par Tracey Burns, Chef de projet, Direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE
Le fameux principe « KISS » (ou « Keep it simple, stupid ! ») est un appel à la simplicité. Mais, de plus en plus, les responsables de l’action publique prennent conscience qu’il est essentiel de ne pas faire simple – voire d’embrasser la complexité – pour pouvoir comprendre les systèmes d’aujourd’hui et assurer la réussite des réformes.
Les sociétés modernes sont composées d’un nombre croissant de parties prenantes diverses, qui collaborent de manière formelle et informelle. À la faveur de progrès et d’un essor rapides, les technologies de l’information et de la communication jouent désormais un rôle beaucoup plus immédiat dans le processus décisionnel, et la prestation des services publics est plus décentralisée.
Cette complexité s’accompagne de multiples processus dynamiques qui échappent au cadre traditionnel de l’action publique. Cela n’a rien de surprenant : nombre d’observateurs expliquent, depuis 30 ans, à quel point le cycle habituel de l’élaboration des politiques est inadapté dans les domaines de l’agriculture, de la médecine et de l’éducation. Cependant, ce qui a changé, c’est qu’une palette de plus en plus large d’intervenants prend désormais conscience qu’il n’est plus possible de continuer à s’appuyer sur des modèles de réforme linéaires traditionnels.
Il ne s’agit pas d’un débat purement théorique : en ignorant le caractère dynamique de la gouvernance, on rend les réformes moins efficaces. Dans l’éducation par exemple, même des établissements scolaires très comparables peuvent avoir des réactions très différentes face à une même mesure. Une étude de cas sur les Pays‐Bas a montré en quoi il avait été bénéfique, pour certains établissements en difficulté, d’être classés comme nécessitant des améliorations, puisque cela leur avait permis de se rassembler en tant que communauté pour amorcer un cercle vertueux d’amélioration des performances. À l’inverse, d’autres établissements classés dans la même catégorie s’étaient retrouvés dans une situation difficile, certains tombant même dans un cercle vicieux caractérisé par la démotivation des enseignants, le départ d’élèves pour d’autres établissements et une baisse des performances générales. Un modèle simple de réforme et de gouvernance ne peut rendre compte d’une telle complexité.
Comment identifier la complexité ? Selon un article publié en 2002 par Glouberman et Zimmerman, qui a fait date, on distingue trois types de problèmes : les problèmes simples, les problèmes compliqués et les problèmes complexes. Par problème simple, on entend par exemple la préparation d’un gâteau. Si vous le faites pour la première fois, ce n’est pas évident, mais avec une recette et les bons ingrédients, vous êtes à peu près certain d’y arriver. Dans ce cas, les compétences sont utiles, mais pas indispensables.
À titre de comparaison, on pourrait citer comme exemple de problème compliqué l’envoi d’une fusée sur la lune. Des formules sont essentielles pour résoudre ce type de problèmes, et des compétences pointues sont non seulement utiles mais aussi nécessaires. Néanmoins, tous les aspects fondamentaux des fusées étant les mêmes, une fois résolu le premier problème compliqué, il est raisonnable de penser que vous pourrez recommencer.
Les choses sont différentes avec les problèmes complexes, comme par exemple le fait d’élever un enfant. Comme tous les parents le savent, il n’existe aucune recette ou formule magique. Si le fait d’élever un premier enfant vous apporte une expérience précieuse, il n’est absolument pas garanti que vous parveniez à en élever un autre. Pourquoi ? Parce que chaque enfant est unique et, parfois, imprévisible. Les solutions qui peuvent fonctionner dans un cas peuvent ne fonctionner qu’en partie, voire pas du tout, dans un autre.
Pour revenir à l’exemple des établissements scolaires en difficulté, ce qui rendait le problème complexe plutôt que compliqué tient à l’impossibilité d’anticiper les processus dynamiques sur lesquels se fonde la réaction des établissements et des communautés. La prise en compte de la complexité inhérente à la gouvernance moderne constitue donc une première étape essentielle pour veiller à l’efficacité des réformes. Pour être efficace, la gouvernance moderne doit:
S’attacher aux processus, non aux structures. La quasi-totalité des structures de gouvernance peuvent être performantes lorsque les conditions sont réunies. Ce n’est pas le nombre de strates, et le pouvoir qui leur est conféré, qui détermine l’efficacité d’un système, mais plutôt la cohérence au sein du système, l’implication de toutes les parties concernées et les processus qui sous-tendent la gouvernance et la réforme.
Être flexible et capable de s’adapter au changement et aux évènements inattendus. Renforcer l’aptitude d’un système à tirer les enseignements des retours d’informations est un aspect essentiel de ce processus, et aussi une étape nécessaire vers l’assurance qualité et l’obligation de rendre des comptes.
Passer par le renforcement des capacités, la participation des parties prenantes et un dialogue ouvert. Mais elle doit aussi suivre une trajectoire claire : la participation d’un éventail plus vaste de parties prenantes ne peut fonctionner que si une vision stratégique a été définie et qu’un ensemble de processus a été mis en place pour mettre à profit leurs idées et leurs contributions.
Impliquer une approche à l’échelle de l’ensemble du système. Cela suppose d’harmoniser les politiques, les rôles et les responsabilités pour améliorer l’efficience et réduire les chevauchements ou conflits potentiels (par exemple entre l’obligation de rendre des comptes et la confiance, ou l’innovation et l’évitement du risque).
Exploiter les données et la recherche disponibles pour étayer l’action publique et les réformes. Un système de connaissances solide conjugue données systémiques descriptives, résultats de la recherche et savoir des spécialistes. Les principales parties prenantes savent quoi utiliser, pourquoi et comment.
Créer les cadres de gouvernance ouverts, dynamiques et stratégiques nécessaires pour superviser les systèmes complexes n’est pas chose aisée. La gouvernance moderne doit être en mesure de concilier dynamisme et complexité, tout en définissant une trajectoire claire vers les objectifs définis. Qui plus est, compte tenu des ressources financières limitées actuellement disponibles, elle doit le faire de manière aussi efficiente que possible. Si elle est difficile, cette tâche est néanmoins nécessaire.
L’article original publié sur le site OECD Insights, accompagné de liens et d’informations complémentaires, se trouve ici : http://wp.me/p2v6oD-2D9.
La série complète d’articles peut être consultée à cette adresse : http://oecdinsights.org/?s=NAEC+complexity.