Aimer M est un travail à plein temps. Il demande de la réflexion, du courage et de l’entretien. Il occupe toutes mes pensées. Soit vingt-quatre heures par jour. Je soupçonne le temps de s’être trompé sur ce nombre d’heures. Les heures sans M sont plus longues. Quand il pousse la porte de l’appartement, elles défilent vitesse lumière. Corps tendu par les angoisses. La boule dans l’estomac m’empêche de manger, de dormir, de réfléchir. Aimer M est dangereux pour la santé.

 

Je découvre Campari, il m’accompagne dans ma solitude. J’y ajoute de l’orange et c’est bon. Je m’assois sur le tapis du salon. Campari adoucit les pics d’amour qui détruisent jour après jour ma raison. Goût de plantes médicinales, il remplace Lexomil.

L’aspirateur est également un fidèle compagnon. Il m’obéit. Il s’allume, s’éteint, aspire. La propreté est la seule chose que je puisse contrôler. Un verre de Campari, je branche. Aspirateur en route. Extermination des poussières. Dernière goutte, je débranche. Voilà, mon travail. Aspirer pour ne pas sombrer. Aspirer pour éliminer, calmer, crier. Souvent je pleure. J’aspire également mes pleurs.

 

M rentre. L’appartement sent bon. Je m’invente des journées, des discussions, des livres et des pensées. Je range l’aspirateur, jette les bouteilles vides de Campari.

Je suis propre, j’ai bien travaillé.

 

M me parle d’une enquête, le meurtre d’un enfant dans l’est de la France. Il doit partir quelque temps. Je l’écoute, retiens mes démons. Le panneau danger clignote. L’horloge se dérègle. Tout tourne. Bouffées de chaleur. Plus de Campari. Les lèvres de M bougent. Besoin de Campari. Je ne l’entends plus. L’alarme incendie et mes organes prennent feu un à un. Mon cerveau ouvre la danse. Des visions d’enfer. De nuits à me tordre de douleur. Des scénarios-catastrophes. M qui ne revient jamais à la maison. Je tremble. M pose sa main sur la mienne. Je tremble plus fort. J’ai froid à présent. Je ne m’arrête jamais. Je suis épuisée. Je suis sous l’avalanche, lèvres bleues. Je grelotte. M dépose une couverture sur mes épaules et frotte.

 

Je suis malade, M. Ne pars pas. Sans toi, je vais finir aspirée moi aussi.

Il m’embrasse le front comme on embrasse un enfant.

Ne pars pas. Je t’en supplie ne pars pas.

Je ne dis rien. Je prétexte avoir pris froid. Nous sommes en juin.

M pense que je devrais me trouver une occupation. Il craint que je m’ennuie seule sans lui. À nouveau le feu. Je ne vais pas m’ennuyer. Je vais simplement mettre ma tête dans l’aspirateur ou me crever les yeux avec le tesson de Campari.

 

Je mens, raconte m’être inscrite à des cours de théâtre. Vouloir devenir comédienne. Je le suis déjà après tout. J’ai réussi à passer vingt-six ans sans qu’on m’enferme. À être saoule sans qu’on le remarque. À m’inventer un cerveau qui n’existe pas.

J’excelle en comédie.

M est enthousiaste et rassuré. Il va acheter une bouteille de champagne pour fêter la nouvelle. Nouvelle qui n’existe pas. L’alcool a fini par me rendre joyeuse et me faire croire en mon mensonge.

 

M part en reportage ; je passe le concours des cours Florent et je suis acceptée.