On voyage tout un été en Amérique du Sud.
J’en veux plus, toujours plus de lui.
Je rêve de quitter la Terre dans ses bras pour un monde où nous serions seuls.
Sans musique, sa voix berce mes organes.
Un monde où nous serions jeunes, éternels.
Un monde où la paume de sa main caresse mon sexe.
Un monde où M est à moi. Ma bouche pleine de sa chaleur.
Un monde où je ne mange plus, ne bois plus, ne dors plus, ne nage plus.
Un monde où je ne fais qu’aimer M.
M monte son journal avec quelques amis. J’écris pour lui. Je me cultive. Peur de le décevoir. Rubrique cinéma. Je découvre Truffaut et La Femme d’à côté. Pialat, À nos amours et Loulou. Je relis Anna Karénine. « Les histoires d’amour finissent mal » passe à la radio. J’écoute « Ne me quitte pas » en boucle.
Des boucles qui deviennent des nœuds.
Les fins tragiques inspirent compositeurs, écrivains, réalisateurs. Elles me glacent. Je ferme les yeux. Serre tout ce que je peux pour me réchauffer.
Je ne lui montre pas à quel point ces films m’inquiètent, m’obsèdent.
J’écris la boule au ventre. Tout ira bien. Je répète que tout ira bien. Jusqu’à ce que la boule rentre dans sa cage.
Les femmes gravitent autour de M. Certaines se teignent les cheveux en rouge pour ressembler à celle qui partage sa vie. À moi. Je suis celle qui partage sa vie mais qui ne partage pas. Je fais le tour de M jusqu’au vertige pour qu’il ne les remarque pas. Elles, les fourmis, les sangsues, les vipères. Je ne lâche rien. Je deviens la plus drôle et la plus rouge. Je suis jalouse quand il tourne la tête trop longtemps. Je fais la roue. Écarte les cuisses, y attire sa main. Rien n’est plus doux.
M est magnifique. J’aime être dans son ombre. J’aime être celle qui regarde mais qu’on ne regarde pas. J’aime que ce soit lui le centre. Moi autour. Car s’il n’était pas au centre, je ne serais nulle part. Je me fous d’être désirable. Je suis désirante, amoureuse de la tête aux pieds. Je ne baise pas. Je fais l’amour avec M. À chaque entrée en moi, un je t’aime. Le mot tremble. Durcit. Résonne. S’emboîte à chaque organe. Indissociable. Mes cellules mutent en une multitude de je t’aime. Ma salive a un goût de je t’aime. Je m’ouvre le ventre à chaque baiser. Sors mes os, mes tripes, mon sang. Tout. Tout mon amour. Je ne suis que ça. Un infini de je t’aime. Tous pour M. Grâce à lui, je deviens sublime.
Voilà comment je l’aime.
Je suis passionnée ; j’ai du désir, des envies. L’impression de ne plus être une étrangère. Je suis passionnée donc vivante. C’est merveilleux de pouvoir l’affirmer sans douter. Je suis en vie. Je suis arrivée sur terre pour rencontrer M. C’est une certitude.
Je m’intéresse au monde qui m’entoure car il entoure M. Je suis révoltée par l’injustice car il en a horreur. Je me bats comme lui, pour lui. Je suis militante pour pouvoir lui tenir le bras dans la rue. Je manifeste car je crois en ses idéaux. Un monde plus beau, plus juste. Un monde M.
Un jour, M reçoit un coup de fil du rédacteur en chef d’un grand journal à Paris. Il veut le rencontrer, lui offre un poste. M raccroche et éclate de rire. On passe la soirée à boire du Malibu coco. Notre boisson de l’époque. On est ivres, ma tête posée sur son torse. Sa respiration et son cœur à mon oreille murmurent l’espoir. L’avenir approche. Je n’ai pas peur de lui. J’ai M. Je suis toute-puissante.