Extérieure.

Automatique.

Plus peur du vide. J’avance sans toucher, goûter, avaler, pleurer, respirer.

J’avance.

Reviens à la source.

 

La voix a gagné, je la laisse m’emporter :

 

Tu roules sans compter, sans penser. Tu roules pour ne pas penser. Pourtant des images te traversent. Un homme dans ta chambre. Ton père est mort, alors son visage te revient. Tu sens son odeur. Tu mets le chauffage. Tu as froid. Ce n’est plus un cauchemar, c’est ton passé. C’est ton enfance gâchée. C’est cette route, infinie. Bientôt elle prendra fin. Tu redoutes ce moment. Celui où tes parents existent. Tes racines. Ta mère ne t’écoutait pas, ne te croyait pas. Tu mets la radio, la musique.

Tu te distrais.

Tu supprimes.

Tu as un jour décidé que tu n’avais plus de parents, plus de passé.

Dans quelques kilomètres, l’histoire changera.

Ce n’est pas une histoire d’amour.

Tu ne comptes pas, tu décomptes, tu repousses, tu rallonges.

Sur cette route, tu profites encore un peu.

Tu aimerais rouler pour toujours, ne pas t’arrêter.

Tu arrives au bout d’un chemin, devant une maison.

Tu éteins tout. Tu dors un peu.

Tu ne fais pas de cauchemar. Le cauchemar est devant toi. Il ne se cache pas.

Tu devrais sortir de la voiture, marcher un peu et sonner.

Tu ne le feras pas. Il pleut dehors.

Tu restes des heures sans bouger. Tu fumes une cigarette sans ouvrir la fenêtre ; ne pas respirer cet air qui n’est pas le tien.

Ton air est pur. Ton air est beau.

Tu enfumes toute la voiture, tes yeux te piquent. Tu dors encore un peu.

Tu éteins ton portable. Le monde extérieur n’existe pas. Tu es dans ta voiture. Tu regardes une maison aux volets fermés. C’est tout. C’est déjà trop.

Une nuit passe. Tu as des crampes aux jambes mais tu ne sortiras pas.

Tu attends. Peut-être un jour, peut-être deux. Peut-être plus.

Tu attends, tu n’es pas pressée.

Tu attends de ressentir quelque chose.

Le passé s’apprête à te rattraper. À te condamner. À te changer à jamais.

Tu n’es vraiment pas pressée.

Tu ne penses pas à faire demi-tour. Ce temps n’existe plus.

Tu es entre deux mondes. Tu existes deux fois.

Tu es toi. Tu es elle. Tu es je.

Il ne pleut plus et il fait jour.

Tu as toujours eu la sensation d’être enfermée.

La liberté est peut-être là, dans cette voiture verrouillée, au bout de ce chemin.

Tu espères un peu, pourtant tu n’espères rien.

Te libérer de son absence, celle qui t’a construite.

L’absence devient présence.

Tu te figes.

Une vieille femme sort de la maison. Tu la regardes marcher jusqu’à la boîte aux lettres.

Son visage, son silence, sa dureté te cognent. Sa voix résonne dans ta tête, elle te demande de te taire. De disparaître. Sa voix te hait. Cette voix n’aurait pas dû être celle de ta mère.

Elle est toute petite à présent. Elle a des rides et beaucoup de solitude.

Tu sais qu’elle paye.

Tu sais qu’il est parti. Tu sais que bientôt elle aussi.

Tu ne la reverras jamais.

Tu regardes ta mère une dernière fois.

Tu complètes, remplis les trous.

Tu n’as plus peur.

Tu es revenue.

Tu es pleine de tout ce qu’elle t’a refusé. Une vie à craquer. À aimer. À dire vrai. À se battre.

Tu es fière de ta souffrance.

Tu la fixes, elle, l’origine.

Elle te voit, ta mère te regarde.

Tu ne baisses pas les yeux ; souris.

Tu ne leur en veux plus.

Tu as fait du bruit avec leur silence.

Tu as une mère. Tu as eu un père. Tu viens de quelque part.

Tu peux partir à présent. Moi aussi.

Tu la laisses rétrécir, s’en aller dans tes souvenirs.

Ton cœur est chaud.

C’est beau comme tu aimes.

Tu en as à présent la certitude.

C’est toi qui as raison. Toujours eu raison.