La rencontre
Clotilde est bien décidée à sortir Rebecca du marasme psychologique dans lequel elle se trouve plongée bien malgré elle. Une détresse due à une trop grande frustration sexuelle. Bien au fait du passé tumultueux de son amie, un lointain passé certes, elle se doute que la moindre petite étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres, à réveiller l'eau qui dort. Mais Clotilde sait aussi que son amie est maintenant une femme mûre, réfléchie, mariée à un homme issu de la riche bourgeoisie, tout comme elle. Si Édouard n'est pas à la hauteur des exigences de sa chère épouse, celle-ci prendra sans doute un amant, comme elle le lui a conseillé. Mais pas de danger que Rebecca prenne le risque de faire éclater deux familles bourgeoises pour lesquelles tout ne va pas si mal après tout.
Édouard en voyage d'affaires aux États-Unis pour la banque dont il est le P.-D.G., Clotilde en profite pour inviter Rebecca au salon littéraire de Dijon, où elle restera deux jours pour dédicacer son dernier ouvrage.
— Ça te changera les idées, Rebecca. Tu verras du monde, tu discuteras avec d'autres personnes que celles que tu vois toujours au centre de fitness.
Mais Clotilde a une autre idée en tête, qu'elle garde bien sûr secrète pour en faire la surprise à son amie le moment venu. Vers la fin de la soirée, au moment où petit à petit les badauds commencent à quitter la salle dans laquelle les écrivains sont alignés en rangs d'oignons pour dédicacer leurs bouquins (un peu à la façon des putes exposées en vitrine dans les bordels belges), Clotilde se lève de table et entraîne Rebecca, restée à côté d'elle tout l'après-midi. Elles se dirigent toutes deux vers le bar où discutent déjà quelques écrivains libérés de leurs agréables obligations. Seul sur un haut tabouret, occupé à boire tranquillement une bière blonde, un homme observe les deux femmes qui semblent s'approcher de lui. Il reconnaît Clotilde, avec qui il a déjà discuté au cours de salons littéraires précédents. Au moment où elle fait les présentations, Rebecca reste bouche bée, muette, tant la surprise est grande.
— Rebecca, je te présente ton auteur favori. Gil, voici une de tes admiratrices qui possède tous tes bouquins.
Clotilde esquisse un large sourire, elle savait l'effet que sa surprise allait créer tant chez l'un que chez l'autre.
— Ça alors ! s'exclame l'auteur en question.
Par habitude sans doute, il observe le visage de Rebecca mais a vite fait également de la déshabiller d'un seul regard. Ce qui semble quelque peu déstabiliser la belle bourgeoise qui ne s'attendait pas à se trouver ainsi face à face avec celui qui la fait tant fantasmer par ses écrits.
— Je manque vraiment à tous mes devoirs, s'exclame-t-il encore en appelant le serveur du bar.
On prend les boissons et on s'installe à une petite table qui vient de se libérer. On enrichit donc un peu plus les présentations de l'un et de l'autre. Gil D... se dit bien évidemment flatté d'apprendre à quel point Rebecca dévore ses ouvrages autant que ceux de son amie Clotilde, mais au fond de lui-même il ne peut s'empêcher de se demander comment une bourgeoise à l'allure aussi distinguée peut ainsi passer son temps à lire des bouquins érotiques et pornos plutôt que jouer au bridge et au tennis avec ses amies, comme c'est souvent le cas dans cette branche de la société. Il reste même ébahi quand il entend Rebecca lui citer le nom de la plupart des héroïnes de ses ouvrages, y compris d'ouvrages datant de quelques années déjà. À son tour, Rebecca fait renouveler les boissons. Atmosphère plus détendue, l'auteur s'absente un moment vers les toilettes. Clotilde glisse alors dans l'oreille de Rebecca que son auteur préféré ne refuserait pas une invitation à dîner au Petit Vatel, une des bonnes tables dijonnaises où l'on sert une cuisine du terroir dans deux petites salles aux tables espacées, ce qui laisse assez d'intimité aux clients.
— Mais, Clotilde..., d'habitude, c'est l'homme qui invite, non ? réplique Rebecca, étonnée que son amie lui propose un tel geste.
— Écoute, ma chérie, ici, tu te trouves dans le monde étrange de la littérature marginale. Alors, oublie tes habitudes de bonne fille bien élevée, si je peux dire. Dans notre milieu, tout est marginal, y compris une invitation à dîner.
Après tout, pourquoi pas, pense Rebecca. Dès le retour de Gil, on continue à consommer les cafés et la bière, en parlant de tout, de rien, et surtout de littérature. À un moment, l'auteur porno regarde sa montre. Clotilde écarquille les yeux en croisant le regard de son amie, qui comprend le rappel.
— Monsieur D..., déclare Rebecca, je suis tellement heureuse de vous rencontrer qu'il me serait agréable de poursuivre notre conversation autour d'une bonne table. Accepteriez-vous que je vous invite à dîner ? À moins bien sûr que vous ne soyez déjà retenu...
Décontenancé par cette proposition qu'à vrai dire aucune femme ne lui a jamais faite, Gil jette un regard vers Clotilde qui lui fait un rapide clin d'œil.
— Non... enfin, je veux dire... non, je ne suis retenu nulle part, mais je ne sais si je peux...
— Oh ! je vous en prie, monsieur D..., j'en serais vraiment ravie !
— Puisque vous insistez...
Clotilde elle-même paraît fort surprise, non pas de la proposition qu'elle a elle-même suggérée, mais bien par le ton et le langage employés par Rebecca, qui ne sont vraiment pas les siens d'ordinaire.
*
Rebecca, Clotilde et Gil se retrouvent donc au Petit Vatel. Les deux petites salles sont remplies, non seulement de touristes en cette période de congés de Pâques, mais aussi de nombreux écrivains venus de toutes les régions de France. Comme les tables sont bien séparées, cela ne crée effectivement aucun problème pour les conversations dont les sujets peuvent paraître parfois étonnants et interpeller quelques oreilles indiscrètes. Pendant l'apéritif, Gil rappelle aux deux charmantes dames qui lui tiennent compagnie que Vatel fut maître d'hôtel du Grand Condé, et que sa mort tragique a été rendue célèbre par Madame de Sévigné.
— Si vous descendez un de ces jours en Provence, je vous invite à visiter le château de la marquise à Grignan. Il en vaut vraiment la peine, ajoute-t-il.
Quelle n'est pas sa surprise d'entendre Rebecca répondre :
— Oh ! mais si je vais en Provence, j'espère surtout visiter le château du marquis de Sade !
Aussitôt, l'auteur part dans un grand éclat de rire, disant que celui-là n'est pas près d'être visité.
— L'endroit est charmant, il est vrai. Lacoste est un petit village typiquement provençal, avec un très bon petit resto, en plein cœur du Luberon. Mais pour ce qui est du château du divin marquis, ce ne sont que des ruines, des vieilles pierres... Un grand couturier parisien est d'ailleurs sur le point de le racheter pour le restaurer... Qui sait ? Peut-être vivrons-nous assez longtemps pour voir son château restauré, à ce cher Donatien-Alphonse.
Le repas se poursuit dans la bonne humeur, Pouilly-Fuissé sur saumon cru, Hautes-Côtes de Nuit sur magret de canard rendent aux trois convives l'esprit guilleret, désinhibent de plus en plus Rebecca, fort honorée par ailleurs par la proposition de tutoiement venant de son auteur adoré. Celui-ci et Clotilde plaisantent tout en approuvant le bien-fondé des comparaisons de style établies par Rebecca à propos de leurs ouvrages respectifs.
— Tu es vraiment une très bonne lectrice, Rebecca. Franchement, quelle analyse bien fouillée ! affirme l'auteur.
— Oh ! je dois reconnaître que ça se limite à la littérature érotique et pornographique ! Pour le reste, tu sais, je n'ai lu que les auteurs programmés au lycée.
— Je te l'ai dit, Gil, intervient Clotilde, à ce sujet-là, elle en connaît un rayon.
De verre en verre, Rebecca confie les lectures qui ont meublé son adolescence, les auteurs qui l'avaient le plus marquée à l'époque, tels Sade, Miller, Deforges, et autres Louÿs. Quand arrive le moment du café et du pousse-café, Clotilde se retire pour rentrer à son hôtel, prétextant une légère fatigue afin de laisser Rebecca et Gil faire plus ample connaissance. Satisfaite dans son for intérieur de l'effet de la surprise réservée à son amie, tout autant qu'à son collègue écrivain, elle est loin d'imaginer le genre de suite que cette rencontre quelque peu impromptue va engendrer.
La soirée se prolonge donc au Petit Vatel pour Rebecca et Gil D..., et de pousse-café en pousse-café, cognac pour l'un, amaretto sur glace pour l'autre, de café en café, on va de confidences intimes en secrets d'alcôve de plus en plus épicés. Gil est tout ouïe en entendant Rebecca lui confier sa triste vie sexuelle de femme mariée à un P.-D.G. de banque luxembourgeoise, trop souvent absent, tandis que lui-même avoue vivre seul depuis pas mal de temps et qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire pour un auteur porno, ne collectionne pas les maîtresses.
— Gil, je ne suis pas une bourgeoise comme les autres, tu l'as déjà remarqué, n'est-ce pas. Moi, j'aime parler crûment, appeler un chat un chat, une bite une bite, ça ne t'ennuie pas, j'espère, que je parle un peu comme dans... tes livres.
— Bien sûr que non, je t'avouerai d'ailleurs qu'à ce sujet-là je suis très heureux de tomber enfin sur une femme comme toi. Les gens sont tellement coincés qu'on dirait que prononcer les mots couilles, cul et bite, ça va leur arracher la langue.
Malgré le vin blanc, le rouge et les trois cognacs, Gil reste quand même stupéfait en entendant Rebecca lui confier, dans les moindres détails, ses frasques d'adolescente, sa défloration à quinze ans par un cousin germain après l'avoir sucé plus d'une fois et bu son sperme avec délices, sa petite partouze dans un club de tennis pour son seizième anniversaire, son apprentissage du kama-sutra et de la sodomie avec un greffier du tribunal de Strasbourg, alors qu'elle n'avait que dix-sept ans. Non, franchement, jamais Gil D..., auteur porno depuis belle lurette, ne se serait attendu à de pareils aveux, surtout de la part d'une femme issue et vivant toujours dans la haute bourgeoisie. En outre, cette bourgeoise raconte son passé dans un langage qui ne sied guère aux gens de son rang, mais ça, Gil ne s'en soucie pas le moins du monde. Il attrape son verre de cognac et vide le fond d'un trait. Il a en face de lui une femme très spéciale, fort portée sur la sexualité. Mais une femme qui souffre dans sa chair, au plus profond de son intimité. D'ailleurs, dans un moment de lucidité, la fièvre aux joues, elle murmure :
— Je me demande vraiment pourquoi je te raconte tout ça, Gil. Tu dois me prendre pour une affreuse... dévergondée, malgré mon rang social, n'est-ce pas ?
Gil rassure sa charmante interlocutrice, ce n'est quand même pas chose courante d'être ainsi invité à dîner par une ardente admiratrice, bourgeoise par-dessus le marché. Cela fait deux bonnes raisons pour ne pas la décevoir. Et comme au fond de lui-même, il est sincèrement ravi d'entendre de pareils propos sortant de la bouche d'une belle nana de trente-sept ans, il y va de quelques mots bien pensés.
— Ne va surtout pas te culpabiliser de me raconter un passé aussi... riche, n'est-ce pas, Rebecca, déclare l'auteur avec un large sourire. Tu sais, j'écris tellement d'histoires plus salaces les unes que les autres... Alors, entendre une femme aussi... distinguée me raconter qu'elle aime les histoires de cul et me confier d'une telle façon celles qu'elle a déjà vécues, ça me ravit, tu dois t'en douter. Tu sais, si je pouvais, je te raconterais mes fantasmes, mais...
— Oh ! mais Gil, tu peux... tout ce que je souhaite, c'est... disons devenir ta confidente privilégiée, comme tu l'es pour moi...
Un court silence tombe sur la petite salle de restaurant où seule une autre table est encore occupée par deux hommes. L'auteur jette un coup d'œil à sa montre. Déjà minuit trente. Allez, un dernier café sera bien nécessaire pour faire passer tout ça. Mais ni l'un ni l'autre ne disent plus grand-chose, fatigués sans doute, l'esprit embué par les vapeurs d'alcool. Rebecca appelle le serveur pour régler la note et faire appeler un taxi.
— Non, non, Rebecca. J'ai été trop heureux de...
— Ah, non, Gil, pas question ! C'est moi qui t'ai invité avec mon amie Clotilde. Toi, eh bien, j'espère que... ce sera pour une prochaine fois, non ? ajoute-t-elle le regard plein de malice.
— Bien sûr, bien sûr... ce serait trop moche d'en rester là, n'est-ce pas. Dès demain matin, je prends le train pour Genève, au bord du lac Léman. J'y passerai une semaine chez ma sœur avant de rentrer à Obernai.
— Quelle chance pour vous ! Et quel dommage pour moi ! Clotilde et moi ne repartons qu'après-demain.
Chacun glisse à l'autre sa carte de visite, et surtout, on promet de s'écrire. On a tant de choses encore à se dire.
— Nous n'habitons pas loin l'un de l'autre, c'est vrai, affirme Gil. Obernai n'est qu'à vingt-cinq kilomètres de Strasbourg. Mais je suis persuadé que cela nous ferait beaucoup de bien à tous deux d'échanger nos confidences par écrit. Qu'en penses-tu ?
Elle est ravie, sous le charme, la belle madame Müller. On s'embrasse, sur la joue, mais Rebecca ne résiste pas à presser sa poitrine contre le torse de Gil. Le baiser est appuyé au coin de la bouche, mais Gil s'écarte. Simplement parce qu'il ne bande pas. Trop d'alcool sur une soirée. Il est donc trop tôt pour transformer la relation amicale en relation charnelle. Et puis, dans l'état d'ébriété où ils sont tous deux, qu'en retireraient-ils ? Rien. Il a sommeil, il sent bien qu'il ne banderait pas suffisamment longtemps pour amener la belle bourgeoise au septième ciel. Quant à elle, encore un peu plus saoule que lui, pour sûr, elle s'endormirait à peine allongée. Le taxi appelé pour Rebecca est déjà là de toute façon, elle s'y engouffre. Tandis que l'auteur n'a qu'une centaine de mètres à parcourir pour être à son hôtel. Ça lui rafraîchira sûrement les idées.
*
De retour à l'hôtel, Rebecca ne résiste pas à l'envie de prendre une douche, histoire de faire passer ces vapeurs d'alcool qui la rendraient malade si elle se couchait dans l'immédiat. Sous les jets d'eau chaude, des tas de scènes lubriques défilent dans son esprit, des scènes dans lesquelles intervient cette fois son auteur favori, que dès à présent elle appelle son auteur chéri. La voilà à nouveau l'héroïne d'un roman écrit par Gil D..., mais maintenant elle le connaît, elle lui a parlé, elle s'est confiée à lui, ils vont s'écrire. Ah, quel plaisir ! Elle va partager des secrets d'alcôve avec un écrivain porno. C'est vrai qu'il est bien plus âgé qu'elle, plus de vingt ans de différence, ça compte, certes. Mais il ne paraît pas son âge. « Et puis, il m'a dit qu'il avait plein de fantasmes pervers ! Waouh ! Qu'est-ce qu'il doit être vicieux ! Qu'est-ce que j'aimerais les satisfaire, tes fantasmes, putain ! Gil ! » pense-t-elle. L'insatiabilité sexuelle de la belle bourgeoise refait surface, surgit comme un diable de sa boîte. Au fond, Olivier aussi était bien plus âgé qu'elle. Et qu'est-ce qu'elle s'est éclatée avec lui, le pauvre greffier du tribunal qui avait été le premier à l'enculer. « Putain ! Qu'est-ce que ça me manque d'avoir une bite dans le cul ! Quel con, cet Édouard ! Il ne saura jamais ce qu'il rate, ce P.-D.G. de mari ! » Toujours sous la douche bienfaisante, elle se savonne les seins, yeux mi-clos, se pince et étire ses gros mamelons. Sa main descend vers son bas-ventre, savonne la toison blonde finement taillée à l'Iroquois, ouvre sa vulve fort épaisse. Rebecca se mord la lèvre en s'enfonçant un doigt dans le vagin. Puis, ses longs doigts fins et manucurés de bourgeoise distinguée vont chercher le clitoris, l'incitent à sortir de sa cachette, l'étirent, le pincent. Rebecca jouit, glousse à n'en plus finir. Elle veut se masturber jusqu'à ce qu'il n'y ait plus suffisamment d'eau chaude pour rester là. Des tas d'images salaces défilent devant ses yeux, Gil est son maître ès-sexe, son marquis de Sade. Elle se savonne l'anus, y enfonce son index tout en étirant plus fort encore son gros bouton gorgé de sang. Ah, si elle avait la bite de Gil en bouche, elle le viderait comme elle sait si bien le faire. Elle laisse éclater sa jouissance et crie à en réveiller tout l'hôtel.
L'eau n'est plus assez chaude, les vapeurs d'alcool semblent avoir quitté son cerveau. Il est près de deux heures du matin. Il faudrait dormir un peu. Clotilde l'attend pour le petit déjeuner à huit heures trente dans la salle à manger du même hôtel. Merde ! Clotilde occupe la chambre voisine ! Pourvu que...