Bonjour. Je ne suis personne. Je ne compte pour personne. Je n’ai pas de famille. Personne à contacter en cas d’urgence. Ce n’est pas une urgence. Ma mort ne serait une urgence pour personne. Je ne sais pas ce que je fais ici. Mais je suis là. Peut-être que c’est une mauvaise idée. J’ai souvent de mauvaises idées. Vous enfermez les fous. Les gens comme moi. Alors je suis là.
Il vérifie mon sac. Jette les objets tranchants. Ne plus faire de mal.
Ce soir, le psychiatre passera me voir. Ils me conduisent à ma chambre.
Je suis une patiente. Un cas psychiatrique.
À cet instant, je n’ai aucun doute. Je suis à ma place.
Voici un autre chapitre de ma vie. Chapitre qui se résume à des mois. Des blouses blanches. Des pilules. Beaucoup de pilules. Des poignets tranchés. Des couloirs blancs. Des cris dans ces couloirs blancs. L’odeur de javel. Ménage impeccable. Nourriture infâme. Goût de flotte. Des bracelets avec des prénoms. Des étrangers. Des piqûres dans les fesses. Des cauchemars. Des insomnies. Des secondes qui prennent de l’ampleur. Des émissions télévisées à heures fixes. Des heures fixes. Du silence. Des fenêtres avec des barreaux. Une canicule sans clim. Des draps blancs. Des discussions avec médecins, infirmiers qui ne servent à rien. Une bulle. Une parenthèse. Un endroit qu’on peut quitter mais qu’on ne quitte pas. Une sorte de sommeil éveillé. Des pyjamas bleus et blancs. Trop larges mais confortables. Anesthésie générale. Aucune sensation. Répit. Pause. Ennui. Des activités à la con : jeux de société, art thérapie, théâtre thérapie. Tout est thérapie. Tout est analysé. Rien n’est expliqué. Des anorexiques. Des schizos. Des maniaco. Des drogués. Des bipolaires. Des malheureux. Tous malheureux. Des crises. Tentative de pendaison qui échoue. Tentative d’immolation avec dissolvant et briquet qui échoue aussi. Des types qui avalent des petites cuillères et des brosses à dents pour le plaisir. Des types qui se glissent la nuit dans votre lit une place pour se masturber ou pour parler. Des groupes de paroles. Des dossiers. Des étiquettes. Des pesées. Des gueules cassées. Des gens qui n’ont plus d’espoir, qui sont foutus et qui passeront sous le métro à la sortie.
Tout ça et mes yeux.
Mes cheveux qui repoussent.
Tout ça et une seule chose.