Je me rends à Leroy Merlin. J’y passe la journée. La nuit a été rude. M ne me désire plus. M me trompe. Je suis sous la couette face à son entrejambe fumant. M me tapote sur l’épaule alors que je m’apprête à ouvrir la bouche. Il n’a pas le temps pour ces conneries. J’ai la honte qui me pique les yeux. Je cours aux toilettes, en ressors le lendemain matin. M n’a rien remarqué. M dort.

 

Je flâne dans les rayons jardinage. Je lis les étiquettes, compare les prix des sécateurs. Pour ne pas penser, pour ne pas pleurer. J’ai décidé d’aller mieux. Je suis au bon endroit. Le royaume des pioches et des tronçonneuses. Je pense à découper et enterrer M cette nuit. Je vais bien, tout est normal. Je m’assois par terre, un vendeur me demande de me relever. Il voit l’expression sur mon visage et fait demi-tour. Je m’allonge, inspiration. Je vais y arriver. Je dois y arriver. Expiration. Je me relève, remplis mon chariot de Leborgne : pioche, pelle, fourche, pulvérisateur, sécateur. Des objets tranchants. Du bois, du fer, du plastique. Je ne m’arrête pas. Je change de rayon : terre, graines, engrais. Des odeurs, de l’imagination, de l’espoir. Je paye, je flambe.

 

Je vais y arriver. Je dois y arriver.

 

Au jardin, le manche serré entre mes mains. Je frappe la terre. Je fais trembler les mauvaises herbes. Je suis seule au monde. Le vent se pose sur ma nuque. Frissons. Je me laisse caresser. Je coupe, taille, élague, à mon image. Colère assumée. Je creuse, je plante. J’imagine les couleurs. Toute mon énergie dans la terre. Pousse. Grandis. Récolte. Un monde sans peine ni mal. Je me roule dans l’engrais, la passion sous les ongles. Je gratte, j’en veux plus. J’enfonce mes doigts, encore plus profond. Je masturbe. J’ouvre la bouche, des cailloux sur la langue. J’aime son goût. Je découvre un temps. Présent. Sans résistance. La nature me regarde. Je ne suis pas dingue mais j’ai de l’humour. Je ne suis pas marquée, j’ai du charme. Pas usée mais expérimentée. Je ne suis pas vulgaire ; je suis spontanée, authentique. Pas transparente. Pas inutile. J’ai ma place. Rien de sombre. Nouveau souffle. Sa lumière ne m’éblouit pas ; je suis éclairée. Je suis au centre. Je suis désirée. Je suis belle. Je suis nouvelle. Je me love dans les feuilles. Je parle, ris, pleure et jouis seule allongée dans l’herbe. Je m’invente un monde loin de M et de ma solitude. Tout prend vie. L’espoir aussi.

 

Je deviens meilleure.