Le chat de Katia a les yeux verts et ronds et très lumineux. Il se cache souvent sous la couette de Katia où il fait bien chaud. Il aime jouer avec le rideau violet de la fenêtre qui donne sur le balcon et il adore se blottir dans les bras de Katia le soir quand elle est fatiguée et qu’elle lit des romans russes enfoncée dans son canapé très confortable. C’est un chat quelconque, blanc avec des taches noires, un peu peureux. Dans ses années de jeunesse, avant le déménagement, il sortait se balader tous les jours dans la cour de l’immeuble, même s’il y avait cet autre chat noir qui faisait le malin à chaque fois. Mais ensuite, il y a eu le déménagement et puis aussi, l’opération. Depuis, le chat de Katia a terriblement grossi, il ne sort plus de l’appartement et son unique loisir concernant la vie extérieure consiste à regarder par la fenêtre les feuilles qui tombent. Le chat de Katia a compté jusqu’à ce jour 259 413 feuilles qui sont toutes tombées de l’arbre de devant. Enfin, sauf celles du début, car au début il ne regardait pas les feuilles mais les oiseaux. En réalité, il a commencé son décompte uniquement deux mois après le déménagement.
Le chat de Katia aura 9 ans le 3 février et sait maintenant, depuis le temps, qu’à la fin du mois Katia partira en vacances avec ses enfants et que lui, le chat, devra rester seul toute la journée et toute la nuit. Il sait que normalement la voisine du dessus viendra lui remplir sa gamelle et son bol d’eau tous les deux jours. Il sait tout ça, depuis le temps, mais déteste l’idée quand même.
Le jour de son neuvième anniversaire, c’est-à-dire le 3 février, le chat de Katia sort de sous la couette vers 11h, fait sa toilette et se met à recompter les feuilles restées dans l’arbre. Quatre-vingt-huit. Normal. Il se lèche encore une fois la queue et se dit qu’il va se rendre à la cuisine pour grignoter quelques croquettes lorsqu’il voit l’homme au pantalon à carreaux dans l’arbre devant. L’homme a les cheveux bouclés, un peu longs, qui volent dans le vent et il rit pendant qu’il ramasse chaque feuille pour la mettre dans la poche de son pantalon à carreaux. Le chat de Katia recompte rapidement. Soixante. L’homme va sans doute arracher toutes les feuilles pour les ranger dans sa poche et lui, le chat, ne pourra plus les regarder tomber avant au moins la fin avril.
Alors, dans un accès de désespoir, il saute sur la poignée de la porte-fenêtre qui donne sur le balcon. La première fois, la porte ne s’ouvre pas, ni la deuxième, ni la troisième. L’homme continue à rire et à arracher d’un geste démonstratif feuille après feuille. Au bout de la septième tentative, le chat de Katia réussit à ouvrir la porte. L’homme se met à miauler.
Alors qu’il ne reste plus qu’une quinzaine de feuilles, le chat décide de sauter sur le dos de l’homme au pantalon à carreaux qui rit, miaule et cueille les feuilles en même temps.
Katia habite au quatrième étage dans un immeuble moderne avec deux ascenseurs et trois digicodes. Le chat évalue la distance entre la balustrade du balcon et l’arbre et il compte à nouveau les quelques feuilles restées sur leur branche. Ensuite, il passe rapidement en revue les moments importants de sa vie : sa rencontre avec Katia, le premier vaccin, la fois où il avait vu une souris dans la salle de bains, le chat noir et l’herbe verte de la cour intérieure de l’immeuble d’avant le déménagement, le déménagement, l’opération, la couette et le drap à fleurs, l’odeur de Katia, le goût de ses croquettes préférées, les pantoufles rouges de la voisine du dessus, le vent qui fait bouger les feuilles… Les feuilles… Il saute !
Ce n’est pas parce que la distance était trop grande pour un chat, mais le chat de Katia est gros. Il réussit à toucher la première branche, mais pas à s’y agripper. À ce moment précis, l’homme arrête son cirque et regarde le chat avec une grimace. En tombant, le chat se retourne et atterrit sur ses quatre pattes dans une poubelle. Il n’a pas mal et son premier réflexe est de grimper vite, de grimper dans l’arbre pour chasser l’homme au pantalon à carreaux. Mais celui-ci se trouve maintenant plus haut que l’arbre, il vole au-dessus. En regardant ce dernier effort du chat, il sort toutes les feuilles de sa poche et, sans aucune pitié, les jette vers le bas, comme une pluie de confettis tachés de café.
Ce jour-là, Katia fut surprise de retrouver son chat frigorifié et terrifié dans l’arbre devant son balcon. Elle appela les pompiers qui vinrent avec une échelle pour le secourir. Ensuite, plus tard dans la soirée, assise sur le canapé avec le chat dans ses bras, elle lut quelques chapitres du livre qu’elle avait commencé le matin même : Le Maître et Marguerite.