Véra

 

 

Véra ouvre son téléphone portable. Un nouveau message. Ouvrir. Lire.

« Tu peux demain ? »

Véra regarde le téléphone, regarde Henri et sait qu’elle ne peut pas répondre maintenant, et qu’elle ne peut pas demain. Demain serait trop risqué, Henri ne comprendrait pas et puis les enfants ont besoin d’elle aussi.

Elle se tourne vers Alice :

– Encore un peu de vin ?

Alice lui tend son verre. Alice est au courant.

– Ça va ?

– Non… Pas du tout. Je ne peux plus voler, Alice ! Je n’y arrive plus !

– Oh, ma petite Véra… Je vois très bien ce que ça fait…

– Ça fait mal, voilà ce que ça fait. J’en ai marre !

– Mais ça passera, tu verras, ça passe toujours…

– Oui, je sais, mais en attendant, ça fait très mal ! Tu comprends ce que je te dis, je ne peux plus voler ! C’est horrible, je n’y arrive plus. J’essaie, je cours, je me lance et… plouf… je reste collée à terre.

Henri discute avec Philippe, ils rigolent. Puis Henri se lève pour apporter le gâteau. Alice fait semblant de boire et se cache derrière son verre. Véra regarde Philippe et lui sourit tristement.

– Ça bat de l'aile, comme on dirait, fait-il doucement…

Henri revient avec le gâteau.

– Et vous partez un peu pour les vacances ? demande Alice à Henri pour changer de sujet.

– Oui, Véra a arrangé tout ça ! Nous partons en Suisse, escalader les montagnes.

– Ouah, c’est bien ça ! Où exactement en Suisse ? demande Philippe.

– Oh, dans une petite station à vingt kilomètres au sud de Berne. On a loué un chalet pour une semaine, répond Véra.

– Oui, ajoute Henri, et nous partons sans les enfants… ça va être génial ! Nous passerons nos journées en randonnée et les soirées devant la cheminée, les yeux dans les yeux. Hein, ma chérie ?

Henri regarde les yeux noirs de Véra et ensuite coupe le gâteau en plusieurs formes géométriques inégales.

– Alice ?… Tu me passes ton assiette, s’il te plaît ? Plutôt rectangle… plutôt triangle ? Qu’est-ce que je te sers ?

– Rectangle pour moi ! Je préfère… c’est plus franc…

Philippe éclate de rire :

– Moi je prendrais bien le gros triangle au milieu, s’il te plaît. J’adore les formes à trois !

Véra lui jette un regard furieux.

Henri rigole.

– Et toi Véra ?

Véra se lève et dit :

– À la montagne, j’aimerais mieux passer mon temps à survoler le paysage… Les cascades, les forêts de sapins, les plateaux, les vaches…

Henri attend. Véra se tourne vers lui et lui lance :

– Pour le gâteau, je prendrais bien un rond, mais tu n’en as pas ! Tu vois, comme quoi, t’es encore loin de la perfection…

Elle prend son téléphone et va s’enfermer dans la salle de bains.

Henri se balance en arrière sur sa chaise et crie :

– Oooh, ça va !

Ensuite il jette un regard interrogateur à Alice. Alice ramasse la crème anglaise dans son assiette avec une petite cuillère et dit :

– Elle ne peut plus voler… enfin, pour le moment… Il faut la comprendre…

Dans la salle de bains, Véra tape sa réponse :

« P K espace F A I R E point d’interrogation ».

Envoyer.

Elle attend. Elle se regarde dans la glace, elle inspecte la longueur des poils sur ses jambes, elle arrange les médicaments dans le placard. Dring. Un nouveau message.

« Si tu ne sais pas pourquoi, alors laisse tomber. »

Trois plumes blanches tombent de son aile droite. Véra les ramasse et se penche pour les mettre à la poubelle. Une autre se détache de son aile gauche. Puis une autre. Et encore une. Véra éteint son téléphone et sort de la salle de bains. Elle revient dans le salon, en laissant une traînée de plumes blanches derrière elle. Elle s’assoit et dit, en regardant Alice :

– Bon… Tu as aimé le gâteau ? Ce sont les enfants qui l’ont préparé cette après-midi avec Henri.