XXIV.
L’expérience parapsychologique

« Vous auriez le droit de sourire, me voilà prêt à sombrer dans les considérations astrologiques, à croire aux présages et aux signes, alors que je pose depuis le début de notre correspondance au rationaliste, à l’esprit fort. Mais c’est peut-être là mon erreur. Après tout Victor Hugo, après la mort de sa fille, a connu une assez sévère période de découragement ; et si c’était le spiritisme qui lui avait permis de s’en sortir267 » ?

Michel Houellebecq. Ennemis publics.

 

L’intérêt de Huxley pour la parapsychologie est ancien. Il remonte à 1915. A l’occasion d’un dîner à Garsington chez Philip Morrell et Lady Ottoline, Gilbert Murray, professeur de Grec à Oxford, considéré comme l’un des meilleurs télépathes de l’époque, démontra une étonnante capacité à lire dans les pensées. Il fit l’expérience sur Huxley lui-même qui écrivait dans une lettre à son père le 8 décembre 1915 : « il semble sentir la pensée, la détecter dans l’atmosphère. Somme toute, c’est très intéressant. Je n’ai jamais rien vu de tel auparavant ».

En 1934, au début de la crise qu’il va traverser, Huxley publie dans Nash Magazine un article sur la preuve et la signification des états supranormaux de conscience comme la télépathie, précisant qu’il souhaite aussi resituer cette question dans le problème plus global du développement de la conscience personnelle, et en 1937 dans le même magazine un article sur l’hypnose. Dès son arrivée aux Etats-Unis, l’un des premiers lieux qu’il visite, est, à l’Université de Durham, le laboratoire du professeur Rhine qui, avec son équipe, pratique des expériences d’ESP (perception extra-sensorielle ou extra-sensory perception) et de PK (télékinésie ou psychokinésie) suivant des protocoles très contrôlés. Le 30 décembre 1942, Huxley lui écrit combien ses travaux ont « des conséquences fascinantes sur la philosophie et la religion ». Ils prouvent qu’il existe bien

 

« … un monde de forces mentales, soit complètement immatérielles, soit faisant usage de formes d’énergie proches de celles observables dans le monde de l’espace-temps mais plus subtiles. Dans des conditions appropriées, les activités mentales libèrent des forces suffisamment puissantes, non pas pour déplacer les montagnes, mais certainement pour guérir des lésions et même peut-être multiplier la nourriture (comme le révèlent les nombreux témoignages des « miracles » du curé d’Ars)268 ».

 

Deux raisons conduisent Huxley à approfondir ses connaissances en parapsychologie ; une nouvelle menace de devenir aveugle atteignant son paroxysme suite à une infection de l’œil entre mars et l’automne 1951 et l’exploration de nouvelles voies pour approfondir sa connaissance de soi et du divin et peut-être ainsi dépasser les limites auxquelles il se heurte.

Rappelons tout d’abord la gravité de cette menace. La vue de Huxley est très basse suite à sa crise de kératite de 1910 mais, au prix d’efforts, de tension et de fatigue, il a réussi à faire son travail d’écrivain. Le dévouement de Maria a joué dans ces circonstances un rôle déterminant. En 1939, sa vue se met de nouveau à décliner et son seul œil qui voit encore un peu nécessite une correction de plus en plus importante, de six à huit puis dix et maintenant quinze dioptres. Il se heurte aux objets, ses maux de tête consécutifs aux séances de travail sont plus fréquents. Malgré des lunettes très renforcées, la lecture est de plus en plus difficile et fatigante. Il ne lui reste que le ¼ d’un œil pour être relié à l’écrit, Or, il n’a que 45 ans et encore de nombreux livres à écrire et de nombreuses recherches à effectuer mais aussi une volonté désespérée pour ne pas tomber dans le noir complet. Entendant parler du docteur Bates dont on dit que les exercices visuels restaurent la vue, il se soumet à son traitement : d’abord une période de trois mois pendant laquelle il ne peut ni écrire, ni lire, suivie d’une gymnastique de l’œil plusieurs heures par jour. Au bout de quelques mois, sa vue s’améliore, il peut lire sans lunettes, sans tension, ni fatigue et sans s’injecter des gouttes d’atropine pour dilater la pupille. Bien plus, l’opacité de la cornée restée immuable durant plus de vingt-cinq ans commence à s’éclaircir, même celle de l’œil le plus faible. Seulement capable pendant des années de distinguer tout au plus la lumière de l’obscurité, il peut en 1942 maintenant déchiffrer à la distance d’un pied sur la table de Snellen la ligne visible normalement à la distance de dix pieds : sa vue est devenue le double de ce qu’elle était lorsqu’il portait des lunettes. Bates est très critiqué par ses collègues ophtalmologues et aussi par l’industrie de la lunette et nous avons vu que Huxley avait tenu à lui rendre hommage en 1942 en écrivant L’Art de voir. Bates, qui exerçait à New York au début du XXe siècle, avait observé qu’une grande partie des défauts de la vue de ses patients étaient dus à de mauvaises habitudes de travail des yeux en corrélation avec un état d’effort et de tension qui affectait à la fois le corps et l’esprit. L’art de bien voir s’acquiert inconsciemment dans la petite enfance comme les autres activités psychophysiques mais peut facilement se dérégler. Il comporte certes un aspect physiologique mais aussi un aspect mental. En effet dans le processus de la vue, l’œil, le système nerveux et l’esprit sont associés intimement pour former un tout qui englobe trois activités : la sensation, la sélection et la perception. Les taches de couleur qui constituent le champ visuel sont senties par l’œil. Elles sont sélectionnées par la rétine qui n’enregistre pas les images d’une manière uniforme mais en fonction de l’intérêt qu’elle présente pour nous. Enfin, elles sont reconnues et identifiées comme les apparences d’objets du monde extérieur au cours du processus de perception relié aux expériences accumulées par l’individu, en d’autres termes à la mémoire. La vue claire est le produit d’une sensation exacte et d’une perception correcte. La dimension mentale fait que, outre les lésions ou les maladies des organes concernés, la vision peut fonctionner d’une manière normale et naturelle ou anormale et antinaturelle. Le mauvais fonctionnement et la tension qui le provoque apparaissent quand le moi conscient entre en compétition avec l’habitude acquise instinctivement de son exercice correct. La présence excessive et perturbante du moi peut être due à diverses causes : un effort trop intense pour bien agir, une crainte injustifiée d’erreurs, des émotions négatives lourdes, des tracas, des tourments, des ennuis. Le grand mérite de Bates fut, selon Huxley, d’avoir compris cette importante dimension psychosomatique des troubles de la vue, appliqué le principe « la médecine traite, la nature guérit » et pris en compte l’ensemble des aspects de l’art de voir alors que l’ophtalmologie orthodoxe ne portait son attention que sur un seul élément du processus total de la vue, à savoir le mécanisme physiologique de l’appareil sensitif et se limitait à supprimer les symptômes à l’aide de lunettes ou lentilles. Bates construisit ainsi une méthode d’éducation visuelle pour diminuer cet état de tension de l’œil : les patients apprenaient à faire travailler leurs yeux et leur esprit dans un état de relâchement et alors la vision s’améliorait et les vices de la réfraction tendaient à se corriger eux-mêmes. Et comme cela arrive bien souvent, l’amélioration de la fonction améliorait celle de l’organe.

En juillet 1949, la vue de Huxley de nouveau se dégrade. Un autre convive dînant avec les Huxley chez les Stravinsky décrit comment Aldous utilise son couteau, sa fourchette, son assiette avec les palpations d’un aveugle. Sa femme Maria l’aide à trouver la nourriture et elle le guide en lui murmurant la correction à apporter à chacun des petits gestes qu’il faut effectuer tout au long d’un repas. En 1950, il reprend la gymnastique de l’œil selon la méthode de Bates, certes très efficace mais aussi très contraignante. En mars 1951, suite à une mauvaise grippe, son œil droit, le plus aveugle devient rouge et douloureux et sa vision tombe à un niveau très bas. Un traitement à la cortisone fin avril ne fait qu’aggraver les choses : l’œil enfle, la douleur s’intensifie et se propage vers la tête et le cou. A la mi-mai, la situation semble redevenue normale. A cette époque, Huxley travaille beaucoup pour finir Les Diables de Loudun. Certainement même beaucoup trop. A la mi-juillet, de nouveau, son œil droit est enflammé. Il est mis sous antibiotique mais début août la congestion et l’inflammation se poursuivant, les médecins envisagent de l’opérer, de lui faire une iridectomie. Certains veulent même lui retirer l’œil droit pour qu’il n’infecte pas le gauche. Huxley traverse là une des périodes les plus difficiles de son existence. Le spectre de la cécité se dresse de nouveau devant lui, barrant son chemin d’écrivain. L’angoisse ne peut que monter à un niveau difficilement supportable. Par chance, un antibiotique diminuant l’infection, les médecins décident finalement de ne pas l’opérer. Puis à partir de l’automne, sa vue recommence à s’améliorer et en décembre il peut finir Les Diables de Loudun.

Huxley pense que l’hypnose peut améliorer sa vue mais elle le stimule aussi à aller plus loin dans l’exploration des mystères de la parapsychologie. Il a étudié les travaux de celui qui fut à l’origine de l’hypnotisme, F.A. Mesmer (1734-1815), un médecin autrichien chassé de Vienne en raison de ses pratiques médicales malgré leur succès certain et leur réussite relative. Selon lui, l’univers baigne dans des courants d’énergie et les maladies résultent de leurs déséquilibres dans le corps. Il appela magnétisme animal la possibilité des organismes vivants de capter cette énergie cosmique et de la propager à leur tour, ce qu’il faisait par des mouvements des mains à proximité du corps de ses patients et qui les mettait dans un état de transe hypnotique. Il obtint ainsi de spectaculaires guérisons, et entre autres dans des cas de cécité. Huxley a connu lui-même plusieurs expériences positives en matière d’hypnose et, en particulier lors de son attaque d’iritis en 1951, il a pu retrouver le sommeil, supporter la douleur et calmer son angoisse grâce à elle. Il en a appris les techniques qu’il pratiquera sur Maria après l’ablation de sa tumeur cancéreuse au début de 1952 avec pour effet, malgré l’opération, un état psychologique serein et une bonne humeur. L’hypnose ne manqua pas de susciter des questions quant à la manière dont elle modifie l’état de conscience. Un fluide énergétique circule-t-il du cerveau de l’hypnotiseur à celui de l’hypnotisé comme le pensait Etienne Georget, disciple d’Esquirol ? Se produit-il un accroissement des capacités sensorielles de l’hypnotisé lui permettant de voir sa maladie et pouvant parfois aller jusqu’à une capacité de clairvoyance. Un autre médecin du XIXe siècle, Alexandre Bertrand, avança une explication qui par certains aspects s’approchait de celle de Huxley puisqu’il faisait référence à « une vie organique inconsciente mue par une force vitale » qui, par la mise en sommeil de la conscience, devient accessible et ouvre ainsi la condition au magnétisé pour renouer avec un instinct de vie et devenir « un corps-esprit » unifié. Pour Hegel, l’âme individuelle échappant au pouvoir de la conscience dans l’état d’hypnose (que l’on appelait somnambulisme magnétique à son époque), devient réceptive, par le canal du tout universel dont elle est une partie, à des sensations, des visions aux origines éloignées dans le temps et dans l’espace, inaccessibles habituellement aux sens. Elle peut ainsi acquérir parfois des capacités de clairvoyance, de perception extra-sensorielle. Quelles sont ces forces qui se mobilisent dans l’hypnose ? Sont-elles matérielles comme le pense Charcot pour la mise en état de somnambulisme ou bien immatérielles et de nature indéfinie ? Quel est le mécanisme de la suggestibilité de l’hypnotisé ? Psychique ou psychophysiologique ? Sur toutes ces questions des explications matérialistes et des explications spiritualistes furent avancées et s’opposèrent269. Sommes-nous dans le domaine de la parapsychologie puisque d’une part l’hypnose permettrait de voir ce qui habituellement n’est pas visible et d’autre part prouverait que l’esprit agit sur le corps et même surtout que l’esprit de l’un agit sur le corps ou la pensée d’un autre. La manière dont Huxley explique l’efficacité thérapeutique de l’hypnose dans une lettre du 20 juillet 1952 montre qu’il adopte une explication de type spiritualiste, ce qui n’est pas bien sûr pour nous étonner :

 

« … les bénéfices de l’hypnose sont dus fondamentalement à un haut degré de relaxation mentale et physique. Le moi peut s’effacer, cesser d’interférer avec l’action bienfaisante de l’entéléchie qui est à la fois le subconscient personnel physiologique qui veille au bon fonctionnement du corps et le subconscient non-personnel, le plus élevé, celui qui est la source de l’inspiration, de l’intuition, des pensées de qualité. »

 

L’entéléchie est notre part personnelle de l’âme universelle et le retrait du moi, sa mise en sommeil, permet à l’organisme de retrouver son état de fonctionnement naturel, spontané, son état de grâce animale en quelque sorte. L’explication se rapproche de celle avancée dans l’Art de voir à propos de la méthode de Bates mais n’est pas là simplement de nature psychosomatique mais métaphysique. Nous pouvons voir dans l’entéléchie de Huxley la combinaison d’un tout universel et d’une force vitale. Âme universelle ou pas, esprit universel ou pas, les perceptions sensorielles sont modifiées dans le cadre de la transe hypnotique et l’hypothèse, par exemple, d’une seconde vue, a souvent été avancée et assez prise au sérieux. Elle ne peut qu’inciter Huxley, angoissé à l’idée de devenir aveugle, de partir à sa découverte, et de pousser ses investigations bien au-delà de l’hypnose vers la lumière intérieure, la vision extra-rétinienne, l’œil intérieur. Il avait constaté que la lumière du soleil améliorait sa vue et c’était là une des raisons de ses nombreux séjours en Italie et à Sanary puis de son installation en Californie. Il avait aussi compris que sa vue était fonction de son humeur et de sa tension et Bates lui avait permis de l’expliciter. La baisse de sa vue vers la fin des années 30 avait été graduelle mais importante et expliquée par l’arrivée des mauvaises nouvelles d’Europe. En juillet 1951, l’inflammation subite de son œil droit est due à une forte tension nerveuse. Quand Huxley s’inquiète le plus pour ses yeux, il a tendance à se tourner vers la foi en une vision intérieure, une lumière intérieure qui lui permettra de percevoir le monde sans le secours des yeux mais peut-être aussi qui lui ouvrira l’accès au monde de l’au-delà ou à un autre monde. Cette lumière intérieure pourra-t-elle lui permettre, non pas seulement les visions produites par son esprit, mais, grâce à la perception extra sensorielle, de suppléer la défaillance de la vue extérieure. Ne sera-t-elle pas plus éclairante sur le monde que la lumière extérieure du soleil ? Et si oui, c’est qu’elle n’est peut-être pas très éloignée de la lumière divine.

Il n’y a pas que la recherche du troisième œil ou de la seconde vue qui pousse Huxley à s’intéresser à la parapsychologie. Sa quête mystique et sa connaissance de lui-même n’ont pas encore abouti. Sa connaissance du divin reste peut-être plus intellectuelle que réellement vécue et des zones d’ombre importantes subsistent à propos de la seconde. En fait, Huxley ne rejette pas la parapsychologie pour connaître Dieu même si à plusieurs reprises, il affirme la distinction entre le psychique et le spirituel  : le spirituel est l’entrée dans l’intemporel, le psychique reste de l’ordre du temporel. Le monde des phénomènes psychiques reste une extension du monde des créatures dans le temps tandis que la Réalité Intemporelle ne peut se connaître que par la mortification du moi et la contemplation mystique. Les religions dans « leurs formes les plus vraies » ont conçu un dieu éternel et des pratiques qui visent à « créer dans l’esprit une condition qui se rapproche de l’éternité ». Toutefois, les religions se sont souvent plus préoccupées du monde temporel même lorsqu’elles mettent en avant l’éternité de Dieu : ainsi en est-il particulièrement dans le cas des prières en pétition où il s’agit de demander à Dieu des avantages futurs dans le temps, c’est-à-dire avant la mort, ou après, au paradis. L’esprit possède des pouvoirs étendus qui excèdent ceux qu’on lui connaît dans la vie quotidienne. Ils peuvent se manifester avec puissance dans certaines conditions que les religions sont susceptibles de créer par la discipline qu’elles imposent, l’intensité d’émotion que leurs rites peuvent générer, le degré de conviction qui est celui des certitudes de la foi. Il arrive alors que les vœux des fidèles soient exaucés, comme dans le cas des guérisons spontanées par exemple et que se produisent des phénomènes qui relèvent en fait des études de parapsychologie. Il s’agit de phénomènes d’EPS ou de PK qui, bien que se produisant dans un cadre religieux, relèvent du psychique et non du spirituel. Les religions développées possèdent un côté spirituel et un côté non-spirituel, psychique ou magique et il importe de ne pas les confondre. Les mystiques expérimentés, ajoute Huxley dans sa lettre à Rhine, n’ont-ils pas d’ailleurs mis en garde ceux qui aspirent à les suivre qu’ils peuvent développer, du fait de leur foi intense, des pouvoirs psychiques qui risquent d’être des barrières entre eux et la divine réalité qu’ils veulent connaître. Le Livre tibétain des Morts, dans sa version du bouddhisme Mahayana, considère

 

« … les divinités et même les hauts bouddhas comme des projections ou objectivations des esprits humains et donc irréelles. La seule réalité indépendante est la Claire Lumière du Vide, la conscience indifférenciée de l’éternité qui est le principe intrinsèque de toute chose et que les mystiques découvrent dans la pure contemplation ».

 

Une intense croyance crée les objets de son propre culte ( dieux, saints défunts) qui peuvent devenir des centres d’énergie renforçant les énergies des prières individuelles, des désirs et imaginations des fidèles et ainsi leur permettent d’obtenir les résultats qu’ils souhaitent, parfois des résultats extraordinaires, des miracles comme ceux du Curé d’Ars. Mais à ne pas mettre l’accent et tous les efforts « sur l’éternité, l’abandon à la volonté de Dieu et l’humilité », comme l’ont enseigné tous les grands leaders spirituels, à accorder trop de place aux pouvoirs psychiques, on prend le risque de développer des religions comme la Christian Science, la Théosophie, la Nouvelle Pensée (New Thought) où le message de progrès spirituel intérieur est brouillé au profit d’activités en fait parapsychiques.

Toutefois, il n’est pas certain que Huxley soit tout à fait assuré de cette distinction entre le psychique et le divin qu’il tient à affirmer car, par ailleurs, il lui arrive de l’estomper. Il s’interroge sur la nature des formes d’énergie qu’utilisent les forces mentales, se demande « si elles sont complètement immatérielles ou bien utilisant des formes d’énergie proches de celles observables dans le monde ordinaire de l’espace-temps mais plus subtiles » et trouve nécessaire de considérer cette question à l’aide de certaines doctrines hindouistes ou bouddhistes. Le terme « immatérielles » semble là signifier qu’elles n’appartiennent pas au monde ordinaire de l’espace-temps. S’agit-il alors de forces mues par une énergie cosmique ou ayant une origine divine ? L’hypothèse de la proximité du spirituel et du psychique ou parapsychique reste donc ouverte et la question des rapports entre religion et parapsychologie loin d’être épuisée. Dans une autre lettre à Rhine, le 11 mai 1943270, il lui suggère d’ajouter à sa recherche sur la survie après la mort des références à la théorie de Broad du facteur psychique et aux réflexions de Carrington sur la précognition.

Broad, professeur de philosophie à Trinity College à Cambridge, mais aussi scientifique et mathématicien, ajouta à l’éventail déjà très large de ses études celle de la parapsychologie, ce qui lui valut d’être un des présidents de la société pour la recherche parapsychique (SPR) à l’instar d’ailleurs de nombreux autres brillants intellectuels. Il a défini la parapsychologie comme l’étude des événements apparemment paranormaux, c’est-à-dire en contradiction avec ce qu’il appelle les basic limiting principles, c’est-à-dire les principes qui constituent le cadre à l’intérieur duquel s’inscrivent nos activités pratiques et nos théories scientifiques : « Un fait ne peut avoir des effets avant de s’être produit » ou « la connaissance du futur est impossible » sont de tels principes. Broad fit l’hypothèse, suite à ses recherches effectuées avec sa rigueur coutumière, qu’il existerait un médium psychique dans lequel baigneraient comme des poissons dans l’eau tous les esprits des individus et dans lequel ce que ces esprits penseraient, ressentiraient et voudraient, créerait des tourbillons, des vortex qui finiraient par mener une vie indépendante hors des consciences individuelles. Hereward Carrington (1880-1958) né à Jersey en 1880, émigré aux USA, a écrit plus de 100 livres sur le paranormal, la parapsychologie et la médecine alternative. Ses connaissances en prestidigitation l’aidèrent dans ses enquêtes, parfois faites au nom de la SPR, pour démasquer les tours de passe-passe. Il en vint à la conclusion que si le phénomène médiumnique relevait à 98 % de la fraude, il n’en restait pas moins que les deux autres pourcentages étaient authentiques.

Signes du doute de Huxley quant à la séparation absolue du spirituel et du psychique et de son sentiment qu’ils relèvent peut-être de la même quête ou tout au moins qu’il serait bon de les étudier conjointement pour voir s’il n’y aurait pas des ponts à établir entre eux, sont les suggestions qu’il donne dans cette lettre à Rhine du 11 mai 1943 : exposer ce que la pensée orientale dit de cette question de la survie avec

 

« … la notion bouddhiste des skandhas ou cristallisations psychiques271, la notion hindouiste de corps subtil et ses relations d’un côté avec le corps grossier272, et de l’autre avec l’Atman et le Brahma, ne pas oublier le concept médiéval de scintilla animae, le synteresis ou apex mentis273 gisant au-delà de la psyché ordinaire quotidienne et capable d’un contact direct avec Dieu ».

 

Il lui indique également ceux qui pourraient l’aider dans cette recherche : Coomaraswamy du Musée des Beaux-arts de Boston274, Kunz, rédacteur en chef d’une revue mensuelle à laquelle Huxley s’est abonné, mathématicien, philosophe des sciences de l’homme, grand connaisseur de la pensée des Indes et qui a effectué des rapprochements entre certaines doctrines hindoues (comme celle de l’atomisme logique) et les découvertes les plus modernes de la physique mathématique, entre la conception indienne du monde incorporel et sa pertinence au regard de la pensée occidentale post-einsteinienne275.

Un autre signe de la proximité que Huxley admet entre spirituel et parapsychique se trouve dans l’essai qu’il consacre à Maine de Biran en 1950. Il regrette pour lui qu’il n’ait pas utilisé les données de la parapsychologie de son époque, les enseignements de Mesmer. Biran aspirait à l’état mystique et souhaitait mieux se connaître et il « eut parfois une lueur de ce que c’était que d’aller au-delà de son moi vers son non-moi divin – mais il n’en eût qu’une lueur... Le fait que les esprits pussent communiquer entre eux directement, sans faire usage de leurs organes physiques, semblait rendre un peu plus compréhensibles les faits de la grâce et de l’inspiration276 ».

Mais il se détourna de ce que l’on appelait encore à son époque le magnétisme animal. Huxley pense là que la parapsychologie peut aider à atteindre le salut et l’illumination. Lui-même en est parvenu à compter sur l’hypnotisme pour l’aider dans ses méditations : il est très impressionné par les remarques de Deleuze qui a constaté dans certains cas d’hypnose un somnambulisme, très différent des cas habituels et dans lequel la personne hypnotisée semble être dans un état de contemplation « qui alterne entre un silence extatique et l’énonciation de choses sublimes ».

De fait, Huxley plonge dans la parapsychologie. Il continue certes de fréquenter la Vedanta Society de temps en temps et d’affirmer le principe de la primauté de la contemplation et de la mortification du moi. Au cours d’un symposium en 1951 dont le thème était « Qu’est-ce que la Vedanta Society signifie pour vous ? » il réaffirme ce qu’est le message central de la deuxième période de sa vie aux Etats-Unis et qu’il répète depuis La Paix des Profondeurs :

 

« Les hommes aiment leur ego et ne souhaitent pas se mortifier, ne souhaitent pas voir pourquoi ils ne devraient pas exprimer leurs personnalités et avoir du bon temps. Ils ont leur bon temps mais aussi et inévitablement ils ont les guerres et la syphilis et la révolution et l’alcoolisme et la tyrannie et... d’indescriptibles misères. Mais tout au long de l’histoire que nous connaissons, la plupart des hommes et des femmes ont préféré les risques, la certitude de tels désastres au laborieux travail à plein temps d’essayer de connaître le Fondement Divin de tout ce qui est277. »

 

Malgré ces professions de renoncement mystique zélé, c’est la parapsychologie qui devient pour un temps la préoccupation principale de Huxley.

Au long de l’année 1951, Huxley travaille sur un cas de possession diabolique, Les Diables de Loudun, qui sera publié en octobre 1952. Depuis dix ans déjà, il rassemble des notes sur le sujet qui, certes, ne concerne pas directement la parapsychologie, mais un cas de possession diabolique. Ainsi en avait décidé l’Eglise à l’époque. Huxley avait déjà abordé ce thème trois ans auparavant, dans Temps Futurs, mais ici il le fait dans un cadre tout à fait différent, non pas celui d’une fiction apocalyptique et située dans un futur proche, mais celui d’un travail d’historien sur un fait précis en regard duquel il expose sa conception du monde des esprits, montrant bien son intérêt pour la parapsychologie. En 1940, il avait déjà eu l’idée de ce livre mais avait finalement choisi l’histoire du Père Joseph qu’il pouvait mettre en parallèle avec la Deuxième Guerre mondiale. Dans sa célèbre interview de Londres, en 1962, il déclare que l’affaire de Loudun montre bien que la vie religieuse est infiniment ambivalente et qu’on peut y observer en toute limpidité ses différents niveaux du plus horrible au plus merveilleux.

Au début du XVIIe siècle, après avoir effectué ses études chez les Jésuites, Urbain Grandier est nommé curé de Loudun. Intelligent, carriériste, séducteur, égotiste au plus haut point, il a certes des admirateurs mais il cause bien des ressentiments à son égard. Sœur Jeanne en 1627 est nommée Mère Supérieure du couvent des Ursulines. Elle s’éprend de lui mais comme il refuse ses avances, elle développe une véritable obsession sexuelle, contamine les autres sœurs du couvent et intrigue, avec la complicité des ennemis que Grandier a su se faire, pour accréditer l’idée que les sœurs et elle-même sont victimes de possession diabolique, que le responsable en est Grandier et qu’il faut les exorciser. Accusé de sorcellerie, jugé et condamné, emprisonné, torturé et brûlé vif, il refusa tout au long de son supplice d’avouer un pacte avec le Diable qu’il n’avait jamais passé. Bien au contraire, tandis que ses souffrances allaient crescendo, sa foi s’affermissait et lui donnait la force de les affronter. D’abord terrorisé et désespéré après les premières auditions de l’instruction, Grandier acquit la signification profonde des actes de contrition qu’il avait jusque-là effectués mécaniquement. Les paroles d’un vieux moine à propos de la volonté de Dieu illuminèrent son esprit obscurci par un moi hypertrophié. Réduit à l’état de chose calcinée sur le bûcher, il trouva encore la force d’implorer Dieu, à haute voix, de pardonner à ses bourreaux. Mais Grandier disparu, les exorcismes et les possessions des religieuses continuèrent. Un nouvel exorciste, le Père Surin, un jésuite, fut envoyé au couvent. Il se mit en tête, non seulement d’exorciser Sœur Jeanne, mais de la conduire jusqu’à l’illumination. Touchée par l’ardeur de Surin, elle emprunta ce nouveau rôle de sainte et même tenta de faire des miracles. Finalement, faute de crédits pour les payer, les exorcismes cessèrent et avec eux les possessions diaboliques. Les exorcistes seraient donc parvenus à suggérer à ces religieuses les manifestations de leur névrose sous forme de délires ou de gesticulations comme Charcot et Jules Luys le feront, deux siècles plus tard, à ces femmes hystériques qu’ils exposaient à la Salpêtrière et à la Charité.

Un an après la parution du livre de Huxley, Arthur Miller écrit Les Sorcières de Salem, créée en janvier 1953 à New York et bien sûr en relation avec les persécutions maccarthystes. En mars 1951, commence la deuxième série d’auditions de la HUAC (The House Committee on Un-American Activities) dont le président n’a qu’une obsession, obtenir le maximum de dénonciations (30 ex-communistes ont livré les noms de 300 autres). Huxley n’a pas besoin de souligner les parallèles entre Loudun et la HUAC. Au XXe siècle, des accusations aussi ridicules que celles portées contre Grandier d’avoir séduit des nonnes qu’il n’avait jamais rencontrées peuvent être encore gobées avec autant de naïveté. Les méthodes de la HUAC, comme celles des procès des régimes communistes, n’ont rien à envier aux procès en sorcellerie de l’Eglise trois siècles auparavant : procédures secrètes, accusations cachées, rumeurs sans valeur et témoignages douteux retenus à charge, accusations des témoins favorables à la défense, aveux extorqués, d’ailleurs plus facilement sous les régimes communistes dont Huxley pense qu’ils sont plus habiles à briser la volonté des accusés que l’Eglise. Et, à Loudun comme à Hollywood, la chasse aux sorcières est un moyen d’acquérir des places, des biens, des postes et de se venger de vieilles rancœurs.

Les hommes d’église du XVIIe siècle ne pouvaient pas comprendre ce qui se passait avec ces Ursulines et c’est pour cela que leurs tentatives d’exorcisme échouèrent. Selon eux, l’âme était comme une unité indivisible, créée à partir du néant et infuse dans l’embryon six mois après la conception. La division de la personnalité leur était donc inconcevable. Comment alors expliquer que Sœur Jeanne ait pu prendre congé de son moi habituel et se comporter comme une virago ordurière et blasphématrice ? Les explications disponibles étaient au nombre de trois : un truquage prétendaient certains, la mélancolie résultant d’un déséquilibre humoral ou, si l’on refusait ces deux hypothèses, la possession diabolique. En effet, si deux ou plusieurs esprits apparaissaient occupant un même corps, ce ne pouvait être en raison d’une division de la personnalité, entre le conscient et l’inconscient puisque l’âme était considérée comme indivisible mais de sa substitution temporaire par un des nombreux esprits surhumains qui peuplaient l’univers. On ne savait pas à l’époque qu’il est facile de mettre une personne en état de catalepsie et que dans cet état, il est possible de la faire obéir à des suggestions par l’intermédiaire de son inconscient, cet immense continent de l’activité mentale que l’on ignorait. Nombreux étaient aussi à l’époque ceux qui expliquaient les phénomènes que Sœur Jeanne manifestait par des dérèglements d’ordre physiologique, comme par exemple un excès de bile noire qui obscurcissait l’esprit et le perturbait. La science de l’époque considérait la matière, non pas comme un système capable d’autorégulation mais comme un ensemble inerte mis en mouvement par les facultés de l’âme. A chaque processus corporel observé en correspondait une. Bien sûr, les applications thérapeutiques de cette théorie étaient d’une très faible efficacité278

Notons au passage qu’on retrouve au milieu du XIXe siècle un débat dans des termes similaires avec la vogue des tables tournantes : à côté des sceptiques qui, vu les conditions de ces expériences, ne pouvaient écarter l’hypothèse du tour de passe-passe, les uns avançaient une explication d’ordre matériel, mécanique avec des mouvements inconscients, d’autres l’hypothèse d’un magnétisme analysable scientifiquement, les psychologues invoquaient un dédoublement de la personnalité du médium et approchaient ainsi la notion d’inconscient tandis que d’autres encore y voyaient bien une intervention des esprits279. Le crédit de l’hypothèse de la possession était donc en raison inverse d’une psychologie qui ignorait l’inconscient et d’une physiologie encore bien rudimentaire et grossière. Au surplus, dans le cas des Ursulines de Loudun, il n’y avait pas de raison pour la retenir au regard des critères de l’époque. Aucune n’avait montré des pouvoirs paranormaux qui, selon les doctrines de l’Eglise, étaient la preuve d’une invasion diabolique et à aucune des quatre épreuves auxquelles elle soumettait les suspects de possession diabolique, on n’avait pu en trouver des signes : l’épreuve du langage qui consistait à comprendre ou parler une langue ignorée, l’épreuve de voyance qui était en fait une épreuve d’ESP, l’épreuve de la force physique surnaturelle et celle de la lévitation qui étaient en fait des épreuves de PK.

Pourtant les exorcistes ne voulaient pas en démordre et ils allèrent jusqu’à violer les règles selon lesquelles l’exorcisme devait être pratiqué, aussi bien le huis clos que l’obstacle qui devait être mis à l’expression des démons par la voix des possédées ou encore le mépris dans lequel leurs accusations et leurs déclarations devaient être tenues. Au lieu de cela, ces femmes furent exhibées devant des foules que leurs blasphèmes, leurs obscénités et leurs contorsions excitaient. Et l’impudeur de leur comportement fit office de preuve de possession diabolique. Elles furent ainsi enfermées pour certaines dans leurs mensonges, pour toutes certainement dans une forme d’hystérie explicable par leur soumission à un mode de vie bannissant la sexualité alors qu’elles n’avaient pas de vocation religieuse. Finalement, elles furent convaincues qu’elles étaient réellement possédées. Quand certaines eurent du remords d’avoir accusé Grandier à tort, les exorcistes les persuadèrent que leur sentiment n’était qu’une illusion diabolique, une ultime tentative du Malin pour les soustraire à l’autorité de l’Eglise. Il ne leur restait plus qu’à se réfugier dans le délire. Non seulement, elles étaient prisonnières à vie de leur ordre religieux dont elles ne pouvaient concrètement s’échapper, mais elles l’étaient aussi de leurs imaginations et de leurs mensonges ayant acquis le statut de vérités intangibles. Comme, elles ne pouvaient s’élever vers Dieu dans ce climat, il ne leur restait que la voie de la fureur, des convulsions obscènes et plus bas encore celle de l’engourdissement et de la catalepsie jusqu’à la perte de connaissance et le refuge dans l’oubli complet.

Bien qu’il fasse de la possession diabolique une hypothèse reposant sur des théories fausses de l’esprit et du corps, Huxley n’exclut pas complètement à priori la possession et pense qu’on peut la conserver tant que les autres formes d’explication restent inopérantes. Cette possession peut-être le fait « d’intelligences non humaines, soit complètement désincarnées, soit associées à l’énergie cosmique280 » dont rien ne nous permet d’affirmer qu’elles n’existent pas et même dont l’existence peut-être accréditée par les phénomènes paranormaux (ESP, PK) en tant qu’ils sont « des processus mentaux largement indépendants de l’espace, du temps et de la matière ». Il estime, par exemple, qu’il est parfois difficile de rendre compte de la réception de témoignages écrits ou verbaux par un médium autrement que par un phénomène de possession de son esprit par celui du défunt. Huxley a beaucoup apprécié l’ouvrage de F.WH Myers281, Human Personality and its Survival after his Bodily Death, paru en 1903, deux ans après la mort de son auteur. Il considère que cet ouvrage, dans lequel Myers présente ses recherches sur l’inconscient et aborde les différents thèmes de la parapsychologie, est « remarquable et scandaleusement délaissé ». Il fait aussi tout à fait sienne la thèse d’un professeur de philosophie, Price, présentée en 1949 dans la revue Enquiry et selon laquelle les faits de psychokinèse et de télépathie invalident la théorie cartésienne. Descartes divisait l’univers en matière et en esprits individuels ne pouvant agir que sur la matière de leur propre corps et sièges de la conscience d’où la négation que l’on pouvait en déduire de phénomènes auparavant expliqués par « une infestation diabolique282 » tels que ceux de Loudun qui sont alors considérés soit comme inexistants, soit comme de simples illusions. Les phénomènes de PK et de ESP contredisent la théorie cartésienne car ils révèlent des activités inconscientes de l’esprit et des actions des esprits sur d’autres esprits ou sur une matière autre que celle de leur corps. Pour intégrer ces faits, Price élabora une conception de l’homme comme un être tripartite, composé du corps, de l’esprit (l’âme ou psyché pour d’autres) et de l’âme, équivalent selon les termes mêmes de Price « du moi pur, de l’Atman des philosophes hindous283 ». Seule cette dernière est immortelle mais la psyché individuelle peut s’y identifier. Celle-ci, à la différence des philosophes cartésiens ou pré-cartésiens, n’est pas immortelle, agit en grande partie d’une manière inconsciente et peut agir sur d’autres esprits ou d’autre matière que celles de son propre corps. Ce ne serait donc pas les esprits les unités de base du monde mental mais les idées à partir desquelles se constitueraient toutes sortes d’entités psychologiques « depuis les fantômes et les complexes freudiens, à une extrémité, jusqu’à l’esprit humain à l’état de veille et sainement intégré, à l’autre ». Les idées sont issues d’un esprit individuel mais mènent ensuite leur vie propre, certaines vivent peu de temps, d’autres survivent au corps et à l’esprit qui les a portées ; elles peuvent avoir une action dans un conscient ou un inconscient individuel ou dans le milieu psychique qui nous environne. Elles ont une propension à se concrétiser et elles le font de manière plus ou moins aboutie qui varie du produit d’une imagination à l’incarnation en passant par une hallucination ou une apparition quasi publique. Et Price d’ajouter : « Vous remarquerez, avec l’horreur qui convient, que c’est précisément là l’un des postulats de la magie primitive. Je n’y peux rien ; peut-être la magie primitive possède-t-elle, après tout, un petit grain de bon sens. » Et Huxley fait le rapprochement avec les notions bouddhistes :

 

« Suivant cette philosophie, l’être humain est anatta, sans âme substantielle et permanente, et est composé de skandas, complexes d’éléments psychiques infra-personnelles. »

 

L’intérêt de Huxley pour les thèses de Broad, Myers, Price brouille bien sûr les frontières, en théorie si étanches, entre le spirituel et le parapsychique. Le premier relève de l’âme universelle et l’autre de l’âme individuelle mais les deux existent à l’intérieur d’une même personne sans que nous soyons véritablement éclairés sur les communications existantes entre les deux. Huxley est passé progressivement d’une quête spirituelle à une curiosité pour la parapsychologie dans laquelle certains diront qu’il a plongé.

La plongée de Huxley dans le monde de la parapsychologie représente une rupture intellectuelle avec son milieu familial. A la fin du XIXe siècle, la parapsychologie, le spiritisme et les médiums suscitèrent l’intérêt de scientifiques, d’éminents professeurs de Cambridge que nous avons déjà cités ou encore d’auteurs réputés comme William James, Conan Doyle qui aborda le sujet d’une manière très circonspecte et rationnelle et acquit la certitude de l’existence des esprits. La Société pour la recherche parapsychique fut créée en 1882 en Angleterre puis en 1884 aux Etats-Unis. Thomas-Henri Huxley resta à l’époque un des esprits les plus rétifs au phénomène qu’il considérait comme une imposture. Après la Première Guerre mondiale, alors que le spiritisme donnait un espoir de rester en contact avec les morts de la guerre et que la remise en question par la physique moderne des notions d’espace et du temps favorisait l’intérêt pour le paranormal, un autre petit-fils de Thomas-Henry, le frère d’Aldous, Julian, se faisait une gloire de débusquer les charlatans durant les séances de spiritisme. C’est Eileen Garrett qui aida Aldous à accomplir la rupture avec la tradition familiale. Eileen Garrett née en Irlande, avait d’abord songé à une carrière d’actrice, était venue à Londres où elle ouvrit dans le quartier de Hampstead un salon de thé célèbre fréquenté par le milieu littéraire après la Première Guerre mondiale. Huxley et Lawrence en étaient des familiers. E. Garret se forma au Collège de Science Parapsychique, acquit une réputation de médium, partit aux Etats-Unis où elle lança Tomorrow le premier magazine parapsychique américain. Elle organisa les congrès internationaux de parapsychologie de Saint Paul de Vence auxquels Huxley, dont elle était devenue une amie proche, participa en 1954 (19 avril-3 mai) et en juillet 1961. Carrington fit aussi sur elle, parmi bien d’autres, une étude quant à l’authenticité de ses capacités médiumniques dont il vint à douter fortement.

Maria joue un rôle certainement dans la place croissante prise par la parapsychologie dans la vie de Huxley : elle a l’habitude de consulter celles qu’elle appelle les « diseuses » (qui lisent dans les lignes de la main) ; elle pratique la chiromancie et prend des cours pendant deux mois en 1940. Anita Loos dans Harper’s Magazine en mai 1964 reconnaît que « Maria vivait une vie de pure fantaisie » et que « ce n’est qu’après l’avoir mieux connu que je compris le sens du mot fey (bizarre) ». Elle note sa pratique de la chiromancie et ajoute que Maria croit aussi dans les étoiles et même dans les voyantes de Hollywood Boulevard qui lisent dans les boules de cristal. Mais au-delà de cette approche très rudimentaire de la spiritualité, Maria fait aussi preuve d’une réelle volonté de perfectionnement de sa personnalité : elle raconte dans une lettre du 18 juillet 1952, qu’elle ne cherche plus à convaincre mais à comprendre, qu’elle a appris à faire preuve d’« élasticité » ce qui lui permet des relations avec les autres sans heurts, ni volontarisme crispé toujours dangereux et dans une autre du 23 août 1952, elle reconnaît même qu’elle ne trouve maintenant un intérêt qu’aux choses spirituelles et qu’elle s’est coupée de ceux qui ne le partagent pas284. Dans une lettre à H. Osmond le 21 février 1955, Huxley à l’occasion du récit des derniers jours de Maria rappelle que :

 

« … sous hypnose Maria avait eu dans le passé, de remarquables expériences visionnaires d’un type que les théologiens appelleraient pré-mystiques. Elle avait aussi eu, quand nous vivions dans le désert de Mojave d’authentiques expériences mystiques, avait vécu avec un sens constant de l’immanence divine, de la Réalité totalement présente, à chaque moment, dans chaque objet, personne ou événement285. »

 

Il poursuit sur l’amour qu’elle portait au désert, le « vaste silence cristallin » qui y régnait, ce silence cristallin dont déjà Huxley rêvait au début des années 20, sur la lumière qui était associée à ses expériences mystiques,

 

« … soit la lumière dans sa pureté nue, soit la lumière qui émanait de chaque chose ou personne et rayonnait autour d’elles et vue avec l’œil intérieur ou dans le monde externe ».

 

On le voit, quête mystique et attrait pour le paranormal coexistent bien chez Maria Huxley.

Huxley lit maintenant régulièrement The Bulletin of Parapsychology et The Journal of Parapsychology et devient même un spécialiste de la question : il publie en 1954 dans Life un très long article intitulé : « un argument en faveur de l’ESP, de la PK et de la Psi286 » dans lequel il fait remarquer que jusqu’en 1650, les événements parapsychologiques étaient acceptés par pratiquement chacun dans le monde chrétien, et qu’une orientation non matérialiste facilitait l’acceptation de la télépathie et de la clairvoyance. L’article est repris dans le Reader’s Digest. Il répond à plusieurs interviews à la télévision et multiplie les participations à des réunions portant sur la parapsychologie et l’expérience visionnaire. Mais surtout à partir de 1950, il organise avec Maria, les Tuesday Nights.

Dans leur maison de North King Road à Los Angeles ont lieu des soirées, le mardi soir le plus souvent, d’initiation au magnétisme et à l’hypnose et d’investigation du subconscient. Tout est bon pour essayer de faire émerger des choses inconnues, enfouies : éclairs de lumière brillante, passes magnétiques, écoutes d’enregistrements de sons étranges, mises à l’épreuve d’hypnotiseurs ou de médiums invités pour l’occasion. Leurs amis ouverts au sujet y participent comme Paulette et Burgess Meredith287 ou Heard et Isherwood. D’autres refusent comme Anita Loos qui voit dans ces questions a big joke ou Peggy Kiskadden288 ou encore Stravinsky qui malgré tout reconnaît que : « L’amitié d’Aldous me fût d’un grand réconfort et plus ; Aldous est un guérisseur, un masseur adroit qui m’a guéri de mes insomnies289 ». L’un des objectifs de ces soirées est une meilleure connaissance de soi. Huxley a d’ailleurs rencontré le maître de l’hypnothérapie à cette époque, Ericson, ainsi que le psychiatre Leslie Lecron et les membres du département de psychologie de l’UCLA. (Université de Californie, Los Angeles). Il veut parvenir par auto-hypnose à des états de transes permettant un état de deep reflection au cours duquel il puisse faire remonter à la conscience des souvenirs perdus, mettre en ordre sa pensée et laisser son travail s’en imprégner. Et en particulier, il espère corriger une amnésie enfantine des deux années autour de ses 11 ans et qui ont précédé le décès de sa mère Julia Huxley.

Huxley fait certes la différence entre thérapies (telles que la dianétique, l’hypnose, l’E-therapy) et phénomènes parapsychologiques (tels que la télépathie, la clairvoyance et la précognition) mais il tisse des liens entre eux car il les considère comme des chemins différents pour mieux comprendre le monde des esprits ou de l’esprit. Il veut aussi tester les hypothèses qu’il a faites, surtout après ses études sur la possession et il est bien disposé à retenir celles qui s’imposeront même si elles démontrent une fraude ou donnent une explication très rationnelle et ne relevant pas du champ du surnaturel. S’il considère le développement de la recherche en parapsychologie inévitable, Huxley ne veut pas la dissocier de la recherche spirituelle. Il craint en effet que l’obtention de pouvoirs accrus ne conduise là encore à de nouveaux excès de domination et d’oppression dans une société dépourvue de buts spirituels :

 

« Des pouvoirs psychiques sans humilité et sans une perspective d’ordre spiritualiste conduiraient, encore plus fatalement que ne le font à présent des pouvoirs matériels eux aussi non guidés, à des égarements incontrôlés290. »

 

L’un des invités de ces soirées est Ron Hubbard, le futur fondateur de l’Eglise de Scientologie. Il vient trois ou quatre fois pour exposer la méthode thérapeutique qu’il a mise au point et qu’il a présentée dans un livre paru en 1950 intitulé La Dianétique : la Puissance de la Pensée et du Corps et devenu la bible de l’Eglise de Scientologie. Ron Hubbard considère qu’il a découvert l’enregistrement des perceptions inconscientes qu’il appelle les engrammes. Ces engrammes, s’ils sont réactivés, brouillent la conscience et entravent les capacités d’agir, de penser et de vivre de l’individu. La thérapie de Hubbard consiste en une procédure, appelée auditing, au cours duquel le groupe aide le patient à retrouver les moments enfouis de sa vie où les engrammes ont été enregistrés et ainsi à se délivrer de leurs effets néfastes, de leurs injonctions inconscientes. On comprend donc pourquoi Huxley peut être intéressé par la dianétique, mais les séances ne lui apportent personnellement rien. Ni dans le cadre de ces séances, ni sous hypnose, il ne peut retrouver quelques réminiscences de sa période d’enfance oubliée tandis que Maria sent, elle, une amélioration de son propre état. Huxley écrit à Jeanne l’une des sœurs de Maria :

 

« Jusqu’à présent, je m’étais montré complètement résistant... En outre, je trouve qu’il y a une fermeture complète de certaines zones de la mémoire enfantine, due, sans aucun doute, à ce que les dianéticiens appellent « un circuit démon », un ordre engrammatique du type : ne dis rien, tais-toi. Dans l’intervalle, Maria, avait réussi à retrouver des engrammes et à s’en débarrasser et avait retrouvé à plusieurs reprises que ce que son subconscient disait datait de la période prénatale. Peut-être se sent-elle mieux grâce à la dianétique...291. »

 

Hubbard est un adepte de cette conception de l’homme tripartite ; un esprit et un corps mortels et un élément spirituel immortel pouvant se réincarner et rendant possible une progression de vie en vie jusqu’à atteindre le stade d’être supérieur. La dianétique prétend aussi retrouver des engrammes datant de vies antérieures. La confusion du psychique, du parapsychique et du spirituel conduisirent la Scientologie à ce qu’elle est devenue : une secte manipulatrice. Si Huxley est impressionné par le déroulement parfois remarquable des séances de dianétique qui se passent conformément à la description que Hubbard en fait dans son livre, il n’éprouve par contre aucune sympathie pour lui. L’individu lui apparaît comme « un personnage bizarre, assez immature, très loin d’être au clair avec lui-même et en quelque sorte assez pathétique » et il est aussi frappé par son physique assez repoussant dont il pense qu’il en souffre, selon la description qu’il en donne dans une lettre à Jeanne, une sœur de Maria, le 30 décembre 1950. A Maria, malgré sa courtoisie, Hubbard fait une très mauvaise impression et le portrait qu’elle en donne à la même époque n’est pas plus attrayant : laid, grand, plutôt gras, les cheveux d’un rouge clair, un visage boursouflé, un teint pâle, des lèvres curieusement épaisses, des mains très désagréables, trop blanches avec des doigts charnus292.

Un autre invité des Tuesday Nights est Kitselman, spécialiste des anciens textes pali du bouddhisme Hinayana qui a mis au point, à partir d’eux, une nouvelle méthode d’approche de l’inconscient, l’E-Therapy (E pour Entéléchie, la finalité immanente en tout homme). Cette méthode s’inscrit dans une conception de la personnalité humaine que dans ses grandes lignes Huxley partage : à la surface, un moi qui affirme la volonté du sujet mais qui le coupe ainsi des divers non-moi auxquels il est associé et dont il est ainsi inconscient et qui constituent les différentes couches du subconscient (terme que Huxley préfère à inconscient) :

 

« … le non-moi organique qui a trait à l’activité du corps, le non-moi subconscient, le non-moi collectif du milieu psychique et enfin, le plus important, le non-moi immanent et transcendant de l’Esprit293. »

 

W. James appelle ce dernier la conscience cosmique et les hindous l’Atman-Brahman. Il n’y a pas d’âme étanche car sous le moi conscient il y a le moi subconscient qui chevauche sur le non-moi, sur le milieu psychique dans lequel baigne tous les « moi » et au moyen duquel ils peuvent communiquer directement entre eux et avec l’esprit cosmique. C’est ainsi qu’à idolâtrer notre misérable petit moi, nous ne nous pouvons pas réaliser notre identité avec le fondement divin qui est aussi en nous, au plus profond de nous et que nous ignorons alors. Huxley reproche à Freud d’avoir limité notre personnalité « aux rats et aux cafards » qui infestent le subconscient de notre moi294 et d’avoir ignoré les inspirations, les intuitions, les bonnes pensées qui peuvent remonter des couches de notre non-moi le plus profond. E, l’entéléchie, est en même temps le subconscient physiologique qui veille au fonctionnement propre du corps et le plus haut subconscient non personnel : elle est sur les franges du Pur Ego, de l’Atman. L’objectif de l’E-therapy est de l’atteindre pour qu’elle puisse manifester son action bienfaisante, nous permettre de nous tourner vers le haut alors que Freud, selon Huxley nous détourne du meilleur. Kitelsman approuvait un philosophe allemand Van Baader qui avait corrigé le Cogito ergo sum en Cogitor ergo sum, signifiant par-là que nous étions plus pensés que nous pensions et que nous ne deviendrons libres qu’en rendant le sujet plus conscient de E295. La séance se déroule ainsi : Kitselman rappelle d’abord à l’assistance en quoi consistent sa méthode et ses buts puis une personne s’allonge dans un coin tranquille, ferme ses yeux, se détend, dit ce qu’elle éprouve ou imagine, aidée par quelques questions non directives quand cela s’avère nécessaire. Huxley constate que dans un grand nombre de cas, les résultats conduisent à une augmentation de la perspicacité et une amélioration du comportement. Quant à ce qui le concerne, Maria écrit que, comme avec la dianétique, il est résistant, ne peut entrer en contact avec son entéléchie à la différence d’elle qui retrouve ce qu’elle a vu dans ses visions hypnotiques et ses voyages dianétiques.

Après son décès, plusieurs médiums assurèrent être entrés en communication avec Maria. Dans ce moment de grande douleur, Huxley n’hésita pas à considérer ces propos comme avérés et y vit, pendant au moins quelque temps, des preuves décisives d’une vie après la mort. Le 29 mai 1955, dans une lettre à Mrs Murell qui aurait eu aussi une expérience de clairvoyance au moment du décès de Maria, Huxley raconte que celle-ci serait apparue à plusieurs reprises depuis sa mort, dans une lumière rouge éclatante, à Eileen Garrett, qui prétendît l’avoir vue moins attachée à ce qu’elle avait aimé ici-bas qu’aucun de ceux ou celles qu’elle avait déjà rencontrés dans leur condition posthume. Maria l’aurait priée de rapporter sans faute à Aldous deux messages que la médium ne comprît pas très bien : dans l’un, elle parlait de « Bardle » et dans l’autre d’un certain « Eggart » qui l’aurait beaucoup aidé. Maria aurait dit, « Je n’ai pas entendu pendant « le bardle » mais l’effet fut de me calmer et de me transporter, si bien que je suis encore avec lui de l’autre côté ». Huxley fut d’autant plus étonné de ces propos d’Eileen qu’il ne lui avait jamais parlé des derniers moments de Maria pendant lesquels il lui avait lu Le Livre tibétain des Morts, un livre que Maria aimait beaucoup ; « Bardle » désignait le rituel de Bardo Thödröl décrit dans ce livre. Quant au mot « Eggart », il fallait entendre maître Eckhart dont Huxley répétait souvent une maxime à Maria : « Le regard avec lequel nous voyons Dieu est le même que le regard avec lequel Dieu nous voit ». Eileen rapporta aussi qu’au moment de la mort de Maria, elle avait senti sa présence dans sa voiture et entendit une voix lui dire « je suis Maria, je suis sain et sauf au-delà ». Dans une lettre à Osmond le 26 juillet 1955296, Huxley rapporte qu’une semaine auparavant, il avait eu une entrevue avec un des meilleurs médiums, Arthur Ford, qui aurait aussi été en communication avec Maria : elle lui était apparue, comme à Eileen, gaie, jeune, libre. « J’ai perdu mes chaussures de plomb » aurait-elle dit à Ford. Elle aurait aussi fait allusion à un prétendu miracle dont Aldous et Maria avaient été témoins dans une église arménienne l’année précédente au Liban et dont Huxley fit état dans un article qui ne parût dans Esquire qu’en août 1955. Ce fait, à première vue troublant, renforça l’adhésion de Huxley au spiritisme et aussi sa croyance, comme il le dit dans cette lettre, en la survie après la mort.


267  Houellebecq (Michel), Lévy (Bernard-Henri), op. cit. p 272.

268  Huxley (Aldous), Letters, op. cit. p 484, lettre d’Aldous Huxley à J.B Rhine du 30 décembre 1942.

269  Edelman (Nicole), Histoire de la Voyance et du Paranormal, Paris, Seuil, 2006, p 35 et 113 à 121.

270  Huxley (Aldous), Letters, op. cit. p 489, lettre au Dr Rhine du 11 mai 1943.

271  Les skandhas ou agrégats sont les facteurs constitutifs de l’égo. Ils sont au nombre de cinq : la forme corporelle, la sensation, la perception, la formation mentale et la conscience. Ils apparaissent à l’homme ignorant comme constituant sa personnalité alors qu’il ne s’agit que d’éléments divers variant d’instant en instant. Il y a perception éclairée lorsque nous voyons « qu’il n’y a ni naissance, ni mort mais seulement perpétuelle transformation, perpétuelle union et séparation d’éléments physiques et mentaux ». (A. David-Neel)

272  Dans l’hindouisme, le divin est le Brahman et l’Atman. Le Brahman est l’Absolu, présent en chaque être et en chaque chose mais aussi au-delà des êtres et des choses, une sorte d’âme universelle, cosmique. L’Atman est une parcelle de Brahman enfoui en chacun de nous et le but de la vie est de chercher à l’atteindre. Ainsi l’homme se libère du cycle des naissances et des morts en prenant ainsi conscience de son appartenance au grand Tout. L’Atman est recouvert de plusieurs koshas ou fourreaux. Le plus extérieur est le corps grossier, visible et tangible en permanence par les autres. En dessous se trouve le corps subtil qui lie le corps et l’esprit et anime cet ensemble. Le corps subtil ne se désintègre pas à la mort du corps grossier et survit pour former la base d’un nouveau corps grossier. Sauf si l’individu s’est uni avec l’Atman et ainsi a pu échapper au cycle des naissances et des morts.

273  scintilla animae, synteresis ou apex mentis : différents termes utilisés par les théologiens pour désigner cette capacité innée de l’homme à distinguer le bien du mal ; Saint Jérôme fut le premier à en parler, plusieurs interprétations en furent données : faculté de raison pour St Thomas d’Aquin, lieu de l’union de l’homme à Dieu. Maître Eckart en fit le lieu du divin en l’homme.

274  Coomaraswamy : Ananda K Coomaraswamy, historien d’art anglo-indien, né en 1877. La société occidentale lui semble manquer d’âme. Après son doctorat acquis en Angleterre où il découvre aussi l’œuvre de William Morris, il consacre son activité à l’étude, la protection et la mise en valeur du patrimoine artistique indien et ceylanais. Il est objecteur de conscience en 1914, considérant que l’Inde est étrangère à ce conflit. Cette année-là, il est appelé à travailler au musée des beaux-arts de Boston. Il parle une trentaine de langues et dialectes ce qui lui permet de mieux saisir le sens profond des textes anciens. L’étude des travaux de Guénon l’oriente vers la recherche d’une Tradition primordiale commune aux sociétés prémodernes et présente dans les arts premiers et les textes sacrés. Il devint un des piliers intellectuels de la revue des adeptes de Guénon, Etudes traditionnelles. Il envisage un retour en Inde pour mener une vie plus contemplative mais décède en 1947 brusquement. Les trois ouvrages majeurs de Coomoraswany sont Hindouisme et Bouddhisme, Le Temps et l’Eternité, Autorité spirituelle et Pouvoir temporel en Inde.

275  La physique moderne, la théorie de la relativité et la théorie des quantas, ont remis en cause les notions sur lesquels reposaient notre représentation du monde : l’espace et le temps, la distinction du sujet et de l’objet, le principe de causalité. Les plus grands noms de la physique quantique ont été amenés à partir de là à se plonger dans l’étude des phénomènes paranormaux et des traditions religieuses orientales : Schrödinger, Heisenberg, David Bohm, Olivier Costa de Beauregard, Fritjof Capra, Niels Bohr qui trouvaient là des analogies remarquables avec leurs nouvelles conceptions scientifiques.

276  Huxley (Aldous), Variations sur un Philosophe (dans Thèmes et Variations), Plon 1951, p 136 et 174.

277  Dunaway (David King), op. cit. p 265.

278  Huxley (Aldous), Les Diables de Loudun, Paris, Plon, 1979, p 198-199.

279  Cuchet (Guillaume), Les Voix d’Outre-tombe, Paris, Seuil, 2012, p 83-89.

280  Huxley (Aldous), Les Diables de Loudun, op. cit. p 205

281  F.W.H Myers (1843-1901), poète, essayiste littéraire (il a écrit sur Virgile et Wordsworth) et parapsychologue britannique, professeur à Trinity College à Cambridge où se constitua le noyau à l’origine de la constitution de la Society for Psychical Research dont il fut président en 1900.

282  Huxley (Aldous), Les Diables de Loudun, op. cit. p 193-194.

283  Huxley (Aldous), Thèmes et Variations, Paris, op. cit. p 152-154.

284  Huxley (Maria). Correspondance de Maria Huxley, bibliothèque royale de Bruxelles.

285  Huxley (Aldous), Letters, op. cit. p 734, lettre à H. Osmond du 21 février 1955.

286  Psi : terme correspondant à la lettre grecque pour désigner les phénomènes qui transcendent les lois reconnues de la connaissance aussi bien les phénomènes d’ESP que ceux de PK.

287  Paulette Goddard, actrice à Hollywood, divorça de Chaplin et se remaria avec l’acteur Burgess Meredith.

288  Peggy Kiskadden fut une amie des Huxley peu de temps après leur arrivée aux USA et le resta très fidèlement jusqu’au décès d’Aldous. Elle même, déjà, avait été très proche de G. Heard en Angleterre.

289  Bedford (Sybille), Aldous Huxley, a Biography, Volume 2, op. cit. p 129.

290  Huxley (Aldous), Letters, op. cit. page 529, lettre à Henry Miller le 5 juillet 1945.

291  Bedford (Sybille), Volume 2, op. cit. p 116-117.

292  Lettre de Maria du 2 décembre 1950, Bibliothèque de Bruxelles.

293  Huxley (Aldous), Les Diables de Loudun, op. cit. p 374.

294  Huxley (Aldous), Letters, op. cit. p 646, lettre de juillet 1952.

295  Huxley (Aldous), Letters, op. cit. p 656, lettre à Alan Watts du 12 octobre 1952.

296  Huxley (Aldous), Letters, op.cit. p 755, lettre à H. Osmond du 26 juillet 1955.