J’entends son prénom dans les couloirs. Nous partageons la même première lettre.
Le M.
M et M. M.M. M aime M. Je remplis des pages de M. Toutes les écritures possibles. Majuscules. Je préfère la Majuscule.
Je sors avec un ami de M. L’ami ne m’intéresse qu’au travers de M. Il est le seul. Je l’approche en douceur. Calcule mes faits et gestes. Je porte moi aussi des minijupes et une frange. Les hommes me remarquent. Seul M compte. L’ami descend sa main sous ma jupe. Je le laisse faire. Je veux qu’il dise à M à quel point ma peau est douce, mon sexe humide. Il me pénètre. Très bien, pénètre-moi. Je veux que son sexe durcisse en moi. Afin qu’il raconte à M son désir pour moi. Devenir son objet de désir, c’est tout ce qui compte. Je veux que M rêve de moi. Qu’il imagine comme son sexe pourrait être dur en moi. Je veux qu’il me baise. Fort. Doucement. J’imagine mille scénarios. Notre premier baiser. L’ami m’embrasse devant lui, à la cafétéria, au bistrot du coin. Je veux qu’il m’embrasse partout afin que M me voie. Je veux qu’il mette la langue afin que M imagine la mienne. Ma langue. Nos langues. Les M se mélangent.
M me salue un soir chez l’ami. Je nous imagine mariés. Vivre dans son appartement. La fin des fourmis. Je veux porter son enfant. Puis un autre. Encore un. Je ne travaille pas. Je porte l’amour. Donne de l’amour. Je deviens ce dont j’ai toujours manqué. L’incarnation de l’amour. Je suis belle. Le futur ne m’effraie plus. Je ne suis qu’amour. Amour pour cet homme et son prénom. Je le murmure les nuits, jours, mois qui suivent.
M me salue et je scelle un pacte avec moi-même. M sera à moi. Je jure de l’aimer à en crever.
À en crever.
J’avale une gorgée de bière et lui rends son salut. Derrière lequel, des baisers, caresses, fellations, suçons. Je l’aspire. Discussions sans fin. Je ne veux pas de fin.
Il me sourit et le monde s’arrête de tourner. La brume engloutit la terre entière, à l’exception de ce sourire.
L’ami vient se mettre entre nous. Il me tire par le bras. Le rendre jaloux. Je danse avec l’ami. Les yeux rivés sur M. Il parle à une fille, rousse cette fois. Ils nous rejoignent sur la piste. Un slow… Bah voyons ! Je suis jalouse. Je suis la conne qui sort avec un type dont elle peine à se rappeler le prénom. La conne, amoureuse d’un homme qui ne la regarde pas. Qui s’extasie devant un de ses sourires. Il voyage, étudie la philosophie. Il est passionné. Bientôt, il partira pour Paris au bras d’une autre où il deviendra journaliste, peintre, écrivain. Un artiste… Moi, une conne. Une conne jalouse.
L’ami me met une main aux fesses. Une fille facile en plus du reste…
Personne ne veut d’une fille facile. Je m’affiche au bras de son meilleur ami, le laisse me lécher les oreilles et me peloter.
Pour attirer un homme : avoir l’air détachée, mystérieuse et inaccessible.
M a déjà tout vu. De ma langue à ma culotte. Sans avoir eu besoin de demander. Bravo. Je mérite une médaille. La médaille de la conne qui ne pige rien à rien.
Je suis toujours la petite fille qui pleure et tombe de vélo, cherche désespérément à ce que quelqu’un l’aime. Ces filles-là finissent toujours mal.
Je demande à l’ami de retirer sa main. Il se marre.
Électrochoc.
Le sang afflue. Les joues chauffent. La peau démange. Sur cette peau, ma peau, la main de l’ami. L’insulte, la soumission. Un regard vers M. Il embrasse la rousse.
Je monte. Je rage, pulse.
Autour de moi, les insectes. Ma salive mousse. Je crache.
Crash.
J’explose ; je gifle l’ami.
Pause.
M me regarde enfin.