La mise en terre
15 mai 2005. Le dégel a fait son œuvre et nous enterrons mon cher enfant cet après-midi. Je ne sais pas comment cette journée se déroulera, même si j’ai une fois de plus cette horrible impression de déjà-vu. J’appréhende cette mise en terre depuis plusieurs semaines déjà. J’en ai rêvé plus d’une fois. Les papillons se sont installés dans mon estomac ce matin. Ils y resteront probablement une partie de la journée.
Je ne sais pas s’il faut amener Félix à cette cérémonie dont sans doute il ne comprendra ni le déroulement ni la signification. Mais aussi bien avoir ma petite bombe d’énergie à mes côtés. J’en aurai bien besoin. Quant à la présence de ma filleule Kristyna, maintenant âgée de six ans, je demande à mon frère ce qu’il en pense.
— J’ai soulevé le point à ma dernière rencontre avec le psychologue, lui dis-je, et lui ai demandé ce qui serait le mieux dans son cas, ce qui l’aiderait à vivre elle aussi le deuil de son cousin. Il prétend qu’on sous-estime trop souvent la capacité d’un enfant à affronter ce genre de situation, que la représentation de la mort que se fait un enfant est souvent beaucoup simplifiée par rapport à la nôtre.
Les enfants vivent dans le concret, selon la conception que je m’en fais. Comme la vie est tangible, ils la comprennent bien, au contraire de la mort qu’ils ne voient pas et dont ils ne sont pas vraiment conscients. Tout le monde se demande s’il y a une vie après la mort. C’est le mystère le plus opaque qui soit. J’essaie donc d’imaginer comment un enfant peut percevoir cette notion de survie. D’assister à cette cérémonie aidera peut-être Félix à réaliser ce questionnement existentiel.
Je donne aussi raison à mon psychologue. Nous projetons quelquefois, sans le vouloir, naturellement, nos peurs et notre peine sur nos enfants. Nous croyons qu’ils seront aussi abattus et atterrés que nous, mais leur capacité de gérer leurs émotions dépasse largement ce qu’on s’imagine. Ils sont naturellement pourvus d’un lâcher-prise extraordinaire. Ils pleurent tout leur chagrin et se rappellent ensuite les bons moments.
— Explique à Kristyna le déroulement de la cérémonie et demande-lui ce qu’elle désire, ajouté-je.
Il semble mal à l’aise.
— Je crois que je vais demander un coup de main à maman. J’ai déjà de la difficulté à répondre aux milliers de questions de ma fille; je ne sais pas si je pourrai lui parler de ça.
Je souris. Pauvre maman! C’est souvent à elle que reviennent les tâches trop accablantes ou pénibles émotionnellement pour nous, depuis quelques années.
Nous partons pour le cimetière. J’ai peur d’apercevoir le cercueil de ma Naomy dans la fosse creusée pour mon fils. Et s’ils n’avaient pas fait attention à ça? Les images qui se déroulent dans ma tête me font frissonner. Je la secoue vigoureusement et saisis la main de Patrice. Félix est à l’arrière de la voiture et ne dit rien. Il a les yeux bien ronds et me fixe. Je me tourne vers lui et caresse le dessus de sa main. Sa peau est douce, mais je remarque une petite plaque de peau sèche. Depuis quand Félix a-t-il ce genre de problème? Ça ressemble étrangement à de l’eczéma. Je vérifierai une fois de retour à la maison.
Toujours comme il y a quatre ans, nous retrouvons plusieurs visages endeuillés dans le cimetière. Mais, cette fois-ci, les gens se retournent pour nous faire face. Ils nous pointent discrètement du doigt et chuchotent. J’en ai plus qu’assez d’avoir l’air d’un phénomène de foire. Nous les ignorons et continuons notre chemin.
La tombe me semble trop adroitement creusée. Le cercueil a déjà pris sa place tout près de celui de Naomy. Je n’ai pas le courage de regarder vers le fond. Je m’approche doucement en prenant soin de ne pas lâcher la main de Patrice. Plusieurs membres de la famille sont déjà arrivés, mais personne ne s’est encore avancé près du cercueil, attendant que nous nous avancions les premiers. Délicate attention! J’ai les jambes comme en coton. Je ne sais pas encore si je réussirai à marcher jusqu’à la fosse. Mes mains tremblent, et Patrice s’en rend compte immédiatement.
Nous arrivons aux côtés de Joshua, et la famille, infiniment respectueuse, se rapproche en formant un cercle autour de nous. Nous ne disons rien. Patrice a les yeux dans le vague. Je ne peux même pas dire où il pose les yeux dont le regard est vide et sans vie. C’est sûrement ainsi qu’il se sent.
Pour échanger avec lui un peu de réconfort, j’enfouis mon visage dans son cou et inspire un grand coup. Lorsque l’odeur de mon bien-aimé s’impose à mon cœur et chatouille mon ventre, je ressens un intense soulagement, à l’égal de l’amour que j’ai pour lui. Qu’est-ce que je ferais sans Patrice?
Lorsque le curé arrive et qu’il nous voit, il plisse les yeux et laisse échapper un soupir d’incompréhension. Il doit se rappeler nous avoir vus pour le même genre de cérémonie il n’y a pas si longtemps. Son allocution est émouvante, mais je n’écoute que le début. Mes pensées, souvent plus envahissantes que la réalité, prennent rapidement le pas sur le message qu’il nous livre.
Mes cuisses brûlent à cause de la douleur que je ressens. Mon corps vacille doucement de gauche à droite. Je m’assieds par terre, incapable de tenir debout plus longtemps. Patrice suit mon mouvement et s’agenouille à côté de moi. Sans lâcher la main de Patrice, je tamponne mes joues pour en éponger les larmes. Lui s’abstient de sécher les siennes pour me tenir serrée contre lui. J’approche ma main de son visage et l’effleure délicatement, essuyant ainsi toute trace de son chagrin. Il m’adresse un sourire, que je lui rends aussitôt. Je pose ma tête sur son torse pendant que la cérémonie se poursuit.
Seul mon physique est là, pendant que mon âme est ailleurs à chercher désespérément mon enfant. Je sauterais dans le trou avec lui pour le retrouver. Cela fait presque cinq mois que Joshua est décédé, et ni la douleur ni la mélancolie ne se sont apaisées. J’ai toujours autant de chagrin, même si j’ai l’air de fonctionner normalement aux yeux des autres. Je garde toutes mes larmes à l’intérieur de moi. Ainsi, je n’inquiète personne.
Quelle maman je fais!
En fin de semaine, c’est la fête des Mères. Qu’on ne me parle pas de ça, surtout. Pas cette année. Je saute mon tour. Je ne suis que le tiers d’une maman. Deux de mes trois enfants manquent à l’appel. Il me manque les deux tiers de mon corps, les deux tiers de mon cœur.
Heureusement, Félix n’en a pas conscience. Patrice ne paraît pas très à l’aise avec moi et je comprends sa gêne. Il ne sait pas comment agir ni de quelle façon s’y prendre pour ne pas me blesser davantage. Je ne voudrais pas être à sa place. Il m’embrasse et me laisse seule, comme je semble le désirer. Je ne bronche pas. Surtout, ne pas le forcer à rester avec quelqu’un qui ne vit plus, sinon dans les souvenirs de ses enfants disparus. Je fixe le mur, les yeux vitreux, et ne dis rien. Je ne parle ni ne pleure. Je pense, c’est tout. Je pense à tout ce dont je suis privée. On m’a dépouillée de l’amour de mes enfants, de leurs sourires. On m’a refusé leur présence et confisqué leur odeur. J’en veux à la vie, ou bien à la mort; je ne sais plus.
Dormir, mais comment?
Je suis prisonnière de mon corps. C’est lui qui détermine ce que je ressens. Moi, je ne peux rien changer. Mon cerveau et mon corps sont deux alliés qui jouent contre moi. Ce sont mes ennemis, mais je suis condamnée à vivre avec eux, à être leur marionnette, à répondre à leurs caprices. Ils me font vivre un instant la joie et, une fraction de seconde plus tard, ils m’imposent la peur. Ils font ce qu’ils veulent de moi selon leur fantaisie et je n’ai plus qu’à suivre. Ils ne se préoccupent pas de savoir si j’aurai mal.
Je sens que je vais devenir folle, au milieu de toutes ces pensées qui me hantent. Je le crois vraiment. Je n’ai plus d’intérêt pour ce qui me passionnait auparavant. La seule chose à quoi j’aspire, c’est de dormir toute la journée, mais je dois faire comme si le sommeil n’existait pas.
Car, le soir venu, pas moyen de dormir. L’insomnie et les cauchemars m’assaillent, et ma nuit se transforme en supplice. Mes rêves me semblent aussi vrais que la réalité et me font aussi mal. Si je rêve qu’un individu me tire dessus, ce qui m’arrive assez fréquemment, je sens chaque balle pénétrer mon corps. Si je rêve qu’une tornade nous emporte, mes cheveux tourbillonnent dans le vent comme ça se produisait vraiment. Si j’ai un accident de voiture, j’entends la tôle qui se froisse, je sursaute au bruit de l’impact et sens les fragments de verre qui meurtrissent ma peau; j’entends les gens qui m’accompagnent hurler de douleur. Je vois fréquemment mon corps inerte, sans vie.
Je compte les minutes. Chacune me paraît aussi longue qu’une heure. Mes peurs envahissent ma tête. Elles sont parfois absurdes et exagérées, mais elles sont incontrôlables. Je me répète sans cesse les mêmes histoires à faire peur. Ça tourne et tourne en boucle dans mon cerveau endolori, saturé d’images horribles. C’est encore pire lorsque je pense à l’accident de Joshua ou à la maladie de Naomy. Les images qui reviennent sans cesse me hanter et la sensation de revivre ces tragédies me semblent si réelles que je dois me lever et marcher pour me changer les idées. Et, quand je me lève, bonjour l’insomnie! Je ne dors plus, c’est terminé. Je pense et pense et pense… À quoi? À tout! À la mort. À ceux et celles que j’aime qu’elle pourrait atteindre. Aux catastrophes naturelles et à ce que l’avenir nous réserve. À ce que je ferais pour sauver Félix si un incendie se déclarait chez moi. Chaque fois, c’est le même scénario qui revient. Je sais exactement ce que je ferais pour m’en sortir. Lorsque j’y pense trop, il m’arrive même de me lever, d’aller vérifier si une conflagration ne nous menace pas et si Félix ne court pas de danger. Je m’assure que la porte est bien verrouillée. Je peux la vérifier deux ou trois fois. Je me lève aussi lorsque je ne suis pas certaine d’avoir bien regardé. J’ai peur qu’un psychopathe n’entre chez nous et ne nous massacre tous les trois. J’imagine la façon dont il s’y prendrait. Je crois réellement que tout ça arrivera et que je suis condamnée à ce que tout aille mal pour moi et ma famille.
Lorsque le soleil se lève et que mon calvaire prend fin provisoirement, je me dis que ce sera peut-être la dernière journée que je verrai le sourire charmant de mon fils. C’est ainsi tous les matins. Quand je le promène en poussette dans la ville, j’ai peur qu’une voiture nous heurte. Des mises en scène si réelles s’imposent à mon esprit que je frissonne et dois me contraindre à me calmer. Que je sois en voiture, à vélo ou à pied, c’est le même scénario horrible qui surgit. Je vois la mort partout. Lorsque je cuisine et que je manipule de la viande crue, je suis convaincue que je vais attraper une bactérie si je ne me lave pas fréquemment et frénétiquement les mains; mieux vaut ne pas toucher à la nourriture, et j’utilise de nombreux ustensiles pour la manipuler, alors que Félix ne doit pas m’approcher à ces moments-là pour ne pas s’exposer au danger. Je sais que le malheur peut survenir une troisième fois. Je ne suis à l’abri de rien. Aussi bien mettre toutes les chances de mon côté.
J’ai acquis quelques manies dont je ne suis plus capable de me défaire, des sortes de tics propres à conjurer la tragédie, selon des convictions irrationnelles que j’ai développées. Ainsi, si je donne la main à quelqu’un, je dois me laver les mains après. Je ne puis me décider à jeter un dessin de Félix, même s’il me le demande. Je dois remplir mon verre d’eau deux fois avant d’être capable d’en prendre une gorgée… Et ce ne sont là que quelques exemples. Mes journées sont remplies d’obstacles et de combats du genre qui ne laissent aucun répit à mes inquiétudes. C’est sûrement normal après ce que nous avons vécu.
Ouvre les yeux!
Mon médecin me téléphone pour m’annoncer une nouvelle qui devrait me réjouir.
— Je vous ai pris un rendez-vous demain avec un spécialiste. Il vous suffit de vous rendre très tôt à Québec. Le spécialiste vous verra dans la journée. Apportez-vous un livre. L’attente peut être longue.
J’attendais ce rendez-vous depuis plusieurs mois. Pas question de le manquer. J’annonce à Patrice la bonne nouvelle et m’assure auprès de ma mère qu’elle peut prendre Félix avec elle. Mes problèmes de santé physique ont toujours préoccupé Patrice. Il s’empresse d’organiser le voyage.
Une heure plus tard, je m’assieds et laisse échapper un long soupir de soulagement. Enfin, tout est prêt, je peux partir l’esprit tranquille. Félix s’approche de moi et me tend les bras. Je le prends et le serre contre moi. Soudain, une intense pression m’étreint au niveau de la poitrine. Qu’est-ce que c’est que ça, encore? C’est atrocement douloureux et ça ne passe pas. Je donne Félix à Patrice et me lève. Je manque d’air. On dirait que ma cage thoracique s’écrase sur mon cœur.
Mes pensées se bousculent. Sans trop m’en apercevoir, je pense à demain, à ce soudain rendez-vous? Pourquoi après tant de mois? Je dois faire garder Félix parce que nous partons vraiment tôt. Est-ce le destin qui nous tend un piège? Et si nous mourons, Patrice et moi? Si Félix se retrouve sans parents? Que va-t-il faire sans nous? Si c’était la dernière fois que je le vois et le prends dans mes bras! Cette journée serait-elle ma dernière? Je nous vois déjà dans le fossé, Patrice inerte et moi qui le regarde mourir. Est-ce que je mourrai instantanément ou si je souffrirai? Et Patrice? Je ne veux pas qu’il ait mal.
— Nous ne pouvons pas y aller!
Patrice me regarde, surpris, sans rien dire. Je poursuis :
— Il n’est pas question que nous fassions garder Félix! J’ai peur! Je ne peux pas partir. Je ne veux plus aller voir ce spécialiste!
Patrice s’approche doucement de moi, comme apeuré par ma réaction. Il tâche de me raisonner. J’attends ce rendez-vous depuis presque un an. Mais ma décision est sans appel.
— Je ne risquerai pas ma vie! Je ne prendrai surtout pas le risque que Félix se retrouve sans parents!
Je sais dans ma pauvre tête et dans mon cœur que cette réaction est exagérée, mais je suis en proie à une crise de panique que je n’arrive pas à surmonter. Je choisis la voie de la facilité : annihiler la peur, même au prix de mon bien-être physique. Mon choix est fait, il s’est imposé à moi comme évident.
Je tremble et regarde par terre, incapable de soutenir le regard de Patrice. Je sais que lui aussi attendait ce rendez-vous et qu’il trouve insensé que je ne m’y présente pas, pour des raisons qu’il juge futiles. Il ne comprend pas la terreur qui m’envahit lorsque je pense à tout ce qui pourrait arriver, ni que je n’arrive pas à la maîtriser.
Mais c’est plus fort que moi. Je n’ai peut-être rien à craindre, mais rien non plus pour me rassurer. Il peut m’arriver n’importe quoi. Ma propre existence m’échappe, aussi bien que celle de mes enfants. Comment puis-je faire confiance à la vie? Comment puis-je continuer à vivre normalement? Pourquoi ai-je toujours aussi peur de perdre de nouveau quelqu’un que j’aime? Tous les jours, presque toutes les heures, je crains qu’une tragédie survienne. Je vois la mort partout.
Je n’irai pas à Québec demain. J’assume totalement ma fuite. Je préfère de loin souffrir plutôt que de mourir. Ma décision est prise et je ne changerai pas d’idée.
Patrice tient sa tête entre ses deux mains.
La forêt qui m’affole…
Je sais à quel point Patrice aime aller en forêt. Depuis les fêtes, je redoute qu’il y retourne avec Félix. J’appréhende le jour où il décidera de se rendre au chalet de son père, en passant par l’endroit où l’accident a eu lieu. Ce jour est inévitable, assurément, mais je ne suis pas impatiente de le voir se manifester.
Il a dit à son père qu’il désirait revoir le lieu de l’accident. Il me l’a appris récemment. Moi, l’endroit ne me manque pas du tout et je ne suis absolument pas prête à y aller. Mon thérapeute m’a dit que je n’étais pas obligée d’y retourner si je n’en ressentais pas le besoin. Mais mon conjoint ne va pas passer le reste de ses jours sans plus se rendre en forêt, où il a déjà passé de bons moments avec Félix et son père.
— Je veux m’y rendre avec notre fils, me dit-il. Est-ce que ça te va?
Le voir partir seul me met à l’envers. Imaginer mon garçon si loin de moi pendant toute une fin de semaine me terrifie, mais je dois me faire violence. Je ne peux priver ni Patrice ni Félix de cette sortie. S’il fallait qu’il arrive quelque chose à l’un ou à l’autre, je m’en voudrais à jamais d’avoir empêché Patrice de vivre ce doux moment avec son fils. D’un autre côté, s’il leur arrive un pépin, c’est moi qui serai privée de leur présence. Ma tête tourne et mes oreilles bourdonnent, tellement je suis fébrile. Je ne sais plus quoi penser. Nous sommes mercredi, et il doit partir samedi.
— Vas-y, Patrice. Si tu ressens le besoin d’y aller, je ne t’en priverai pas. Mais ne m’oblige pas à vous accompagner.
Un trémolo s’installe au fond de ma gorge qui m’empêche de continuer. Patrice comprend que ces quelques mots m’ont demandé tout mon courage. Il s’approche de moi et me dit :
— Tu en es certaine? Je ne suis pas obligé de partir. Je peux rester avec toi…
Je lui coupe la parole.
— Arrête, sinon je vais te dire de rester ici. J’ai peur de vous perdre tous les deux et de me retrouver seule. Sois extrêmement prudent. Promets-moi qu’il n’arrivera rien!
Il me serre contre lui et me dit à l’oreille de ne pas m’inquiéter, qu’il m’aime et prendra soin de Félix.
Je passe les trois jours qui suivent dans la plus grande anxiété, avec le cœur qui s’affole dans ma cage thoracique. Je dois déployer des efforts surhumains pour ne pas que Patrice s’en aperçoive, ni non plus mon Félix. Je suis convaincue que c’est la dernière fois que je vois mon garçon et mon bien-aimé.
Pendant que Patrice effectue ses préparatifs, je fais les cent pas en regardant par terre et en essayant de rester souriante J’ai la certitude qu’on m’a jeté un mauvais sort. Patrice est manifestement inquiet. Il se demande certainement s’il est convenable de me laisser seule. Je devine ce qu’il pense et lui signifie que tout ira bien et que je suis assez grande pour m’occuper de moi. Mais je suis terrorisée. Il me donne un baiser. Est-ce que je vais flancher? Non. Je reste debout, bien que très ébranlée. Félix m’approche :
— T’aime, maman!
Cette fois, je flanche. Un océan de larmes coule de mes yeux, et je le serre contre moi.
— Maman t’aime très fort, chéri! Amuse-toi bien!
Patrice fait mine de revenir sur sa décision, mais je pointe la porte du doigt. Il m’embrasse de nouveau avant de me quitter.
Une fois la porte fermée, je m’effondre sur le plancher froid. Je reste ainsi pendant plusieurs longues minutes à pleurer et à crier ma douleur. Je suis seule et c’est mieux ainsi. Je ne veux pas qu’on souffre avec moi, qu’on me voie dans cet état de délabrement moral.
J’ai réellement besoin d’aide.
Des répercussions physiques
Loin de s’améliorer, ma santé se dégrade de semaine en semaine. J’ai d’affreuses migraines. Elles sont devenues quotidiennes. Mon estomac me donne du fil à retordre, et j’ai même été hospitalisée pour des ulcères il y a quelques semaines. J’ai contracté l’influenza et ai été hospitalisée de nouveau en raison de complications qui ont dégénéré en pneumonie. Mon système immunitaire est faible. Je ne dors plus, ou presque plus.
Mon médecin me dit d’écouter mon corps, qu’il me parle. Je ne l’écoute pas, parce que je sais ce qu’il essaie de me dire. J’ai beaucoup maigri et n’ai que très peu d’appétit. Je pèse à peine quatre-vingt-quinze livres et on me voit les côtes. Je perds mes cheveux par poignées. Il y a des mois où je n’ai pas mes règles, d’autres où je suis en hémorragie. Tous les jours, j’ai des étourdissements qui ne cessent que lorsque je me couche. J’ai souvent des engourdissements et des palpitations. Je fais fréquemment des crises d’hyperventilation.
Décidément, je ne suis pas à mon meilleur. Mon état de santé inquiète Patrice et je dois convenir qu’il commence à me préoccuper, moi aussi.