Comprendre
Qui aurait cru que, presque quatre ans plus tard, j’en serais revenue à une rencontre par semaine avec mon thérapeute, après les avoir espacées pendant un certain temps? Non pas que j’aie fait une rechute. Mais j’ai soif de vivre une vie saine. Je suis en constante recherche de bien-être.
Ma rencontre au centre commercial s’est avérée bien plus révélatrice que je ne l’avais imaginé. Ça a été ou c’est devenu un point tournant dans ma vie. Ça m’a obligée à travailler encore plus sur moi. Il faut absolument que je chasse les démons de ma tête. Sans doute feront-ils toujours partie de ma vie, mais j’aurai au moins la possibilité de les balayer hors de mon existence lorsqu’ils reviendront.
Lorsque j’ai revu cet homme, j’ai eu l’impression que mon monde s’écroulait. Ça m’a fait une drôle de sensation. Avec le recul, je trouve que ma réaction a été exagérée, et je tiens mordicus à comprendre pourquoi. Je veux saisir ce qui s’est produit à ce moment-là dans ma tête. Plusieurs consultations plus tard, je réalise mieux ce qui s’est passé. J’avais réglé l’épisode de l’accident et parvenais même à n’aborder le sujet que le moins possible, de manière à ne pas alimenter inutilement ma haine envers cet homme. Je ne ressentais pas le besoin de parler de l’accident. Lorsque des gens en discutaient en ma présence, je demandais gentiment qu’on change de sujet. Je ne voulais ni en parler ni en entendre parler. Mais ce moment de ma vie n’était réglé que jusqu’à ce que je le rencontre, apparemment.
La première image qui m’est venue alors, c’est celle de Félix tombant le visage contre le sol au moment où Joshua a été heurté. À cet instant précis, la vie de Félix a changé à jamais, et ce, contre son gré. Il a été emporté dans un grand tourbillon où la mort était aux premières loges. À partir du moment où cet homme a mis le pied sur l’accélérateur, il a fait basculer le destin de toute notre famille.
Je ne me souviens presque plus de la seconde année de vie de Félix. Je n’étais pas réellement présente. Mon corps était là, mais pas ma tête. Lorsque sa sœur est venue au monde et qu’il m’a vue, un jour, écrire dans son livre de bébé, il m’a alors demandé le sien. Je l’ai sorti, fière de le lui montrer, mais l’album était pratiquement vide à partir du milieu. Ça m’a déchiré le cœur de réaliser ce fait, je m’en suis voulu de ne pas l’avoir rempli, mais je ne l’avais pas fait exprès, c’était évident. Après le décès de Joshua, j’ai eu si peur d’oublier le passé que je n’ai pas su vivre le présent.
Chaque fois que je retrace ainsi les lacunes que la mort de mon fils a créées dans ma vie passée, j’en veux à cet homme. Je lui en voulais certainement pour l’événement lui-même, pour l’origine du malheur, mais j’apprenais lentement à moins y penser. Avec le temps, je lui en ai surtout voulu d’avoir transformé ma vie et celle de ceux que j’aime. De voir la vie de mon fils chambardée à cause de lui m’a été un martyre. Lorsque je l’ai rencontré au centre commercial, ce personnage, c’est tout ce ressentiment qui a émergé et qui m’a jetée à terre.
Est-ce que je lui en veux encore? Sûrement, mais pas de la même façon. Je lui en veux lorsque j’ai mal où lorsque j’ai des sautes d’humeur reliées à ces événements, lorsque Félix me pose des questions sur la mort et qu’il a peur, lui qui y a été confronté dès son plus jeune âge, lorsque je dois me battre contre mes peurs qui ne cessent jamais de me hanter. Je lui en veux, mais, la prochaine fois que je le rencontrerai, ce ne sera pas moi qui m’enfuirai. Je ne peux peut-être pas diriger ma vie et celle de ceux que j’aime, mais je peux mieux réagir pour qu’elle soit meilleure, plus heureuse. Et je sais que je suis plus forte que lui.
Mon album
Je compare souvent à un album de photos le traumatisme consécutif à un accident ou à d’autres grands évènements. Plus nous parvenons à surmonter le traumatisme, plus nous sommes en mesure de feuilleter l’album. Nous pleurons autant, nous avons beaucoup de chagrin en le regardant, mais nous savons, page après page, à quoi nous attendre. Le mal est le même, mais les émotions ressenties au moment de l’événement s’apaisent et s’adoucissent habituellement après quelque temps.
Un jour, nous remarquons que nous tournons les pages de l’album plus rapidement. Les photos sont les mêmes et font toujours aussi mal. Elles sont toutes aussi affreuses, mais nous ne nous attardons plus sur chacune des images trop longtemps, le but étant de ne pas alimenter nos peurs et notre peine.
Après un certain temps, nous rangeons l’album. Nous le sortons moins souvent, notre cerveau ayant enregistré suffisamment d’informations. Mais pour ça il faut du temps et du travail. Nous craignons toujours d’avoir trop mal à la vue des photos ou d’être submergés par le chagrin. Il ne sera jamais agréable de nous remémorer la tragédie, mais notre capacité plus grande de transiger avec nos émotions nous rassure. C’est normal au début d’avoir peur et de fuir et c’est bien plus facile, mais, si nous n’affrontons jamais nos peurs, nous les alimenterons. Le subconscient croira qu’il a raison de craindre. Le cerveau a besoin de se faire raconter plusieurs fois une histoire pour l’assimiler. Plus l’événement est marquant, plus le nombre de fois augmente. C’est un peu la même chose qui se passe à la suite d’un événement heureux. Une femme qui met un enfant au monde racontera son accouchement des mois durant.
J’ai ressorti les vêtements et les jouets de Joshua et les ai donnés à Félix. Sur le moment, le chagrin m’a fait la vie dure, mais l’enthousiasme de mon fils a tout de même réussi à me faire sourire. Félix est si heureux et fier de mettre les vêtements de son frère et de jouer avec ses jouets de grand garçon, que j’en éprouve de la joie avec lui. Il apprécie ce privilège.
Pour moi, c’est un autre pas dans la bonne direction; je pourrai feuilleter mon album un peu plus rapidement. J’associe maintenant ces objets au tendre sourire de mon fils et ça me réconforte. Je sais que Joshua trouve Félix très cool dans ses vêtements et cette pensée apaise ma douleur tout en me faisant bien rire.
Mélanie, comment vas-tu, présentement?
Je vois le début de la nouvelle année différemment. Je sais qu’elle sera belle. Je vois la vie bien plus positivement que par les années passées.
Je vais maintenant effectuer des témoignages publics au sein de cette thérapie sur l’anxiété qui m’a été tout à fait bénéfique depuis trois ans. J’ai vu, avec les années, l’ampleur de mon évolution. L’énergie du groupe m’impressionne toujours autant, et les gens qui y participent sont extraordinaires. Ils ne sont pas toujours conscients de cette force qui les habite, mais je sens qu’ils veulent surmonter leurs difficultés. De me faire dire que je suis un modèle pour eux m’aide à continuer de me battre. « Trouve ta motivation! » C’est ce que j’aime dire aux gens à qui je parle. Je vois et sens la souffrance dans leurs yeux. Je sais comme on se sent vulnérable lorsqu’on n’a pas ou qu’on ne connaît pas les outils pour se battre contre soi-même. C’est effrayant, décourageant et déstabilisant, mais c’est possible de remporter la victoire. Lorsqu’on trouve sa motivation, on est opportunément stimulé.
Avec le temps, j’ai compris qu’il est aussi difficile de se mettre en forme mentalement que physiquement. Il faut autant de discipline et de persévérance, mais c’est tout aussi important et bénéfique. Si vous désirez arrêter de fumer et faire plus d’activité physique, vous serez confronté à des difficultés, mais, une fois que vous aurez intégré l’habitude, vous vous sauverez probablement la vie. Il en va de même avec la santé mentale. Il faut en faire une habitude de vie et persévérer jour après jour.
Dans mon cheminement, il y a eu des moments où la persévérance m’a paru plus exigeante, où j’ai eu le réflexe de tout abandonner. J’ai immédiatement constaté des changements dans mon corps, dans ma tête et dans mon comportement. Des moments plus difficiles, je sais que j’en connaîtrai toute ma vie, mais je sais aussi que je pourrai les affronter avec succès.
Ma personnalité me prédispose à l’anxiété, mais j’ai en moi les ressources pour gérer mes émotions face aux événements. J’ai confiance dans les capacités que j’ai acquises avec le temps, à force de travail. Mon acharnement m’a permis d’avoir un autre enfant. Grâce à lui, je serai une meilleure maman, une meilleure épouse et une meilleure femme. Je sens que l’ancienne Mélanie revient doucement dans mon corps et qu’elle sera encore plus forte.
Je serai en mesure d’aider Félix lorsqu’il aura lui aussi une peur quelconque, parce que j’ai pris conscience qu’il est comme sa maman. Je lui fournirai les outils dont il aura besoin pour devenir un vrai combattant, lui qui a besoin que nous le rassurions fréquemment, que nous lui fassions savoir que nous serons toujours là, Patrice et moi, et que nous l’aimons de tout notre cœur. Il nous sentait malheureux, tristes d’avoir tant perdu. Il a lui-même connu le deuil bien jeune. Je veux qu’il ait une belle vie, exempte de la peur de se retrouver seul. Il a prématurément été confronté au fait que ceux qu’il aimait pouvaient le quitter. Cela fait de lui un enfant anxieux, qui cherche à attirer l’attention et montrer qu’il est en vie.
Sa personnalité explosive est attachante. J’aime ce qu’il est devenu et suis déjà très fière de ce qu’il sera. J’ai toujours été très honnête avec lui lorsqu’il m’interrogeait au sujet de la mort. Je me disais que, s’il posait la question, c’était qu’il était prêt à assimiler la réponse. Ça n’a pas toujours été facile de lui expliquer comment sa sœur Naomy, son frère Joshua et sa tante Janie sont décédés. La question pouvait surgir le matin au lever ou brusquement pendant que je ramassais la vaisselle.
La franchise et l’honnêteté de Félix me surprennent souvent. Lorsque je le vois qui a soif de savoir, je ne peux m’empêcher d’avaler ma boule dans la gorge. Je m’assieds tout près de lui et réponds à ses questions. Parfois, je verse des larmes sans m’en cacher. De toute façon, il connaît la cause de mon chagrin. Je lui explique qu’il est tout à fait normal de pleurer lorsqu’une personne que nous aimons nous manque. Il me demande très souvent de lui parler de sa sœur, de son frère et de sa tante Janie. Il pleure parfois et me dit qu’il s’ennuie des disparus et qu’il a peur de nous perdre. Il me raconte qu’il se souvient de Joshua. Il lui arrive même de me parler des choses qu’il a vécues avec son grand frère et dont je ne me souvenais plus. Sont-ce des événements réels ou les a-t-il entendus de la bouche de quelqu’un d’autre? Je préfère croire qu’il se souvient de Joshua. Il croit aux anges. Il regarde parfois le ciel dans l’espoir d’apercevoir quelqu’un qui viendrait le saluer.
Aujourd’hui, c’est lui qui explique à sa petite sœur où se trouvent Naomy, Joshua et Janie. Je crois qu’il s’y prend mieux que moi. Il est très près de ses émotions, probablement à cause de son vécu, bien qu’il ne soit âgé que de cinq ans. Ce sera un gars très solide. J’espère qu’il mordra dans la vie à belles dents.
Petites joies, grands bonheurs
Le bonheur est un trésor qui arrive et repart sans que nous nous en rendions compte. Il est là, parfois juste à côté de nous, à attendre que nous l’attrapions. Le bonheur ne réside pas dans un unique moment, mais dans de nombreux instants joyeux. Il nous fait sourire et nous fait pleurer.
Le bonheur, c’est mon fils qui me regarde et me dit que je suis belle. C’est ma fille qui rit aux éclats. C’est Patrice qui m’embrasse tendrement. C’est un bon souper en famille, une bouteille de vin entre amis. C’est offrir un sourire à un étranger. C’est une minute de soleil dans une journée pluvieuse. C’est un appel de ma mère lorsque ça ne va pas ou un câlin rassurant de mon papa. C’est une rencontre agréable lorsque nous sommes seuls. C’est une nouvelle chanson qui nous fait chanter et danser.
Le bonheur est partout, même lorsque nous pensons qu’il n’est pas là. Il s’agit d’ouvrir les yeux et de l’accueillir. Ce sont ces milliers de joies en apparence insignifiantes qui feront de moi une personne heureuse. Sans elles, je n’aurais pas la même envie de continuer. Chaque sourire est important et nous offre les douceurs de la vie.
La faux du destin
Elle est différente, la mort, maintenant que j’ai fait d’elle mon alliée. J’aimais mieux la percevoir comme une amie plutôt que comme une tortionnaire sadique. J’ai réalisé que, si elle n’existait pas, l’être humain n’aurait pas la même mentalité. Elle fait de nous des êtres plus attentionnés, plus forts, plus aimants. Sans elle, nous n’apprécierions pas la vie telle qu’elle est. Nous serions insensibles.
Au risque de surprendre bien des gens, j’affirme que je ne changerais pas de vie. De toute façon, même si je le voulais, je ne pourrais pas plus le faire que quiconque. À quoi bon me morfondre! Mes expériences ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Maintenant, lorsque je me regarde dans le miroir, je sais jusqu’où je suis capable d’aller lorsque je veux accomplir quelque chose. Mes enfants disparus, Naomy et Joshua, m’ont laissé un héritage précieux. Ils m’en ont probablement montré davantage en peu de temps que bien des gens ne m’en apprendront en plusieurs décennies. Je suis fière d’être la maman de ces deux petits anges. Ils m’ont choisie et m’ont appris à apprécier la vie. Je ne vivrai plus jamais de la même façon. Chaque seconde est importante, je l’ai appris à grands frais.
Alors? Est-ce que je changerais de destin? Ça, jamais! J’ai aujourd’hui rassemblé mes trois vies pour ne m’en faire qu’une seule. C’est ma vie, et elle ne pourra qu’être magnifique. Elle regroupe les plus beaux personnages, les cœurs les plus tendres et une recherche intensive d’amour.
J’apprécierai chaque saison et ce qu’elle m’apporte. Je respirerai toutes les odeurs à pleins poumons et vivrai les émotions qu’elles me rappelleront. Je pleurerai ce qui me fera de la peine et dirai ce que je ressens. Je peindrai les images qui passeront dans ma tête et écrirai les paroles que je ne pourrai pas dire. Je retrouverai la femme qui s’est perdue au fil des années et des événements. Je m’accomplirai dans mon rôle de maman et deviendrai une épouse exemplaire. Je me donnerai le droit de faire des erreurs, étant donné que je ne suis pas parfaite.
La vie est sur le point de me reconquérir… et je me laisserai séduire.
Addict de l’accompagnement
L’année 2009 commence, et rien ne pourra m’empêcher d’en faire la plus belle de toutes celles que j’ai vécues. Je vois mon psychologue depuis quatre ans déjà. Cet homme fait partie de ma vie, maintenant, mais plus les rencontres s’accumulent, plus je m’aperçois que je suis apte à trouver mes réponses moi-même. Mon thérapeute me connaît probablement mieux que plusieurs de ceux qui gravitent autour de moi. Il devine que je ne me sens pas bien, ou il sait quoi me dire à tel moment précis pour que je vide mon sac. Je sais, c’est son travail, mais je ne crois pas que la thérapie aurait pu marcher avec un autre psychologue. La première fois que je l’ai rencontré, j’étais très réticente à me confier à un étranger, mais je me suis abandonnée parce que je n’avais plus de points de repère, plus rien à perdre non plus. Je crois à la première impression que quelqu’un nous fait. Ça nous trompe rarement. Lui, il m’a instantanément inspiré confiance. Son approche a été la bonne, dans mon cas. J’ai tout de suite senti qu’il pouvait m’aider, que nous pouvions faire un bout de chemin ensemble. Si ça avait été le contraire, je n’aurais probablement jamais remis les pieds dans son bureau.
Il m’a aidée à me faire confiance, à avoir foi en mes capacités. Il m’a appris à me connaître et m’a enseigné à trouver les bons chemins pour accéder au bonheur. Je ne le connais pas. Je ne sais pas où il habite, ni s’il a une femme ou des enfants, ni s’il aime les chiens ou préfère les chats. Je ne sais rien de lui, mais lui sait pratiquement tout de moi. Avec lui, je n’ai pas de retenue. Je peux tout lui dire et je n’ai pas l’impression de lui faire de la peine. Je n’ai pas peur de le blesser. Il est là pour m’écouter et me guider dans mes choix. Il ne me veut pas de mal, seulement du bien. Son travail est de m’aider à être heureuse. Il a probablement sauvé ma vie aussi bien que mon couple et il m’a permis d’éviter bien des maux de tête. Il m’a montré pourquoi je devais me battre. Mes rencontres avec lui ont constitué l’une des expériences les plus difficiles de ma vie, mais aussi l’une des plus importantes. Cet homme est entré dans mon existence un peu contre ma volonté, mais je lui en serai éternellement reconnaissante.
Mardi le 12 janvier 2009. J’entre dans son bureau et m’assieds discrètement, comme à mon habitude. Les deux dernières rencontres s’étant avérées très chargées en émotions, j’espère que celle-ci le sera un peu moins. Même après quatre ans, j’appréhende toujours un peu ces séances. Comme toujours, l’heure s’écoule rapidement. Pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir mon meilleur ami devant moi. Les mots sortent d’eux-mêmes, et je n’ai aucune difficulté à expliquer mes impressions. Je laisse même couler quelques larmes, ce qui le surprend, évidemment. Je suis parfaitement bien et je crois qu’il le sent. Il m’écoute attentivement. Il semble fier de moi. J’ai accompli quelque chose et je suis remplie de fierté. Je voudrais que cette discussion ne s’arrête jamais. Cette rencontre restera probablement à jamais gravée dans ma mémoire. Vers midi, je m’aperçois que mon temps s’est écoulé. Mais j’ai le sentiment qu’il veut me dire quelque chose.
— Et nous deux? laisse-t-il tomber.
Je fais comme si je ne comprenais pas. Mon estomac se noue, et une boule me monte à la gorge. Veut-il me dire que nos rencontres prennent fin maintenant? J’ai peur, et les larmes me montent aux yeux. Je ne peux pas me faire à l’idée que je ne viendrai plus dans ce bureau. Mes idées se bousculent et je sens mon cœur sur le point d’exploser. Est-ce que je serai capable de survivre sans le voir? Je crois que je vais pleurer, tellement j’ai le cœur gros. Il croise les bras et m’explique :
— Vous savez, Mélanie, que je ne vous dirais pas ça si je ne vous sentais pas prête à voler de vos propres ailes. J’ai confiance en vous et en vos capacités. Regardez-vous! Regardez tout le travail que vous avez accompli depuis quatre ans. C’est immense. Vous avez une telle envie de vous en sortir! J’ai confiance en vous!
Je pleure. Je ne peux plus contenir mes larmes. Je ne peux pas imaginer ma vie sans lui. Un tel lien de confiance s’est créé entre lui et moi!
— Mais j’ai tellement de peine! lui dis-je. Moi aussi, je sais que je pourrais voler seule, mais j’ai peur. Je suis une personne très anxieuse, vous le savez!
— C’est normal que vous ayez de la peine, c’est un deuil, que vous vivez présentement, Mélanie. Vous m’avez fait confiance pendant quatre années, et j’en suis très touché.
Je ris, essuie mes larmes et lui dis :
— Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude des deuils et je vais me sortir de celui-là! Même que, si vous avez besoin de trucs, vous n’avez qu’à me faire signe.
Nous rions tous les deux. Je poursuis :
— Je ne serai pas capable de continuer si je n’ai pas l’occasion de partager ce que j’ai appris. C’est comme un besoin qui dort en moi, et j’y pense très souvent. C’est comme si ce qui m’est arrivé devait absolument servir à quelque chose, à aider les gens, par exemple. C’est comme un chemin tracé devant moi que je ne peux pas ignorer. Vous savez, les témoignages que je rends dans les séances de thérapie de groupe, ça me fait le plus grand bien. Je sais que ça aide les gens, ils me l’affirment. Ça me nourrit et me rappelle que les événements qui ont jalonné ma vie, aussi malheureux soient-ils, me permettent au moins de soutenir les autres. Tous les témoignages que j’ai rendus depuis maintenant presque deux ans ont été bénéfiques pour moi. Ça me rappelle chaque fois pourquoi je dois continuer. J’aimerais donner des conférences.
Il saute aussitôt sur l’occasion.
— Mais pourquoi pas? Vous semblez douée pour l’écriture. Écrivez! Vous verrez bien ce que l’avenir vous réservera. Ayez confiance, Mélanie. Il est normal que vous ressentiez le besoin d’aider les gens à travers ce que vous avez vécu.
Je hausse les épaules et lui réponds :
— Mais qui suis-je, pour écrire un livre?
Il se lève et sourit. Il pose sa main sur mon épaule et me dit :
— Vous êtes-vous, Mélanie St-Germain. Vous êtes une personne intègre, animée par une soif de vivre peu commune.
Je sors du bureau en pleurant. Impossible de m’arrêter. Je ne remettrai plus les pieds là. Pourtant, je peux avoir confiance en moi, le psychologue me l’a dit. Il suffit que je me prenne en main.
Je relève la tête et quitte l’immeuble. Le soleil me fait plisser les yeux. Il illumine tout de ses chauds rayons qui se réverbèrent sur la neige de janvier. Je souris.
Je peux avoir confiance en la vie…