous, où ils firent la connaissance du dernier Garou, seul survivant de son espèce génégéniée, et où ils pénétrèrent dans le Labyrinthe de la folie, subirent des modifications et ressortirent bien supérieurs à ce qu’ils étaient en y entrant.

Ensemble ils allaient semer le germe et prendre la tête de la plus grande rébellion que connaîtrait jamais l’Empire.

Dans son palais d’airain et d’acier, encapsulé dans un bunker de métal massif très loin sous la surface de la planète Golgotha, régnait l’impératrice Lionnepierre XIV, la magnifique, l’adorée, dont la parole était loi, dont les caprices faisaient couler le sang et mourir dans d’atroces souffrances ; auprès d’elle, le haut seigneur Dram, Premier Guerrier, époux officiel, que certains surnommaient, mais toujours dans son dos, le Faiseur de Veuves ; à ses ordres, de fidèles sujets comme le capitaine Silence et l’investigatrice Givre, du vaisseau stellaire l’Intrépide ; à ses pieds, les familles qui se bousculaient et conspiraient pour obtenir ses faveurs, et traquaient ses ennemis sans merci. Lionnepierre avait des forces et des atouts cachés, et elle ne se laisserait pas abattre aisément.

Et, en marge du jeu, attentifs aux sautes du vent, il restait de nombreux acteurs qui pouvaient pencher d’un côté comme de l’autre : Valentin, chef du clan Wolfe, avantagé par sa naissance, puissant, dandy et amateur passionné de drogues qu’il consommait en quantités fabuleuses ; Kit Estivîle, chef de son clan, que certains appelaient le Petit Tueur, la mort souriante ; le cardinal James Kassar, fanatique, étoile montante de l’Église du Christ guerrier.

Dans l’ombre, les clones et les espsis de la clandestinité menaient leur combat désespéré en rêvant malgré tout de liberté. Ils avaient pour alliés les cyber-rats, pirates informatiques et non-individus par choix, ainsi que les fils cadets et turbulents des grandes familles, sans espoir de jamais hériter d’un nom ni d’une fortune. De temps en temps aussi, un héros se joignait à eux, comme par exemple Finlay Campbell, naguère connu comme le Gladiateur masqué, champion invaincu des Arènes, ou la Mater Mundi, Mère de toutes les âmes, surespsi et mystère insondable, d’une puissance telle qu’elle vidait de sens toute notion d’espérance ou de santé mentale.

Tous les personnages étaient en place et le décor dressé ; il ne manquait plus à présent que quelqu’un qui portât le premier coup. Owen Traquemort, héros malgré lui, se dirigeait vers Golgotha en compagnie d’Hazel d’Ark à bord d’un étrange vaisseau d’or piloté par des hommes ajustés, déclarés jadis Ennemis de l’Humanité ; et, bien que la postérité ignore tout de ses pensées, en voici sans doute la teneur : « Pourquoi moi ? »