Chapitre 13

Le mois de juin 1931 semble s’écouler lentement sous le ciel bleu, blanc et parfois gris de la petite ville de Chicoutimi. Mais sous la calme surface d’une résignation courageuse fomente toutefois un vent de révolte. Il est vrai que, sur une population totale d’environ douze mille personnes, plus des trois quarts des chefs de famille sont depuis des mois – voire depuis plus d’un an – au chômage sans recevoir aucune autre forme d’allocations que l’aide ponctuelle des bonnes œuvres.

Un bon lundi matin, le 22 juin très précisément, sous l’inspiration de prêtres catholiques, souvent également à la tête des syndicats ouvriers, près de neuf cents hommes bien décidés à se faire entendre se rassemblent devant l’hôtel de ville pour manifester. Sensible aux difficultés croissantes de sa population, le maire, Jules Tremblay, se montre rapidement solidaire. Sorti sur le parvis de l’édifice municipal, il annonce, en y mettant le plus de conviction possible, que la construction du pont va commencer très bientôt et qu’il y aura du travail pour des centaines d’entre eux. Arrivé en renfort à ses côtés afin de calmer les esprits échauffés, le député provincial, Gustave Delisle, corrobore ses dires haut et fort dans une spectaculaire envolée où il fait du début des travaux de construction du pont sa principale promesse électorale à venir.

En réalité, cela fait des mois que le projet de construction de cinq ponts au Québec, dont celui de Chicoutimi, est annoncé et voté en chambre. Mais qu’est-ce qui peut bien retarder autant le début des travaux ? Le fédéral bien sûr, car si ce n’était que du gouvernement libéral à Québec, selon les affirmations de ses représentants, il y a longtemps que toute la province serait au travail à construire et à rénover les infrastructures. Le fédéral repousse en effet constamment le commencement des travaux, du moins à Chicoutimi, en raison des plans qui doivent prévoir les besoins précis de navigation sur la rivière. De plus, cinq projections d’itinéraire du pont ont été présentées. L’une débute de l’autre côté du bassin et arrive à gauche du présent quai de Sainte-Anne. Une autre part de l’avenue Morin et arrive à droite du présent quai. Une autre part de l’hôtel de ville et arrive au même endroit. Une autre part de la rue Lafontaine et arrive à droite du ruisseau Micho, en bas de la côte menant au cap Saint-François. Une dernière débute à la rue Sainte-Anne et se dirige pratiquement en ligne droite sur les lieux du présent quai. Aucune décision n’a encore été prise. La situation n’a-t-elle pas assez duré ? Personne ne pourra endurer un autre hiver sans travail ni aide financière. Des décisions doivent être prises.

Mais la lenteur des gouvernements est proverbiale et il semblerait que ce soit la consternante réalité, même en temps de crise. Des semaines d’attente sont en effet encore nécessaires avant que l’itinéraire soit enfin choisi et approuvé par les gouvernements provincial et fédéral. Le pont prendra naissance sur la rue Sainte-Anne à Chicoutimi et se rendra en ligne droite sur l’autre rive, au village de Sainte-Anne. Il portera d’ailleurs le nom tout indiqué de pont de Sainte-Anne.

Au Québec, des élections sont dans l’air. Tout au long du mois de juillet, Taschereau laisse planer la possibilité d’un scrutin dans les plus brefs délais. Depuis des mois, il insiste sur la nécessité d’avoir un mandat fort pour aller négocier avec le gouvernement fédéral de l’aide concrète pour le Québec. Selon lui, les travaux d’infrastructures sont une bonne façon de stimuler l’économie et de faire travailler la population en temps de crise, mais des mesures systémiques doivent également être mises en place pour apporter de l’aide concrète aux familles.

Ce n’est finalement que le 30 juillet que Taschereau passe de la parole aux actes et déclenche des élections qui auront lieu le 24 août prochain. Comme par hasard, dès le lendemain de cette annonce, le député Delisle annonce enfin à ses concitoyens que les travaux pour la construction des approches du pont vont commencer dix jours plus tard. Voilà certainement une excellente façon de se faire réélire !

Les travaux d’approche du pont sont confiés à l’entreprise locale Desantis, Gagnon et Tremblay, qui commence simultanément sur les deux rives dès le 10 août. Le soir du scrutin, l’élection du Parti libéral est confirmée avec une très forte majorité de députés élus, soit soixante-dix-neuf contre onze seulement pour le Parti conservateur de Camillien Houde. Le règne des libéraux dure pourtant depuis 1897, sans interruption, Taschereau étant premier ministre depuis 1920. Rien ne semble être en mesure d’y mettre fin. Encore une fois, aucune femme n’a pu participer au scrutin, un projet de loi en ce sens ayant encore été rejeté en mars dernier, malgré le fait que le Québec soit la seule province à encore refuser le vote aux femmes. Pour plusieurs progressistes, le rôle de la religion catholique, qui confine les femmes canadiennes-françaises à la maison, est pour beaucoup dans cette situation.

Dès la fin du mois de septembre, les approches du pont du côté de Chicoutimi, d’une longueur de six cent vingt pieds, sont presque terminées, alors que l’achèvement de celles de la rive nord, d’une longueur de huit cent cinquante pieds, est prévu pour la fin du mois d’octobre. C’est la firme A. Janin & Cie qui a été choisie pour la construction des piliers de béton à quinze pieds dans le lit de la rivière et à quarante-cinq pieds sous la surface de l’eau à marée haute. Elle construira les planchers et les trottoirs par la suite. C’est la Dominion Bridge qui est chargée de bâtir la structure de métal du pont. Les trois entreprises travaillent de front par moments.

Le gouvernement donne aussi le coup d’envoi à un grand nombre de travaux publics, faisant travailler des milliers de chômeurs qui reçoivent en échange des allocations de subsistance. À Chicoutimi, on parle de la construction d’un nouvel hôtel de ville, de l’agrandissement du port, de la construction de murs de soutènement le long du Saguenay, de l’aménagement de la promenade Rivière-du-Moulin, sans compter des travaux de voirie de toutes sortes, réfection d’égouts, aqueducs, trottoirs, nivellement et pavage de rues, nivellement de côtes qui vont améliorer grandement les infrastructures de la capitale régionale. Toute cette effervescence économique entraîne un afflux d’étrangers dans la ville, provoquant de belles opportunités pour les hôteliers et les restaurateurs qui souffraient depuis si longtemps de la crise.

Chez Georges Bergeron, c’est le branle-bas de combat. Bien décidé à profiter de cette manne à sa façon, Georges s’est résolu à redonner une vocation de petit hôtel à sa maison familiale, vocation qu’elle avait déjà eue pendant quelques années avant qu’il en fasse sa résidence. Située sur la rue Racine, à quatre cents pieds seulement des travaux, la maison dispose en effet de huit chambres. En excluant les trois occupées par lui-même, sa fille Tetitte et ses trois petits-fils regroupés dans une seule, il reste cinq grandes chambres libres que Georges a mises à louer dès l’annonce du début des travaux. Plusieurs travailleurs, surtout des ingénieurs, des contremaîtres et des ouvriers spécialisés, ont déjà réservé les chambres libres. Tetitte leur offrira le déjeuner et le souper. La bonne entretiendra leurs vêtements et aidera Tetitte pour le ménage.

Pour Georges, dans les circonstances, prendre des pensionnaires est une affaire qui va de soi. Il suggère d’ailleurs à certains de ses enfants d’en faire autant. Arthur, Marie-Louise et Louis surtout, qui vivent en ville, à proximité de la rue Sainte-Anne, et qui auraient bien besoin d’un petit surplus. Il assume depuis trop longtemps toutes leurs factures d’épicerie, l’achat des vêtements, des fournitures scolaires, et quoi d’autre encore ! Poussés par leur père, Arthur a rapidement trouvé preneurs pour une chambre à deux lits, alors que Marie-Louise a accepté d’accueillir de façon ponctuelle un inspecteur en charge de surveiller les travaux.

D’abord réticent à l’idée de partager son intimité avec des étrangers, Louis n’a toutefois pas eu à en discuter bien longtemps avec Rose pour qu’elle saute immédiatement sur l’occasion de faire quelque revenu. Lasse de toujours devoir s’en remettre à son beau-père pour chaque sou dépensé, elle aura enfin un petit pécule qui la rendra plus indépendante. C’est humiliant à la longue de vivre aux crochets de quelqu’un qui se croit légitimement en droit de demander une justification pour le moindre achat.

Un bon matin de septembre, sur les conseils de Georges, deux contremaîtres anglais frappent à la porte de la petite maison. Rose accueille avec moult sourires, gestes invitants et quelques mots décousus les deux hommes qui se présentent sous les noms de M. Cradish et M. Lyman. « Bonjour, entrez, bienvenue ! » Leur offrant une bonne poignée de main, Louis leur explique dans un anglais impeccable − quand même rare dans ce coin de pays qui vit presque entièrement en français − une série d’avantages à demeurer chez eux : une chambre tranquille, des déjeuners copieux servis tôt le matin, un souper trois services, deux salles de bain dont une complète à l’étage, l’entretien de leurs vêtements, etc. Le seul hic, c’est qu’ils devront partager une seule chambre avec deux lits jumeaux. Condition qui ne semble aucunement les dissuader. Sans hésiter, ils prennent la chambre, s’entendent sur un prix et s’installent immédiatement.

Denise et ses petits frères sont très excités, même si cela ne change pas grand-chose à l’étage. En tant que fille unique, Denise occupe une chambre, ses trois petits frères en occupent une autre et leurs parents ont la plus grande. Ils sont habitués de voir la quatrième chambre occupée d’une semaine à l’autre par des gens de la famille, des amies ou des cousines de passage. Ce sont maintenant des hommes qui parlent une langue étrangère. Denise est fascinée de voir son père discuter dans cette langue avec ces deux hommes. Le matin surtout, pendant qu’il prépare le déjeuner pour tout le monde, une longue conversation s’établit chaque fois et c’est pour elle comme une mystérieuse musique qu’elle cherche à déchiffrer sans y parvenir.

Moi aussi je veux parler anglais, confie-t-elle un bon samedi matin à son père, une fois les deux hommes partis travailler. Je veux pas être comme maman qui sait pas dire un mot. Je veux être comme toi.

Louis la regarde, flatté :

D’abord va falloir que t’apprennes, lui répond-il.

Tu peux-tu me le montrer, toi ? demande-t-elle.

Va falloir que tu prennes des cours avant, c’est sûr. Mais après ça, j’vas te faire pratiquer.

Merci papa. T’es fin. Merci merci merci.

Denise monte vite s’habiller. Une jolie jupe en lainage bleu, un chemisier blanc et un chandail rouge que sa mère lui a tricoté, un bandeau à fines rayures bleu et rouge dans les cheveux, des collants bien chauds, ses beaux souliers vernis qu’elle adore, elle se sent belle. Un coup d’œil dans le miroir lui confirme son impression. Quelques minutes plus tard, elle redescend en courant :

Je m’en vas chez mon oncle Arthur, déclare-t-elle à son père en passant dans la cuisine en coup de vent. On s’en va voir les travaux, moi pis Esther, lui explique-t-elle une fois dehors, déjà installée sur sa bicyclette.

Son père, qui l’a suivie sur la galerie, lui crie avant de la voir s’introduire dans la ruelle qui donne sur la rue Racine :

Fais attention, Denise ! Approche-toi pas trop des machines ! C’est pas un jeu cette affaire-là.

Ses paroles se perdent dans le vent. Louis hausse les épaules. De toute façon, il va aller les rejoindre tantôt. Il revient dans la cuisine où ses trois garçons jouent.

Je veux y aller moi aussi, déclare Claude, qui adore se rendre là-bas avec son père.

Moi aussi, je veux y aller avec vous autres, réclame Paul.

Oui oui, acquiesce Louis. On va y aller tantôt.

Ma si, veux, jargonne Maurice en écho.

Non. Pas toi, t’es trop petit. Tu vas rester avec ta mère.

Au même moment, Viola arrive. Depuis l’arrivée des pensionnaires, elle vient chaque matin tout ramasser, faire la vaisselle et les chambres. Louis lui laisse la place et monte aussitôt réveiller Rose, Maurice dans les bras, les deux plus vieux le précédant dans l’escalier :

Bonjour la belle Rose, murmure-t-il en entrant dans la chambre. Y est neuf heures. Faut que tu te lèves.

Rose s’étire et prend ses aises. Les garçons restent un peu à l’écart, regardant leur mère de loin. Ils savent qu’elle n’apprécie pas trop les débordements, surtout le matin quand elle vient juste de se réveiller. Louis dépose Maurice près de Rose.

Bon ben, j’vas aller habiller Claude pis Paul, moi. On s’en va voir les travaux, explique-t-il.

Où ce qu’y est Denise ? demande-t-elle en s’assoyant sur le bord du lit pour mettre ses pantoufles.

Est déjà partie là-bas avec Esther.

Ah la petite fameuse ! Si a pense qu’a va faire tout ce qu’a veut, celle-là ! Tu la surveilleras, quand tu seras rendu là-bas.

Oui, oui. Inquiète-toi pas !

Pis t’a ramèneras avec toi après.

Oui, oui.

Chez Georges, Tetitte en a plein les bras depuis des semaines. Avec cinq pensionnaires, par moments sept ou huit lorsqu’ils sont deux par chambre, elle se sent de plus en plus harassée par tout le travail et toutes les demandes. Elle se contenterait bien de faire les repas.

Un lundi matin, alors que ses deux plus vieux sont partis pour l’école, que le plus jeune joue par terre avec ses camions et que les pensionnaires sont tous allés travailler, elle ne peut s’empêcher de dire :

Le lavage, là, papa, ça va faire. J’y arrive pus. Faudrait faire quequ’chose. C’est trop d’ouvrage, tu comprends-tu ? Leur linge est sale, bourré de sable pis de bouette. Des taches d’huile aussi, pis de gaz. Moi, je te dis, on va finir par briser notre laveuse si ça continue.

Georges écoute sa fille en fumant sa pipe, sans dire un mot.

Pis les draps aussi, poursuit-elle. Ça finit pus tellement y’en a.

Tetitte se tourne vers son père :

Oui mais là… Tu dis rien.

Aaah ! fait-il d’un air mystérieux. Tu vas voir ça, betôt. Tu pourras pas croire à ça.

Mais quoi ?

Aaah ! Tu verras ben.

Georges se lève, met sa veste, sa casquette, et se dirige vers la porte :

J’vas revenir pour dîner, lance-t-il à sa fille avant de refermer la porte derrière lui.

Une fois dehors, il marche derrière sa maison, toujours étonné de constater l’absence du train qui passait régulièrement en boucle dans la petite usine sur le terrain des Vézina. Avec le parc que la ville aménage de l’autre côté de chez Ti-Louis et son grand kiosque où, l’été prochain, la fanfare de la ville donnera des concerts le soir, cela fait beaucoup de changements autour de chez lui. Heureusement, complètement à sa gauche, la fermette des Lalancette est toujours là, avec ses quelques vaches, cochons, poules, son vaste jardin potager et, toujours debout, la statue de la Sainte Vierge et la croix des chemins qui le saluent au passage. Pour combien de temps encore ? Avec la rue Racine qui est devenue la principale artère commerciale de Chicoutimi et les rues Jacques-Cartier et Morin qui se développent aussi beaucoup, tous ces terrains et bâtisses vont peut-être bientôt devoir changer de vocation. Mais quelle bonne affaire quand même, se félicite-t-il encore, d’avoir acheté les terrains de Vézina ! Le mois dernier, il a loué la bâtisse de l’ancienne petite usine à un homme qui va y installer une buanderie. C’est là qu’il se rend ce matin, constater de visu l’avancement des travaux. Avec les plaintes de sa fille tantôt, il est de plus en plus certain du succès de l’entreprise. Si ça marche, l’année prochaine, j’vas pouvoir y augmenter son loyer, songe-t-il, content de lui-même. Passant juste à côté de la maison des Vézina, il aperçoit tout à coup sur la galerie sa petite-fille, Denise, qui semble espionner par les fenêtres.

C’est que tu fais là, toi là ? lui lance-t-il d’un ton sévère.

Denise sursaute, embarrassée de s’être fait prendre par son grand-père dont elle a toujours un peu peur. Il est vrai qu’il semble souvent fâché ou contrarié, sérieux, impatient avec les enfants. En tout cas, elle n’a jamais pensé qu’il l’aimait, car il ne lui parle jamais. Ni à elle ni à Claude ni à Paul ni à Maurice, ni même à Jean ni à Bernard avec qui il fait pourtant vie commune. Le seul à qui il parle, c’est à Yvan, le deuxième fils de Tetitte, tout naturellement, comme si cela allait de soi d’avoir aussi ouvertement un chouchou. Très fier de lui, Georges déclare régulièrement que c’est le seul de ses petits-enfants qui tient de lui.

C’est que tu faisais là, Denise ? Réponds-moi ! Voyons donc ! Je te mangerai pas.

Je regardais la maison, répond Denise, confuse. Est tellement belle. Papa m’a dit que c’était à nous autres astheure, ajoute-t-elle avec un petit sourire gêné. Moi, j’aimerais ça qu’on déménage là.

Ah ben ça c’est fort ! s’exclame Georges, un peu moqueur. C’est pas possible ton affaire, voyons donc. Est revendue la maison, ma pauvre petite fille. Y vont la démolir à part de ça dans pas grand temps.

Denise reste bouche bée. Une si belle maison. Vaste. Spacieuse. Riche. Ce n’est pas la première fois qu’elle vient la voir depuis qu’elle est vide. Elle s’amuse à imaginer y placer les meubles de leur maison, le divan, les fauteuils, les carpettes, les lampes. Elle décore mentalement, et c’est chaque fois tellement beau ! Désappointée, elle regarde son grand-père puis, sans dire un mot, elle marche vers l’escalier qu’elle dévale aussitôt pour courir chez elle.

Georges lève les yeux vers le ciel en secouant la tête, incrédule. Pauvre Ti-Louis ! se dit-il. Comme si la maison était à lui, soupire-t-il, toujours un peu découragé de la façon qu’a son fils d’interpréter la réalité. La maison est en effet déjà vendue à Héraclius Lessard, comme il l’avait anticipé. Il faut dire que Georges ne lui a pas vraiment laissé le choix. Si Lessard souhaitait un jour pouvoir agrandir son magasin, il lui fallait absolument acheter ce terrain adjacent et, bien entendu, la maison qui était bâtie dessus. Georges sourit dans sa barbe. Comme un vieux renard – de soixante-douze ans quand même – il avait laissé planer le doute. Il pouvait vendre à un autre, qu’en savait-il… Lessard avait dû se résoudre à acheter, même s’il n’était pas prêt à commencer les travaux. Et une fois propriétaire, il allait devoir payer les taxes et se tenir responsable de la bâtisse et du terrain tout l’hiver. Georges se réjouit en lui-même. Même en pleine crise, y faut jamais perdre espoir de faire des bonnes affaires, se dit-il en se dirigeant d’un pas décidé vers la buanderie juste à côté, où l’aménagement est presque terminé.

Quand est-ce que tu vas ouvrir ? demande-t-il au jeune patron, Jean Savard, qui surgit de sous le comptoir de la réception.

Mercredi prochain, monsieur Bergeron, répond-il. On va faire un lancement, vous allez voir. On va offrir un deux pour un pour la première semaine, ajoute-t-il en le regardant, les yeux brillants. C’est que vous en pensez ?

Ç’a ben du bon sens, ton affaire, le jeune ! Tu vas voir qui va y’en avoir du monde qui vont venir faire laver leur linge icitte. Même si c’est la crise, y’en a encore qu’y ont de l’argent. Pis avec tous les pensionnaires dans les maisons, ça prend de l’aide pour le lavage. Chus pas inquiet.

Moi non plus, rétorque le patron. Pis la crise, a va ben finir par finir, j’cré ben.

Eille ! T’as le plus beau local en ville, se vante Georges en se préparant à repartir. Bon ben, je te dérangerai pas plus longtemps. J’vas aller drette là au journal faire annoncer ta buanderie. Je connais le gars qui s’occupe des petites annonces. Y va être ben content d’avoir une nouvelle à mettre dans sa page. J’vas y dire que ça va être un avancement considérable pour la ville.

Vous êtes ben blood, monsieur Bergeron.

C’est ben normal, mon petit gars.