Donc je deviens l’hystérique. Rien ne change. M ne fait pas attention à moi. Il enchaîne les filles. Toutes les couleurs de cheveux y passent.

Un été passe.

Il part en Afrique.

Je reste dans mon studio. Je bosse comme vendeuse dans une épicerie tenue par un Polonais. Il s’appelle Édouard, joue de l’accordéon et m’offre du poison pour fourmi.

Je compte les jours, les heures qui me séparent de M. Je rêve de lui. Je ne vois plus personne. Les fourmis meurent une à une. Je n’ai plus aucune compagnie. Si ce n’est mes nuits passées dans la savane aux côtés de M.

 

Je suis complètement dingue.

 

Je m’achète des vêtements pour qu’il me trouve belle. Je teins mes cheveux. Je deviens rousse. Un roux proche du rouge. Je lis des livres en pensant à lui. Persuadée qu’il les a lus lui aussi. Bukowski, Fante, Hemingway, Kerouac, Céline, Márquez, Calvino… Je traverse pays, histoires, époques. J’écoute les Stones. Je pleure sur « Wild Horses ». Je pleure et j’imagine mes larmes se mêler à celles de M. Puis tout Chet Baker. Je n’aime pas le jazz mais je me force car j’imagine que M l’écoute en fumant des cigarettes. Je fume. Je change.

Je deviens celle qu’il aimera.

 

Il n’est pas là.

 

Des sueurs froides. Je scrute chaque recoin de l’université. Il est resté en Afrique. Une évidence… Je dois le rejoindre. Je le vois auprès d’une Africaine. Sa vie sans moi. Je vais partir. Attends-moi. S’il te plaît, attends-moi. Je cours dans les couloirs. Je brûle. Attends-moi. Ma peau se dissout. Mes organes à nu. À vif. Mon cœur cogne mes poumons. Je ne respire plus. Ma vie sans lui. Je vais mourir.

 

Sans lui, je ne ressens plus. Mon souffle… Je vais prendre un avion. Braquer une banque, une épicerie. Celle du Polonais. Trouver l’argent. Dire adieu aux fourmis et le rejoindre. C’est tout ce qui compte. Des étoiles. Je vois des étoiles. Plus d’air. Je m’appuie sur les murs. Je ne dois pas tomber. Je marche vers lui.

 

Attends-moi. S’il te plaît, attends-moi.

 

Dans les toilettes, de l’eau sur le visage. Mon reflet dans le miroir. Les pupilles sont dilatées. La peau cloque. Les lèvres sont gercées. Je tremble.

 

Je suis lucide ; je suis folle.

 

Derrière moi, le visage de l’ami de M. J’oublie encore son prénom. Il n’est pas M. Il n’existe pas. Dans ses yeux, une lueur étrange. Ses yeux n’existent pas. Pas le temps de me retourner. Sa main vient attraper mon bras. Sa main n’existe pas. Je ne réagis pas. Puis l’autre s’agrippe à mes hanches. Il est grand. Je n’avais jamais fait attention à sa taille. Maintenant que le haut de mon crâne heurte son menton, c’est différent. Il est grand mais il n’est pas M. Il m’attire dans les toilettes. Je résiste, m’accroche au lavabo.

Réflexe. Je crie. Je ne soupçonnais pas un tel cri. Je pourrais devenir chanteuse avec un tel cri. Je deviens victime.

 

Je suis folle ; ce n’est pas en train de se passer.

Je suis lucide ; je dois me sauver.

 

Trop tard. Ma tête cogne contre le lavabo. Je saigne, laisse une traînée de rouge. Comme mes cheveux. Il m’en arrache quelques-uns. Les étoiles se remettent à tourner.

Une danse ? Je ne peux pas danser. Mes poignets sont immobilisés. Je hurle. L’ami enfonce un tissu dans ma bouche. Son caleçon. Je sens son sexe nu contre ma cuisse. Les commissures de mes lèvres craquent. Mes yeux s’humidifient. Son sexe est dur et froid. Je pleure pour assécher l’intérieur. Je ne veux pas qu’il entre. Pas de lui en moi. De son sperme. Je suis sèche, rétrécie, contractée.

 

Je voulais plaire à M. J’avais acheté cette jupe pour lui.

Je me fais violer pour M.

 

L’ami essaye tous les orifices. Il y en a deux. Ma bouche est pleine. Mes narines trop petites. Mes oreilles sifflent. Il y a deux orifices. Qui luttent, qui luttent.

Je voulais être aimée. Juste aimée.

L’ami écarte mes fesses.

 

On y est.

On y est.

 

La porte est défoncée. Pas moi. Ni mon sexe.

Je vais bien. Je crache. Tousse. Pleure un peu mais je vais bien. Ce ne sont pas des larmes tristes. Soulagement. Je vais bien, je suis sauvée. L’ami n’est pas entré en moi, n’a pas éjaculé en moi, contre moi. Rien. Je vais bien, je suis sauvée. L’ami gît la gueule en sang sur le sol. J’ai rêvé de ce moment. Mes yeux coulent encore. J’essuie, puis regrette. J’aurais aimé garder ces larmes.

M n’est pas en Afrique. Il est contre moi.

M prend ma main, ne la lâche plus.