La confidente
Ainsi donc, mue par des sentiments nobles plus en adéquation avec ceux de sa chère famille, Rebecca mène ses études avec une telle assiduité que chaque année se passe sans encombre, sans aucun échec. Bien sûr, quand elle est en vacances à Gassin, près de Ramatuelle, elle s'octroie l'une ou l'autre petites aventures avec les jeunes étudiants qui la draguent à Saint-Tropez. Il faut bien que le corps exulte. Cette fois, elle n'hésite même plus à se balader nue sur la plage de Pampelonne, attirant moult regards admiratifs sur son anatomie ainsi exposée aux yeux de tous, jeunes et moins jeunes. Mais ces relations sexuelles passagères ne lui apportent décidément plus autant de plaisir, tant spirituel que physique, que tous les plaisirs qu'elle a connus avec le cher cousin Bertrand, installé définitivement aux States, et avec Olivier, trop tôt disparu. Rebecca prend conscience de ce manque de satisfaction sexuelle mais elle avait fait une promesse à Olivier, et pour honorer sa mémoire, elle veut la tenir, quitte à ne se satisfaire que de masturbations de plus en plus souvent répétées sous la douche ou dans le bain.
À vingt-deux ans, elle obtient une maîtrise en sciences sociales et communication dans le domaine de l'informatique, un diplôme qui satisfait enfin toute la famille. Elle aussi bien sûr, mais pour Rebecca, désormais, il faut rattraper le temps perdu sur le plan de sa sexualité qu'elle avait volontairement et pratiquement anesthésiée pour mener à bien ces stupides études. Quant à trouver l'homme idéal, celui qui répond parfaitement à tout ce qu'elle attend, comme l'était Olivier en somme, on ne lui en laisse même pas le temps. Dans les familles de haut rang, on ne se marie pas, on n'épouse pas, on marie ou on fait épouser. Question d'honneur.
C'est ainsi qu'au cours d'une grande réception, Rebecca est présentée à Édouard de la Molinière. Jeune aristocrate qui a réussi brillamment H.E.C et Sciences Politiques, jeune loup aux dents longues, reconnu dans son milieu comme appelé à un brillant avenir dans le domaine de la finance. C'est vrai qu'il est assez bel homme, cheveux châtain clair, fine moustache, d'allure sportive, un franc-parler agrémenté d'une certaine aptitude à glisser quelques traits d'humour dans ses conversations. Il rappelle par certains côtés le cousin Bertrand. Le contact s'établit donc facilement entre Édouard et Rebecca. Un an de fiançailles, puis le mariage en grande pompe dans un château loué pour la cérémonie sur les bords du Rhin.
Les premières années de mariage se passent honorablement (terme employé couramment dans la bourgeoisie et qui permet de ne pas s'étendre sur des choses qui ne nous regardent pas, comme on dit là-bas). La pierre d'achoppement, car il y en a une, c'est bel et bien la sexualité. Si au début l'entente est bonne, sans être parfaite, Rebecca se rend rapidement compte que pour son cher mari le sexe passe au second plan, et encore ! Bien loin après son désir d'ascension au sein de la banque luxembourgeoise, bien loin après ses voyages d'affaires, ses entretiens primordiaux avec tel ou tel financier. Et quand il lui arrive d'avoir un excès de désir sexuel, l'affaire est vite réglée. Couche-toi là, ouvre bien les cuisses, je me couche sur toi, et voilà ! Rebecca trouve donc un exutoire dans le fitness, la natation, les instituts de beauté, et la lecture.
*
Au centre de fitness qu'elle fréquente à Strasbourg, Rebecca a retrouvé une amie de lycée, Clotilde Meysieux. C'était la seule à n'avoir pas ri de Rebecca quand celle-ci lui avait confié ses frasques avec son cousin Bertrand et ses rendez-vous hebdomadaires avec un greffier du tribunal. Au contraire, Clotilde l'écoutait d'une oreille attentive, intéressée même. Ironie du sort, le destin a voulu que cette chère amie Clotilde devienne une écrivaine érotique, ce qui, bien entendu, intéresse son amie au plus haut point. Rebecca lit donc les productions de Clotilde, en devient friande, mais devient surtout grande admiratrice d'un autre auteur qu'elle a découvert grâce à Internet, et dont elle a acheté tous les bouquins. Celui-là, un certain Gil D..., écrit des ouvrages dans lesquels l'héroïne connaît des relations sexuelles pour le moins sulfureuses, sortant régulièrement des sentiers battus. Ce qui n'est pas sans rappeler l'adolescence mouvementée de Rebecca. Plus elle s'adonne à ces lectures, plus elle sent se raviver en elle cette flamme mise longtemps en veilleuse ; elle sent grandir à nouveau sa soif de sexualité, de rapports fréquents dans lesquels elle peut se livrer sans retenue, ce qui, hélas ! n'a jamais été le cas avec ce cher Édouard. Ah, il est bien loin le temps où son cousin Bertrand lui avait appris à bien sucer un homme, à recueillir sa semence en bouche, puis lui avait fait connaître les premiers plaisirs de l'amour en la prenant dans une petite crique de Saint-Tropez ! Ah, il est bien loin aussi le temps où Olivier lui avait fait prendre goût à la sodomie (terme qu'il ne fallait même pas prononcer devant Édouard, il aurait risqué une attaque d'apoplexie !) et s'était initié avec elle aux différentes positions du kama-sutra ! Maintenant, tout ce dont Rebecca doit se contenter, ce sont ses fantasmes et ses lectures de journal intime qui l'aident à devenir experte dans l'art de la masturbation. Mais heureusement, il y a aussi Clotilde, devenue au fil des jours une amie intime. L'amie à qui l'on peut confier son bonheur, ses chagrins.
Comme à l'époque du lycée, Clotilde écoute toujours, avec autant d'attention. Oh ! elle n'a pas le physique de mannequin de Rebecca, Clotilde, non. Mais pas pour autant désagréable à regarder. Cheveux noirs, courts et un peu bouclés, elle a un joli visage de poupée qu'elle sait maquiller avec soin elle aussi. Pour le reste, elle est un peu enveloppée, bien en chair dirons-nous, avec une poitrine de quatre-vingt-quinze bonnets C, un beau gros cul (« mon cul de belle cochonne » comme elle aime à le définir elle-même), et pèse environ soixante-dix kilos pour un mètre soixante-douze.
À cette chère Clotilde, Rebecca confie donc le manque d'intérêt d'Édouard pour le sexe, elle confie aussi qu'elle pallie ce manque par des masturbations régulières dans son bain en lisant les bouquins de son amie et ceux de cet auteur sulfureux. Clotilde écarquille les yeux en voyant le nombre de sex-toys que renferme l'armoire personnelle de son amie dans la salle de bains.
— Tiens, tu devrais essayer celui-là, ajoute Rebecca en riant et en tendant à son amie le gros gode noir avec fonction vibratoire à deux vitesses. Tu verras, ma chérie, avec lui, on est vraiment bien remplie, et quand tu enclenches la deuxième vitesse, waouh, j' te dis pas, tu te trémousses, tu cries, tu pars dans un orgasme démentiel. Putain ! Je me demande si ça existe, une bite pareille.
Clotilde pouffe de rire et accepte le prêt d'un aussi bel engin sans discussion. Puis, elles se retrouvent toutes deux soit dans la piscine, soit dans le salon à siroter un porto, à raconter encore et encore l'une ses fantasmes anciens et nouveaux provoqués par ses passionnantes lectures, l'autre les façons dont son mari la baise régulièrement en la traitant « d'écrivaine perverse » ou de « grosse cochonne ».
— J'ai la chance d'avoir un mari qui adore ce que je fais, affirme Clotilde, et qui aime mon corps comme il est. C'est lui qui m'a dit un jour, alors qu'il me prenait en levrette, que j'avais un cul de grosse cochonne qui incite à la saillie. Ce que ça m'a excitée d'entendre ça, je ne te dis pas !
Tout ouïe, Rebecca écoute son amie lui raconter comment son mari lui suce le clitoris très développé après lui avoir mâchonné les grandes lèvres dans un bruit de succion obscène.
— Quand il me suce le clito, ajoute encore Clotilde, il enfonce un doigt dans mon anus et je me pince les bouts de seins à m'en faire gémir de douleur. Bernard sait à quel point je suis friande de ça, et je me tortille sur le lit en sentant mon clitoris gonfler dans sa bouche et son doigt tourner de plus en plus vite dans mon cul.
— Et sa bite, elle est comment à ton cher mari ?
— Pas mal du tout. Comme il a été circoncis, son gland est toujours sorti, tout rose. C'est vraiment fort agréable à sucer, et j'aime aussi quand je reçois tout son foutre en bouche. Après, on s'embrasse et on mélange nos salives dans un long baiser fougueux. On est cochons, mais on s'adore comme ça.
Mais Clotilde voit bien, dans ces moments de bonne humeur, que son amie en a gros sur le cœur. Ses frustrations sexuelles la rendent quelque peu maussade, et les masturbations, même répétées à une cadence effrénée, ne suffisent pas à étancher sa soif. Les fantasmes de Rebecca deviennent trop nombreux, trop élaborés même.
— Tu es trop jeune pour rester ainsi, Rebecca. Tu dois voir du monde, prendre un amant. Au moins, ça calmera tes tensions. C'est courant, tu sais, dans ta classe sociale. Ton cher Édouard n'en saura rien, si tu fais attention. Et le calme reviendra dans ton couple. Tu seras tranquille.
— Bof ! Maintenant, avec tous les fantasmes que je me suis construits en lisant tes bouquins et ceux de ce... Gil je ne sais plus comment... je me demande si un amant m'apaiserait vraiment.
Intéressée, Clotilde demande à voir ces ouvrages en question dont Rebecca a oublié le nom de l'auteur mais pas le prénom.
— Ah, ben ça alors ! s'exclame-t-elle en voyant les livres apportés par Rebecca. C'est donc avec lui que tu t'envoies en l'air dans ton bain. Façon de parler, bien sûr, ricane Clotilde. Eh bien, figure-toi que je le connais bien... enfin, quand je dis bien...
Clotilde explique à son amie que cet auteur réside dans la même commune qu'elle, à Obernai, à une vingtaine de kilomètres au sud de Strasbourg. Mais elle le connaît aussi pour l'avoir fréquenté à plusieurs reprises dans des salons littéraires où ils dédicaçaient tous les deux.
— À le voir, on ne dirait jamais que ce gars-là est un auteur sulfureux. C'est vrai que l'habit ne fait pas le moine ! précise-t-elle avec un large sourire.
— Ah bon ? Il est comment, physiquement ? demande Rebecca soudain fort intéressée.
— Oh ! il n'a vraiment rien du play-boy, mais enfin... on pourrait dire qu'il soigne quand même son apparence. Et je dois dire que franchement il ne fait pas son âge.
Comme une gamine, le rouge aux joues, les yeux pétillant de curiosité, Rebecca veut en savoir plus sur son auteur préféré, à cause de qui, ou plutôt grâce à qui, elle se masturbe autant en se créant chaque fois de nouveaux fantasmes.
— Il est si vieux que ça ? demande-t-elle.
— Il passe la cinquantaine, ça c'est sûr. Des cheveux châtain clair, abondants et bouclés, une moustache, des lunettes à monture métallique. Pas très grand, une taille moyenne en somme. Et dans le quartier, bizarrement, je le vois toujours entrer ou sortir seul de chez lui... Étrange pour un écrivain porno.
Après un court silence, Clotilde feuillette un ou deux livres de son rival littéraire.
— C'est une écriture bien moins fine que la tienne, n'est-ce pas, Clotilde. Toi, c'est la plume érotique d'une main féminine, lui c'est plutôt la pornographie pour faire tout de suite mouiller, ou bander, c'est selon. Toi, je dirais que tu fais dans le fantasme édulcoré, le rêve érotique de femme décrit avec finesse, tandis que lui écrit avec force détails des situations perverses hors-norme.
— Je vois, je vois, conclut Clotilde en souriant. En fin de compte, en lisant cet auteur, tu retrouves un peu tes frasques d'adolescente, et maintenant tu rêves de frasques de femme mûre, je parie.
— Ben oui ! C'est ça, ma chérie. Souvent, je m'imagine à la place de l'héroïne, voilà ! Que veux-tu ? Avec le mari que j'ai...
La discussion s'achève là. On prend une dernière tasse de café, un dernier petit biscuit, et Clotilde repart chez elle, à Obernai, en promettant de revenir la semaine suivante, comme chaque mercredi. Une fois la grille refermée derrière la Peugeot de son amie, Rebecca reste l'esprit rêveur, un bon moment, en achevant sa tasse de café et son porto. Quel drôle de hasard quand même ! Son amie intime, auteure érotique, habite dans le même village que son auteur porno préféré.
Dans sa voiture, Clotilde aussi pense qu'il s'agit là d'une bien étrange coïncidence. « Le hasard existe-t-il donc vraiment ? Ou le destin est-il bel et bien tracé pour chacun d'entre nous ? » se demande-t-elle.