Chapitre 7

Correspondance passionnée

Rebecca passe la semaine suivante dans un état inhabituel d'impatience mêlée d'excitation, son esprit rêvasse du matin au soir. Elle qui n'aimait pas écrire lorsqu'elle était adolescente, qui avait éprouvé pas mal de difficultés même pour remplir les pages de son journal intime, abandonné d'ailleurs après la mort tragique d'Olivier, elle va écrire à un écrivain. Et ça, pour elle, ce n'est pas une mince affaire. Comment va-t-il juger son écriture, ce Gil D..., lui le pro de l'écriture ? Alors, enfermée dans son bureau, elle écrit brouillon de lettre sur brouillon de lettre, des tas de papiers chiffonnés jonchent la corbeille. Zut ! Ils ne peuvent pas rester là, ces témoins de sa relation épistolaire avec un auteur porno. Sa corbeille sous le bras, elle file dans un coin du parc pour brûler tout ça. Elle a gardé le bon brouillon qu'elle va recopier et puis elle le brûlera à son tour. Mais elle est décidée, Gil doit recevoir sa première lettre dès qu'il rentrera du lac Léman. Pas question qu'il pense que cette rencontre à Dijon n'était qu'une simple rencontre comme en font tous les écrivains lors de salons littéraires, une rencontre sans lendemain. Pour elle, cette rencontre si bien arrangée par son amie Clotilde (« Pas oublier de la remercier, celle-là, tiens ! »), doit marquer le début d'une nouvelle vie. Une vie endormie depuis trop d'années, une vie dans laquelle son sexe se mourait d'ennui, même si elle lui apportait régulièrement quelque pitance sous forme d'ersatz de grosses bites bien longues et raides. Et son cul, bordel ! Son cul aussi a faim, merde ! Il en a marre de se satisfaire de jolis doigts de bourgeoise ou aussi d'autres ersatz de bites plus fines et plus longues. Elle rêve, elle imagine, puis elle se rend compte qu'elle ne peut pas brusquer les choses dans un premier courrier. Il faut finasser, mais ça, c'est pas son truc, à Rebecca. Elle fera donc un effort, dans la mesure de ses possibilités. Après tout, n'a-t-il pas dit qu'il n'était nullement choqué par le langage qu'elle employait, même pour une bourgeoise ? Après tout, n'écrit-il pas comme ça, lui aussi, dans ses bouquins pornos qui la font tant jouir dans son bain ou sous la douche ? Alors, elle recopie tranquillement, mais d'une main tremblante cette première lettre. Celle d'une grande admiratrice à son auteur favori, qu'elle a quand même invité à dîner et qui a partagé avec elle certaines confidences.

*

Strasbourg, le 22 avril 2007

 

Cher Monsieur D...,

Cher Gil,

Jamais vous, non, comme vous me l'avez si aimablement permis, j'écris donc TU, voilà. Je recommence en te prévenant que je n'ai hélas ! pas le don de l'écriture, il faudra donc, cher Gil, que tu te montres fort indulgent dans ce domaine. Tout le monde ne peut pas être écrivain, n'est-ce pas. D'ailleurs, je t'avouerai (ne ris pas trop, hein) que toute cette semaine, pendant que tu profitais du climat et des paysages merveilleux autour du lac Léman, j'ai passé mon temps à faire des tas de brouillons pour cette lettre. C'est te dire à quel point je considère notre relation comme importante. Cette rencontre avec toi a été comme un déclic, si je puis dire. Tout ce que je souhaite du fond du cœur, c'est que tu ne penses pas qu'elle n'a été que la rencontre d'un soir, comme tu as dû en faire beaucoup au cours des salons littéraires où tu as dédicacé. Pour moi, pouvoir enfin parler de tout ce qui concerne le sexe avec quelqu'un d'autre que mon amie Clotilde, m'est apparu comme un soulagement. Tu t'es rendu compte, surtout lorsque nous étions seuls, à quel point j'aime parler de ces choses. Alors, en parler avec un homme qui écoute, et qui, par pur bonheur, est un écrivain porno dont j'ai lu, et relis même, tous les livres, cela représente pour moi quelque chose d'indéfinissable. Je te le dis tout net, Gil, quand nous sommes sortis du restaurant, j'étais persuadée que tu allais m'emmener dans ta chambre pour me baiser, j'attendais ça avec une impatience folle. Mais tu as eu raison de ne pas le faire, après tout ce que nous avions bu, nous n'aurions pu faire les choses qu'à moitié, et encore. Et nous aurions été déçus, chacun de son côté. Tu as donc eu l'attitude qu'il fallait vis-à-vis de cette petite bourgeoise qui t'avait confié ses aventures sulfureuses d'adolescente dévergondée. D'ailleurs, figure-toi qu'avant d'aller me coucher, j'ai pris une douche pour faire passer les vapeurs d'alcool qui étaient sur le point de me rendre malade. Je n'aurais pas pu me coucher dans cet état. Et une longue douche bien chaude m'a toujours été bénéfique sur ce plan. Seulement voilà ! (J' te dis tout, hein, puisqu'on s'est promis de tout se dire.) Sous la douche, j'ai commencé à me caresser les nichons en pensant à toi, à tirer sur mes bouts de seins, puis comme ça allait mieux tout doucement, je me suis mise à fantasmer de plus en plus, à recréer les scènes de ton dernier livre, et je me suis bien masturbée en imaginant des tas de trucs. J'ai joué tant et plus avec mon clitoris gonflé. J'ai même crié un peu fort sous la douche, et j'ai bien eu peur qu'on m'entende car figure-toi que Clotilde occupait la chambre d'à côté. Le lendemain, au petit déjeuner, elle ne m'a rien dit et n'a fait aucune allusion. Ouf !

J'espère que tu as passé une bonne semaine chez ta sœur à Genève. C'est un endroit que je ne connais pas. D'après ce qu'on m'en a rapporté quand j'étais encore ado, c'est un endroit sublime. Bon ! Je ne vais pas être trop longue pour un premier courrier, sinon tu te lasseras vite de moi, et je n'y tiens absolument pas. Cette correspondance avec toi me fait enfin revivre, je vais enfin pouvoir écrire ma détresse sexuelle à un écrivain porno qui me comprend. C'est avec une grande impatience que j'attends ta première lettre, tu t'en doutes. Je t'embrasse.

 

Rebecca, la drôle de bourgeoise

Obernai, le 30 avril 2007

 

Chère Rebecca,

J'ai été très touché de trouver ta lettre dès mon retour de Genève, je ne m'attendais pas à une réaction aussi rapide. Mais tu as bien fait, attendre nous aurait sans doute un peu refroidis tous deux dans notre élan. Ne dit-on pas qu'il faut battre le fer tant qu'il est chaud ? Tu vois, j'ai écrit « nous... » et aussi « notre élan ». Tu comprends donc que moi aussi je considère cette nouvelle relation comme fort importante, et qui pourra, j'en suis persuadé, nous aider tous deux à mieux vivre. Je commencerai par te dire que tu n'as aucune crainte à avoir au sujet de ta façon d'écrire, ce n'est bien sûr pas moi qui vais me mettre à la critiquer, au contraire. Surtout, reste toi-même en écrivant, ne change rien à cette femme que tu es, à cette « adolescente dévergondée » (c'est toi qui le dis) devenue femme amoureuse du sexe bien avant « l'âge prévu pour ça » ! Ah, quelle sottise, que cette façon d'empêcher les filles et les garçons d'approcher la sexualité à leur façon et quand ils en ressentent le besoin. Donc, continue à écrire avec tes mots, ceux que tu aimes employer, et qui sont d'ailleurs ceux que j'emploie dans mes bouquins. Je pense que c'est de cette façon que nous nous entendrons et que nous nous comprendrons le mieux.

Moi aussi, sache que je suis vraiment très heureux d'avoir fait la connaissance d'une admiratrice qui se masturbe en me lisant. Je reconnais qu'au premier abord, j'ai été un peu décontenancé par le fait que cette façon de me parler soit celle d'une bien jolie femme, très distinguée, appartenant à la bourgeoisie. Mais après coup, cela m'a réellement ravi. « Tiens, me suis-je dit, voilà une bourgeoise qui aime les histoires de cul et de fesses, et qui ose le dire ! Une femme rare, en somme ! » Si, si, je suis sincère, Rebecca, c'est ce que je me suis dit à ton sujet. Quant à l'envie que tu avais que je te baise ce soir-là, sache qu'en bon auteur porno, (enfin, « bon », c'est moi le qui le dis, mais comme j'ai un fan-club constitué de femmes, hum, c'est que je ne suis pas si mauvais que ça), et n'étant pas aveugle, je l'avais bien remarqué. Te sentir presser tes nichons contre mon torse était un signe d'invitation, sans oublier ce baiser appuyé au coin de ma bouche. Ah, si seulement, on avait moins bu ! (Et avant le resto, j'avais déjà descendu quelques chopes de bière au bar du salon littéraire !). Je me suis donc écarté un peu de toi car malgré toute ta beauté, toute la sensualité que tu dégageais, eh bien, figure-toi que mon sexe n'était pas de marbre (ah, s'il l'avait été !) mais plutôt de pâte à modeler ! J'aurais donc été bougrement gêné, honteux même vis-à-vis d'une aussi belle femme, aussi libérée surtout. C'eût été un affront à ta féminité. Tu as donc raison de penser que c'eût été aussi une réelle déconvenue pour notre première rencontre. (Je suis d'ailleurs tombé endormi dès que mon corps a touché le matelas.) Et puis, il me semble que notre objectif premier n'est pas de baiser ainsi dès la première approche, mais bien d'abord de se confier l'un à l'autre, de nous dévoiler sans la moindre retenue, d'oser nous avouer ce que nous gardons en nous et qui nous fait tant souffrir. Car sache que moi aussi, chère Rebecca, je souffre de certaines frustrations qu'il faudra que je couche sur papier.

Bon ! Moi non plus, je ne veux pas te paraître trop ennuyeux pour ce premier courrier, et deuxième échange en somme (surtout sans avoir bu !). Gageons que notre relation épistolaire sera pleine d'aveux ô combien enrichissants, tant pour l'un que pour l'autre. Moi aussi, j'attends avec impatience tes confidences, les confidences de l'admiratrice d'un auteur porno. Je salue d'ailleurs cette franchise que tu as eue de me dire que tu te masturbais en me lisant. De mon côté, j'attends donc que tu me racontes avec moult détails ta défloration à quinze ans et ta première sodomie à dix-sept pour me branler à mon tour. Tu vois, voilà une première confidence, belle bourgeoise.

Je t'embrasse.

Gil, ton auteur fétiche

*

Dans sa lettre du huit mai, Rebecca remercie chaleureusement Gil de partager ainsi pleinement leurs prochaines confidences. Elle répond à la demande de l'auteur en lui racontant sa première fellation offerte à son cousin Bertrand, alors qu'elle n'avait que quatorze ans, la façon dont il l'avait déflorée à quinze ans dans une petite crique près de Pampelonne, sa fameuse première partouze pour son seizième anniversaire avec des amis du club de tennis de La Croix Valmer. Bien sûr, elle avait déjà évoqué ces faits lors de leur dîner à Dijon, mais sans entrer dans des détails sulfureux qui auraient pu atteindre les oreilles d'autres clients du restaurant. Par jeu sans doute, ou plutôt par attente d'une véritable réciprocité, elle finit sa lettre en promettant qu'elle racontera prochainement sa première sodomie avec le greffier du tribunal de Strasbourg, mais qu'elle attend elle aussi quelques réelles confidences de la part de son auteur chéri.

Obernai, le 20 mai 2007

 

Ma chère Rebecca,

Avec toi, et j'en suis réellement heureux, sache-le, je crois que je vais aller de surprise en surprise. Quelle « belle adolescence » tu as eue ! Si, si, je le pense. Toi, au moins, tu as su très tôt ce que signifiait sucer un homme jusqu'à la moelle. Être une femme à quinze ans, moi, je trouve ça fort bien. J'ai adoré lire le compte-rendu de la petite fête qui t'avait été réservée au club de tennis de La Croix Valmer. Ça me fait bougrement regretter de ne pas m'être mis au tennis, et surtout de ne pas avoir fait partie de ce club. Ah, dis donc ! En te lisant, je m'imaginais à la place d'un de ces tennismen enfonçant sa grosse bite dans ta jolie bouche de jeune fille délurée et sexy, et je te l'avoue, de ligne en ligne, chère Rebecca, je bandais de plus en plus fermement. Ça te plaît, d'imaginer ton auteur chéri en train de bander, hein ? Avoue ! (Autre chose aussi, peut-être ?)

Quant à des confidences sur ma propre vie sexuelle, elles ne seront jamais aussi riches que les tiennes. En effet, j'ai été marié plus de quinze ans avant de m'échapper. Je dis m'échapper car à l'époque je m'étais découvert un goût pour les lectures érotiques (tout comme toi), et devais les cacher sous peine de subir les foudres d'une épouse élevée religieusement de manière fort rigoriste. Vivant seul par la suite, je m'étais essayé à l'écriture, et c'est ainsi que j'ai découvert ce don, cette facilité plutôt pour l'écriture pornographique. J'ai eu de toutes petites aventures avec l'une ou l'autre femmes, mais tout cela est resté sans suite. Pourtant, à toi, je peux le dire, l'une d'elles, une infirmière, passait pour une véritable experte en relations amoureuses, tant elle collectionnait les amants comme certains les timbres-poste. Étrangement, cette femme me faisait peur, tu comprends. Elle avait eu tellement d'amants que je ne voyais pas comment être au-dessus du lot. Elle avait un vagin étrange, qui s'élargissait quand on y enfonçait deux doigts, puis trois, au point qu'on pouvait carrément y mettre toute la main. Et elle voulait toujours qu'on lui pince les mamelons de plus en plus fort afin qu'elle gémisse de douleur. Ça la mettait dans de drôles d'états. Il m'est arrivé de la revoir pour lui offrir mes bouquins dédicacés qu'elle dévore, elle aussi, mais elle est loin d'avoir ta classe, ta beauté, ton allure sexy. Je te le dis tout net, elle n'avait pas sur moi un effet semblable au tien. Cela fait bien quatre ou cinq ans que je ne l'ai plus vue. Elle s'est remariée avec un commissaire de police et sa santé est plutôt déficiente. Trop de tabac, trop d'alcool. Alors, si je peux me permettre un conseil, si tu veux mener une vie sexuelle tambour battant, être toujours une belle femme sexy et attirante, ne bois pas trop et ne fume pas. Quant à moi, désormais, je vis seul, d'écriture, de fantasmes pervers, tu t'en doutes, encore plus pervers depuis que je t'ai rencontrée, ma chère Rebecca. Heureusement, mes pulsions, je peux les faire passer par ma plume. Dans mon prochain courrier, je te raconterai tout ce que j'imagine pour faire de notre relation une relation qui soit, disons, hors-norme. Je parie que ça te plaît aussi, ça, non ? Il faudra que tu me racontes comment tu te masturbes, avec tous tes petits jouets spéciaux dont tu m'as dévoilé l'existence. Allez ! Je t'embrasse, en attendant tes autres « petites histoires cochonnes et bandantes ». Tu vois, même si ton style n'est pas celui d'un écrivain, tu parviens à faire passer tes sentiments, tes sensations, et surtout à me faire bander. J'ai hâte de lire ta première sodomie, et j'ai envie de t'appeler « ma petite bourgeoise salope ».

 

Gil, que tu mets dans un drôle d'état.

Plutôt que répondre par écrit, cette fois Rebecca prend le téléphone, espérant que Gil est chez lui. Sa gorge se noue en entendant la voix de son auteur au bout du fil.

— Alors, on ne m'écrit plus, jolie bourgeoise ? demande aussitôt Gil.

— Tu vois, tu oublies déjà une promesse faite dans ta lettre ? répond aussitôt Rebecca.

— Ah, bon ? Laquelle, donc ?

— Tu avais dit que tu m'appellerais « ta petite bourgeoise salope ». Tu viens d'oublier le dernier mot..., mon Gil chéri.

Mais la conversation ne dure pas longtemps, Gil insiste pour que Rebecca lui écrive encore une ou deux lettres, il fera de même bien sûr. Mais Rebecca insiste sur un point :

— J'aimerais que tu m'écrives comme dans tes bouquins, tu comprends. Moi, quand je te raconte comment Bertrand m'a déflorée, j'ai tout écrit pour toi, dans les détails, je t'ai parlé de sa bite dans mon con, de son sperme que j'adorais avaler. Je t'ai dit ce que ça m'avait fait d'en sucer trois dans les vestiaires du club de tennis, de recevoir deux bites de suite dans le vagin. Je veux bien encore te raconter comment Olivier m'a enculée la première fois, mais je veux que tu me racontes ce que tu imagines depuis qu'on s'est rencontrés, et que tu me donnes des précisions sur notre relation que tu voudrais hors-norme. Voilà ! Tu promets ? Moi aussi, je fantasme sur notre relation, Gil.

Gil accède à la promesse de sa bourgeoise et raccroche le combiné.

Dès le lendemain, Rebecca reprend la plume pour raconter avec force détails sa première sodomie avec Olivier, son apprentissage du kama-sutra, et son drôle de cadeau de Noël quand elle avait reçu Olivier et son collègue du tribunal durant tout un après-midi, les recevant chacun dans sa bouche, dans son con et dans son cul. « Et je n'avais encore que dix-sept ans à l'époque, je te le rappelle, mon cher Gil. Tu vois, j'aurais pu être une des jeunes maîtresses du divin marquis, non ? Mais laquelle ? Justine, Faustine, ou encore... ? À toi de choisir, mon chéri. » Elle lui raconte aussi ses multiples façons de se masturber dans son bain avec ses sex-toys dont elle donne même une description précise. Et signe sa lettre : Rebecca, ta bourgeoise salope.

*

Obernai, le 10 juin 2007

 

Rebecca,

Ah, ce que femme veut, elle l'obtient. Mais aujourd'hui, j'écrirai un peu moins, manque de temps, tu comprends. Mon dernier roman n'avance pas. Notre relation et les fantasmes qu'elle engendre viennent se mêler de façon intempestive à l'histoire que je dois écrire. Pense donc ! Me voilà en présence d'une femme qui, effectivement, aurait été un modèle pour Sade, c'est vrai. Mais tu n'aurais été ni Justine, ni Faustine, ni Madame de Saint-Ange, tu aurais bel et bien été Rebecca de la Molinière, cela aurait mieux sonné dans ses ouvrages que Müller. Le maître aurait été ravi d'avoir aussi à faire à une fille de dix-sept ans avec un corps aussi attirant de femme mûre, qui lui aurait offert ses seins dénudés avec ses gros tétons, ouvert sa vulve et son cul à l'envi. Et je me dois de reconnaître que celui qui fut ton amant trop peu de temps, ce greffier du tribunal de Strasbourg, savait y faire pour te faire aimer la sodomie. D'autre part, t'imaginer dans ton bain en train de t'enfoncer ton gros gode noir dans le con et le fin blanc dans le cul m'a donné la fièvre. Une fois de plus, chère petite bourgeoise salope, je me suis bien branlé en lisant tes confidences. Moi aussi, grâce à toi, je me sens revivre, je me branle bien plus qu'avant. J'ai même failli inonder mon clavier d'ordinateur, si tu veux le savoir.

Tu voulais des confidences, je viens de t'en faire. Mais voici ce qui devient une véritable obsession : j'imagine que je te fais vivre ce que vivent mes héroïnes, que je suis ton maître et que tu m'obéis au doigt et à l'œil. Tu t'ouvres sur mon ordre, tu montres et offres ton sexe et ton cul à qui je veux, tu es « la bourgeoise salope de Gil D... ». Si je t'écris cela, c'est parce que tu m'as confié que pour t'envoyer en l'air avec tes sex-toys, tu t'imagines toi-même dans la peau de mes jolies héroïnes que j'avilis, qui se laissent avilir pour mieux en jouir, qui savent que le chemin du plaisir est bien souvent parsemé de ronces et qui connaissent de cette manière des jouissances exceptionnelles. Bien sûr, cela restera à l'état de fantasme, sinon nous formerions un couple plutôt diabolique, non ? Notre relation épistolaire me fait un peu penser à celle qu'ont eue, dans les années trente et quarante du siècle passé, Henry Miller et Anaïs Nin. Des auteurs que tu dois connaître, d'ailleurs tu m'as confié que tu avais ce cher Miller dans tes bouquins, parmi ceux de Sade et de Louÿs, entre autres. Mais leur correspondance était bien plus « classe » que la nôtre, il me semble. Je pense que nous, c'est juste pour nous confier nos frustrations sexuelles, nous raconter nos histoires de cul. Qui sait ? Un jour parlera-t-on peut-être de la relation étrange entre une bourgeoise dévergondée et un écrivain porno ? À ce propos, quelque chose me préoccupe quand même : cela ne te dérange donc pas, chère Rebecca, que j'aie vingt-deux ans de plus que toi ?

 

Gil. Le futur maître d'une bourgeoise salope ?

Strasbourg, le 18 juin 2007

 

Gil, mon maître,

Ta dernière lettre m'a mise dans tous mes états, autant te le dire tout de suite, je l'ai lue et relue, dans mon bain ! Tu comprends ce que ça veut dire, hein, Gil. Tous mes sex-toys ont servi trois jours de suite. Et je vais te dire ce qui me fait le plus jouir (je sais que tu n'attends que ça, mon beau salaud d'écrivain porno) : c'est de penser que ton fantasme à notre sujet se réalise bel et bien. En imaginant que je t'obéissais, à poil ou en sous-vêtements sexy, en imaginant tout ce que tu m'ordonnais de faire, je me triturais le gros bouton, et je m'étais enfoncé mon gode à double pénétration, la grosse branche dans le con et la fine dans le cul ! T'es content ? Putain, j'ai rarement joui ainsi.

Bien sûr que je sais que Henry Miller et Anaïs Nin ont entretenu une longue correspondance, et que ces lettres-là ne contenaient pas des propos comme les nôtres. Ben oui ! D'accord ! Ils étaient plus classe ! Mais eux, ils se voyaient, merde ! Eux, ils étaient amants ! Et nous, hein ? Je me fous que tu aies vingt-deux ans de plus que moi. Toi, au moins, la sexualité, tu sais ce que c'est, sauf que comme moi tu vis de frustrations et rien d'autre. Tu ne crois pas qu'il serait temps que tu viennes enfin me faire goûter ton braquemart autrement que par papier à lettres interposé, tu ne crois pas qu'il serait temps que tu me pelotes réellement les nichons, que j'ai hâte de sentir mes gros bouts gonfler dans la paume de tes mains d'écrivain, de sentir mon clitoris être aspiré par tes lèvres, de sentir ta bite s'enfoncer dans mon cul, merde ! Dis, on va attendre encore longtemps, hein ? Par ailleurs, je vais te dire, il s'est produit quelque chose de nouveau dans mon couple, avec mon idiot de mari P.-D.G. de cette grande banque à Luxembourg. Je ne sais pas ce qui m'a prise, un coup de folie sans doute, que j'ai même envie de répéter suite à ses réactions fort bizarres. Je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'il réagisse ainsi. J' te raconte : un soir qu'il se disait une fois de plus trop fatigué pour me baiser, je lui avais dit tout de go que j'allais prendre un amant. Il m'avait répondu : « N'hésite pas ! Comme ça, tu seras calmée... et moi par la même occasion. Mais le pauvre, je le plains ! » ça m'avait enragée, j' te dis pas. Alors, le lendemain, pendant que j'étais dans mon bain, je lui ai téléphoné à sa banque pour lui dire que j'étais en train de me faire baiser par un écrivain porno. Je suis restée stupéfaite en l'entendant à l'autre bout du fil me demander de lui expliquer comment ça se passait. Je n'ai jamais dit ton nom, n'aie crainte, mais j'ai inventé comment je t'avais longtemps sucé, et comment tu étais en train de me prendre à quatre pattes en me traitant de « bourgeoise salope » et en me pelotant les nichons comme lui ne l'avait jamais fait. En racontant ça, je t'assure, je me masturbais dans l'eau chaude du bain mousse et je haletais vraiment. Il m'a même demandé : « Et il te fait bien jouir, au moins, ce pornographe ? » Évidemment, j'ai répondu que je n'avais jamais joui autant, et il a raccroché. À ce moment, moi aussi, j'ai joui follement dans le bain en m'enfonçant mon plus gros jouet. Ce soir-là, quand il est rentré, il m'a embrassée comme si de rien n'était. On a parlé de tout et de rien, de son boulot à la banque, de ma séance de natation avec Clotilde, mais de rien d'autre. Il avait l'air détendu, d'une humeur agréable. Aucun reproche, rien ! Aucune allusion même à ce que je lui avais raconté au téléphone. Alors, je me suis dit que je recommencerais à lui raconter une autre histoire un de ces prochains jours. Faudra que j'invente un autre amant, pour voir s'il réagira. Enfin, voilà où j'en suis, mon Gil. Ta petite bourgeoise salope attend impatiemment que tu viennes enfin lui ramoner le con et le cul. J' n'en peux plus, moi. Je t'embrasse.

Ta Rebecca

*

Une telle lettre fait largement sourire Gil. Mais c'est loin d'être un sourire de moquerie, pas du tout. Plutôt celui d'un homme amplement satisfait. Pensez donc, c'est la première fois dans sa vie qu'il échange un tel courrier, de telles confidences avec une femme prête à tout pour satisfaire leur sexualité à tous les deux. Lui, l'écrivain porno qui n'a jamais fait qu'inventer des histoires torrides, dans lesquelles le sexe est vécu d'une manière excessivement sulfureuse, le voilà en passe d'en vivre une. Jamais encore une femme ne lui avait écrit pour lui demander de venir la baiser, d'une part, et d'autre part en employant des mots aussi crus. Cette bourgeoise doit être une véritable femelle en chaleur, pour demander ainsi qu'on la baise, qu'on lui suce le clitoris, qu'on la pelote, qu'on la bourre autant par la grande entrée que par la petite. Putain ! ça doit être rare, ça, non ? Dès sa lecture terminée, il se sert un whisky, allume un cigare, et file s'asseoir sur la terrasse arrière de sa jolie maison, un peu en surplomb du jardin où il cultive quelques fleurs. Pas le temps de se consacrer à un potager, avec ses deux boulots. Cette première journée de l'été est fort agréable, il a fait soleil sur toute l'Alsace, et la température a avoisiné les vingt-deux degrés. Il est dix-huit heures. Sa journée de travail en tant que secrétaire de mairie ne s'est pas trop mal passée. Car un écrivain porno ne vit pas de sa plume, et de plus, à la mairie, pas question qu'on découvre son second métier. Quel scandale à Obernai ! Il a souvent imaginé les titres dans la presse locale : « Le secrétaire de mairie est un pornographe notoire ! », ou « Un drôle de secrétaire à la mairie d'Obernai ». Enfin, jusque maintenant, il a toujours su garder le secret, et tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes.

En sirotant son whisky, il relit cette lettre. Les rosiers du jardin resplendissent sous les premiers rayons du soleil estival, le chat est couché sur le rebord de la terrasse, observant tranquillement les moineaux qui passent au-dessus de sa tête avec des airs arrogants et provocateurs. Provocateurs ! Voilà, c'est ça ! C'est exactement ce qu'il faut pour cette relation avec Rebecca, pour qu'elle soit une relation vraiment hors-norme : de la provocation, du soufre et encore du soufre. Au fond, en agissant comme elle l'a fait avec son cher Édouard, elle l'a bien compris, la bourgeoise. Elle a anticipé sur la provocation ! Pas bête, la garce !

Ce soir, avant de poursuivre l'écriture de son quinzième roman, il va rédiger une dernière lettre, très courte. Plus la peine d'en faire des tonnes.

Obernai, le 21 juin 2007

 

Bonjour, Rebecca,

Merveilleuse, cette lettre. Si, si, franchement. Tout y est, tes attentes, tes sensations, tes sentiments, ta sexualité, la mienne, tout quoi. Je me rends compte que j'avais oublié de te signaler une chose fort importante, une situation qui m'a empêché de venir te voir plus tôt pour te baiser et te prendre à quatre pattes, comme tu l'as si bien dit à ton cher mari. Et ton amie Clotilde ne doit pas t'en avoir informée non plus : c'est que je travaille pour vivre, moi. N'ayant pas hérité d'une fortune de famille, je suis secrétaire de mairie. Et le soir et le week-end, j'écris. Mais avec l'été, les horaires de boulot s'allègent, et on dispose de plus de temps les après-midi. Ça tombe bien, n'est-ce pas ? Ça correspond au moment où ton sexe n'en peut plus d'attendre, de m'attendre.

En ce qui concerne ce qui vient de se passer dans ton couple, je suis ravi d'apprendre que ton cher Édouard semble apprécier les incartades que tu inventes. Moi même, je suis très heureux que tu te sois masturbée en pensant à moi tout en lui parlant au téléphone. Ça vous flatte un homme, ça, madame ! Je ne tournerai pas autour du pot et te pose franchement la question : POURQUOI LES INVENTER, ces incartades ?

Voilà ! Je n'irai pas plus loin aujourd'hui. J'ajouterai simplement que la semaine prochaine, je serai en congé. Nous sommes mardi, tu recevras cette lettre jeudi. Lundi matin, je te téléphonerai. Si en décrochant tu prononces seulement le mot OUI, je serai là dans l'heure qui suit. Si ce n'est pas possible, tu me l'expliqueras et on s'arrangera pour un autre jour. Cette fois, tu as raison, il est temps que je t'enfile au bout de ma bite, ma petite bourgeoise salope.

Gil

*

Le lundi suivant, sur le coup de dix heures, Rebecca ouvre la grille d'entrée commandée électroniquement afin qu'une Citroën C5 puisse pénétrer dans l'allée du parc et s'arrêter devant le perron de la demeure. Elle ouvre la porte à l'homme qui se présente, un gros bouquet de roses à la main et lui dit :

— J'ai donné congé à la bonne. J'ai une nouvelle incartade à m'inventer... monsieur.

Avec un large sourire complice, il répond :

— Pourquoi donc les inventer, ces incartades, belle madame Müller ?