I.
L’héritier

« Huxley appartenait à une grande famille de biologistes anglais. Son grand-père était un ami de Darwin, il a beaucoup écrit pour défendre les thèses évolutionnistes. Son père et son frère étaient également des biologistes de renom. C’est une tradition anglaise d’intellectuels pragmatiques, libéraux et sceptiques ; très différents du Siècle des Lumières en France, beaucoup plus basé sur l’observation, sur la méthode expérimentale. Pendant toute sa jeunesse Huxley a eu l’occasion de voir les économistes, les juristes, et surtout les scientifiques que son père invitait à la maison5 ».

Michel Houellebecq. Les Particules élémentaires.

 

Lorsqu’en février 1932 paraît Le meilleur des Mondes, Huxley n’a que 37 ans et a déjà à son actif une œuvre abondante de 21 livres, des essais, des recueils de poésie ou de nouvelles, cinq romans ainsi qu’une pièce de théâtre et de nombreux articles en tant que critique dramatique et littéraire à l’Athenaeum et au Westminster Gazette.

Il est l’héritier direct de deux des plus prestigieuses familles de l’aristocratie intellectuelle britannique installées au cœur de la matrice de la civilisation britannique du XIXe siècle : les Huxley, par son père Léonard, et les Arnold, par sa mère Julia. L’une et l’autre ont été parties prenantes des grandes controverses scientifiques, religieuses et philosophiques qui agitaient leur pays et il arriva même que l’une d’entre elles les traversât comme celle à propos de la liberté de pensée qui opposa Thomas-Henry Huxley et Matthew Arnold.

Grand-père paternel d’Aldous, Thomas-Henry Huxley (1825-1895), directeur du Collège d’Eton, recteur de l’Université d’Aberdeen, doyen du Collège Royal des sciences et professeur de chirurgie, fut, dès la parution de L’Origine des Espèces, un ardent défenseur de Darwin. Il polémiqua avec Gladstone et l’évêque d’Oxford auquel il répondit, lors d’un débat public à Oxford en 1860, que s’il n’était pas honteux d’avoir un singe pour ancêtre, il le serait, par contre, d’avoir partie liée avec un homme qui s’acharnerait à mettre tous ses talents à obscurcir la vérité. Il créa le terme d’« agnostique », contribuant par là aussi à l’hostilité des bien-pensants à l’encontre du nom des Huxley : il n’était, en effet, pas du tout disposé à accepter un point de vue orthodoxe ou dogmatique sur l’origine et le destin de l’homme en l’absence de preuves scientifiques et il refusait donc aussi bien l’existence d’un dieu tout puissant et omniscient, les miracles et l’immortalité de l’âme que l’athéisme. Soucieux de contribuer à l’émancipation du plus grand nombre, il s’efforça de moderniser l’enseignement britannique, de l’ouvrir aux jeunes filles et milita en faveur de l’égalité des droits entre noirs et blancs à l’occasion de la guerre de Sécession.

L’arrière-grand-père maternel d’Aldous Huxley était le Dr Arnold, Headmaster de la célèbre public school de Rugby de 1828 à 1842, fonction à partir de laquelle en développant chez ses élèves une éducation complète, morale et religieuse, intellectuelle et physique, il eut une influence sur tout le système des public schools, renouvelant la formation du gentleman britannique pour en faire l’un des piliers de la puissance et de la gloire victoriennes. Son fils Le Révérend Thomas-Arnold, au cœur des controverses religieuses de l’époque, proche du Cardinal Newman et du mouvement des Tractariens6, successivement anglican, puis catholique puis anglican et de nouveau catholique, en vint ainsi à perdre son poste de professeur à Oxford. Il reprochait à l’Eglise d’Angleterre d’être trop tolérante à l’égard des inégalités sociales et à ses dignitaires de l’avoir enfoncée dans une morne routine.

Le grand-oncle d’Aldous Huxley, Matthew Arnold (1822-1888), étudiant puis professeur à Oxford, dirigea l’enseignement élémentaire britannique de 1851 à 1886. A partir de 1857, il cessa d’écrire des poèmes pour se tourner vers la critique littéraire, politico-sociale et religieuse car, même s’il ne se sentait guère en harmonie avec l’esprit de son temps, il avait envie de faire quelque chose pour son époque. La sœur de Julia Huxley était romancière. Dans son principal ouvrage, Robert Elsmere, publié en 1888, inspiré de la vie de son père, Thomas Arnold, Maria Humphry Ward décrit la lutte d’un jeune pasteur qui perd la foi au contact d’un châtelain très cultivé et profondément sceptique et en vient à considérer le Christ comme un homme et non plus comme le fils de Dieu. Il se voue alors à l’instruction du peuple et cherche une nouvelle religion fondée sur la raison, mais meurt, épuisé par cet écartèlement entre scepticisme et aspiration religieuse.

Julia Huxley créa une école en 1902 dont la devise était « Nous vivons d’admiration, d’amour et d’espoir ». Située dans la campagne paisible du Surrey, elle accueillit six petites filles au départ avec un septième élève, son fils Aldous. Puis très vite, elles étaient une centaine, la plupart enfants de l’intelligentsia d’Angleterre. Les sorties culturelles étaient fréquentes (galeries d’art et théâtre de Shakespeare à Londres, concerts à Haslemere) et Julia, très attachée à la connaissance de la littérature et de l’art, lisait, le soir, à haute voix de la poésie à ses élèves. Il y régnait un climat de liberté : à une époque où les élèves devaient marcher deux par deux en rang, elles bénéficiaient d’une certaine autonomie dans l’organisation de leurs promenades à vélo et de leurs marches à pied. Il n’y avait pas d’obligation en ce qui concerne les jeux et la pratique religieuse. On y pratiquait le sport : le hockey, le croquet, la crosse canadienne. La personnalité de Julia Huxley a laissé un souvenir ému et chaleureux chez celles qui avaient été ses élèves et n’ont jamais oublié le climat de bonté et de gentillesse qu’elle diffusait dans l’école et auquel son mari, qui s’occupait du jardin en compagnie des élèves, contribuait aussi pour beaucoup. Le charisme de cette femme, son autorité calme, compréhensive et bienveillante, son attachement à la transmission des œuvres, le cadre qu’elle sut créer pour que les enfants puissent partager le sentiment de la nature, se nourrir de ses vertus de paix, de sérénité et d’émotion poétique, tout cela influença durablement la plupart de ses élèves pour qui le passage à Prior’s Field avait été plus une initiation à des dimensions essentielles de l’existence qu’un simple enseignement scolaire.

Son mari, Léonard Huxley ne fut pas du tout, contrairement à ce que dit Houellebecq, biologiste, mais professeur de grec à Charterhouse puis à Saint-Andrews avant de rentrer comme principal conseiller littéraire aux éditions Smith et devenir rédacteur du Corn Hill Magazine. L’héritage culturel familial fabuleux d’Aldous Huxley, à la fois scientifique et littéraire, lui permit tout au long de son œuvre d’aborder la question de la science et de le faire avec recul et en relation avec celle du destin de l’homme. André Maurois trouva une des clefs de l’originalité de son talent, « faite de la combinaison d’une nature poétique et d’une culture scientifique », dans une « enfance parmi des êtres dont la culture était exquise et prodigieusement variée7 » au cours de laquelle il fut nourri de science et de littérature, de poésie et de philosophie.

Le frère aîné d’Aldous Huxley, Julian, lui aussi diplômé d’Oxford, fut bien biologiste, professeur aux universités de Houston, d’Oxford puis au King’s College à Londres avant d’être le premier directeur général de l’UNESCO en 1946. Il créa WWF, le Fonds mondial pour la vie sauvage, et milita très activement pour la préservation de la nature. Il participa à de nombreuses activités de vulgarisation scientifique, rédigea avec H. G Wells et le fils de ce dernier une encyclopédie, La Science de la Vie, contribua à la synthèse moderne de l’évolution et aussi traduisit Teilhard de Chardin en anglais.

Composée de quelques familles (les Trevelyan, les Macaulay, les Arnold, les Wedgwood, les Darwin, les Huxley), une élite restreinte, dotée d’un sens aigu de la chose publique, consciente de sa valeur, imprégnée d’une haute idée de sa responsabilité et comme investie d’une mission culturelle et sociale, était, par l’affirmation constante de la primauté des valeurs morales et des valeurs intellectuelles, une des barrières qui résista le plus longtemps à la montée dans la société anglaise du pouvoir de l’argent et du matérialisme. Elle refusait l’étalage et la morgue de cette richesse nouvellement constituée, l’agressivité de ce philistinisme8 d’une ampleur jamais vue dans l’histoire de l’Angleterre. Ses représentants

 

« … soutinrent que l’intégrité et la courtoisie étaient précieuses, ils continuèrent à exposer devant les jeunes des idéaux spirituels. Ils laissaient entendre que si la vie publique est entachée d’une certaine ignominie spirituelle, une autre vie vouée à éclaircir les mystères de l’esprit, de la matière et du cœur peut-être désirée9 ».

 

Elle produisit de multiples talents dont l’influence a été considérable au cours du XIXe siècle, partagea le désir d’améliorer le destin et le gouvernement des hommes, travaillant au cours des années 1860 et 1870 à la démocratisation de la société anglaise (à l’extension du droit électoral, à l’accès des femmes aux études, à l’entrée à l’université indépendamment des croyances religieuses), assuma les responsabilités que son intelligence lui conférait tout en travaillant sans relâche à sa passion pour la vérité.

Matthew Arnold disait vouloir « faire connaître aux Anglais tout ce qui s’était dit et pensé de mieux dans le monde10 ».

Il fut de ceux qui se livraient aux critiques les plus virulentes de la vulgarité bourgeoise (que les Britanniques appelaient alors les classes moyennes pour les différencier des classes populaires et de l’aristocratie). Dans Culture et Anarchie paru en 1869, il fustigea cet esprit matérialiste et égoïste et, si d’autres prirent le relais en dénonçant les inégalités sociales et même le progrès technique et industriel, son originalité et sa force vinrent de ce qu’il le fît au nom de la culture. Cette approche ne fut pas sans influence sur son petit-neveu. Matthew Arnold avait une haute conception de la culture : la culture ne se limite pas à la connaissance des belles-lettres et des arts, elle est encore moins la seule formation partielle et spécialisée en vue d’une profession ou d’une science particulière, elle n’a pas pour but le bonheur, mais le perfectionnement intérieur, elle est une quête qui a pour objet l’épanouissement de toutes les dimensions de l’homme car elle cherche à comprendre le monde dans sa totalité. Matthew Arnold était convaincu qu’elle pouvait, en ce XIXe siècle de transformations rapides et brutales, permettre à l’homme et à la société de trouver son équilibre. Mais elle n’est pas qu’une disposition, elle doit s’appuyer sur un contenu qui est le meilleur de ce qui a été pensé et donc elle s’oppose à l’esprit partial et étroit qui refuse la tradition. « Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants ».

Ainsi, une des tares les plus marquées de ces philistins était de s’enflammer pour les sectes anticonformistes et, au nom de la liberté individuelle, de refuser l’autorité de l’Eglise. La culture s’oppose aussi aux fonctionnements mécaniques qui stérilisent la pensée des individus qui y sont de plus en plus soumis dans la société industrielle. Or, c’est bien là l’autre cause du caractère lugubre et étroit des bourgeois, leur adhésion irréfléchie aux dogmes, comme celui du libre-échange, et aux slogans, leur préférence pour les transactions commerciales « à la douceur et la lumière ». Au sein de la jeunesse cultivée des vingt dernières années du XIXe siècle, surtout à Oxford, il existait une forte contestation de l’esprit bourgeois de compétition et de réussite sociale et du sentiment de supériorité naturelle de l’aristocratie. Il n’était plus de bon ton d’être un chrétien musclé et encore moins un impérialiste. L’influence de Ruskin, des préraphaélites, des parnassiens et du symbolisme français s’était fait sentir et au modèle de « l’athlète » avait succédé celui de « l’esthète ».

Toutes ces critiques ont eu d’autant plus de portée que la haute société de l’ère édouardienne donnait le spectacle d’une vie de plaisirs brillante, insouciante, fastueuse et que se répandaient dans les catégories bourgeoises bénéficiant de la prospérité économique la fascination de l’argent, la volonté de paraître, la vulgarité des parvenus. L’argent se substituait à la naissance et au raffinement comme critère de la distinction sociale. Il ne pouvait donc être question à la veille de la guerre de 1914, pour un jeune homme épris de culture et soucieux d’une éthique, de s’identifier aux membres de cette caste dominante, surtout s’il venait de cette aristocratie si particulière, cette aristocratie de l’esprit qui croyait, comme le Dr Thomas Arnold, que le rôle des écoles accueillant les enfants des classes dirigeantes devait consister avant tout dans une formation morale et intellectuelle les préparant aux responsabilités auxquelles ils étaient destinés.

Les valeurs, les habitudes, la gloire et les prescriptions de ce milieu ont nourri la jeunesse de Huxley. L’impératif auquel il fut soumis, comme tous les enfants qui en étaient issus, de s’engager très tôt dans la voie d’une réussite scolaire de haut niveau lui a donné de l’élan et ne lui a pas pesé, ni à Eton, ni au Collège de Balliol à Oxford où il fut l’un des étudiants les plus brillants. Cette éducation l’a aussi préservé du désir de réussite sociale qu’il a constamment raillé en tant que but de l’existence.

Mais elle fut aussi empreinte d’un puritanisme source de lourdes souffrances11 : « L’ascétisme visant à soustraire l’homme à la puissance des instincts afin de le subordonner à la suprématie d’une volonté préméditée12 » était, à la fin du XIXe, dépouillé de son fondement religieux, le salut des âmes, et réduit à un christianisme moralisateur embourgeoisé centré sur un souci obsessionnel du péché de chair. Le sexe était tabou, sujet de honte, de censure, de secret et la pruderie à son comble. La famille d’Aldous Huxley n’avait pas échappé à ces dérives avec les conséquences tragiques qui pouvaient en résulter. La plus grave fut le suicide de son frère Trev plongé dans une crise de mélancolie fatale, rongé par la culpabilité d’avoir eu des relations sexuelles avec une jeune femme de chambre qu’il aimait, mais dont il dut se séparer du fait des préjugés sociaux de sa famille. Julian Huxley dans ses Mémoires raconta sa première relation sexuelle avec une jeune fille attirante et tout à fait disposée aux plaisirs de l’amour. La joie qu’elle lui procurait était gâchée par un lourd sentiment de faute et ce déchirement fut tel qu’il en vînt à rompre une liaison que sa partenaire voulait complète et durable et dans laquelle elle s’était engagée jusque devant ses parents. La culpabilité de l’intolérable situation dans laquelle il l’avait mise le plongea dans un profond désespoir et une horreur de lui-même le conduisant à une grave dépression nerveuse. Aldous Huxley, dans un manuscrit inachevé rédigé peu de temps avant sa mort, commença une autobiographie à peine romancée de sa petite enfance dans laquelle il décrivait le climat moralisateur qu’avaient fait régner ses parents de telle sorte que culpabilité et honte entouraient la volupté ressentie à l’occasion de l’emploi de mots orduriers, d’actes de masturbation ou même de l’obscur plaisir éprouvé lors d’une série de claques et de baisers humiliants donnés par sa gouvernante allemande sur ses fesses dénudées.


5  Houellebecq (Michel), op. cit. p 197.

6  Newman fut l’un des principaux disciples de John Keble dont le sermon de 1833 à l’université d’Oxford dénonçant la suppression de dix évêchés anglicans en Irlande par le gouvernement whig fut le point de départ du mouvement dit des Tractariens. On l’appela ainsi car ses partisans distribuaient des petites brochures qui faisaient le point sur diverses questions religieuses et eurent un grand succès. Outre le refus de la suprématie de l’Etat sur l’Eglise anglicane, ils avaient surtout l’ambition de la régénérer et de la tenir à l’écart de la montée de l’utilitarisme. Il s’agissait de la ramener à sa doctrine primitive, celle d’un catholicisme débarrassé des erreurs romaines et parfaitement conforme aux enseignements des Pères de l’Eglise. En cette période romantique, le mouvement connut un succès dans son entreprise pour raviver la foi, restaurer une liturgie des cultes mettant en scène les ferveurs mystico-spirituelles. Il sembla un moment capable d’amener un souffle d’air vivifiant la foi et l’institution mais comme il repoussait l’état d’esprit individualiste et anti-traditionaliste, il se heurta de front au protestantisme et sa condamnation par l’Université d’Oxford marqua le début de son déclin. Tandis que certains tels Froude et Newman se rallièrent à Rome, d’autres comme le Docteur Pusey cherchèrent à maintenir au sein de l’Eglise anglicane une foi plus exaltée et vivante mais ils ne parvinrent pas à stopper les forces qui entraînaient l’Angleterre victorienne vers le matérialisme. Ce qui fait dire avec humour à Jacques Chastenet dans Le Siècle de Victoria : « Les minces volutes de l’encens, toutes embaumées soient-elles, ne sauraient prévaloir contre l’épaisse fumée qui s’échappe des locomotives »

7  Maurois (André), Magiciens et Logiciens, Paris, Grasset, 1935, p 321-323

8  Matthew Arnold désigne, en 1869, la classe bourgeoise par le terme biblique de Philistin. Il stigmatise très clairement leur fermeture aux arts et aux lettres, à la pensée en écrivant : « le terme de Philistin comporte un sens qui le rend particulièrement approprié à notre classe moyenne. En effet, Philistin implique l’idée d’une résistance particulièrement opiniâtre et perverse à la lumière et aux enfants de celle-ci ». Culture et Anarchie, Lausanne, L’Age d’Homme, 1984, p. 105

9  Bedford (Sybille), op.cit. p. 20

10  Todorovitch (Françoise), Aldous Huxley, Le Cours invisible d’une Œuvre, Paris, Salvator, 2000, p. 23.

11  Le Puritanisme désigne les mouvements religieux du XVIIe siècle de Hollande et d’Angleterre tournés vers l’ascétisme ; indépendants, congrégationalistes, baptistes, mennonites et quakers. Max Weber attribue 4 sources au Puritanisme : le calvinisme, le piétisme, le méthodisme et le mouvement baptiste. Le calvinisme, né au XVIe siècle, a pour dogmes la théorie de la Prédestination et la transcendance absolue de dieu. Il en découle, renforcés par l’idée de la futilité de tout ce qui est de l’ordre de la chair, un rejet de tout élément émotionnel ou sensuel dans la culture et la pratique religieuse et un individualisme très rude. Le travail sans relâche, outre qu’il contribue par son efficacité à la gloire de Dieu, est aussi un moyen pour le fidèle d’assurer sa confiance en sa foi et sa certitude d’avoir été élu. Ce fidèle ne devait pas seulement accomplir de bonnes œuvres mais aussi se rendre capable de maîtriser parfaitement ses émotions, sa nature et pour cela il pratiquait un ascétisme qui donnera d’ailleurs son nom au mouvement initié par les frères Wesley au XVIIIe siècle, le méthodisme. Le piétisme était, à l’origine, un courant luthérien qui accordait plus d’importance au sentiment religieux personnel qu’à la doctrine et qui, bien qu’il prît ses distances avec la théorie de la prédestination, n’en pratiqua pas moins un ascétisme rationnel. Le mouvement baptiste est né à la fin du XVIe-début XVIIe siècle et il donna naissance aux quakers et l’un de ses représentants les plus illustres fût John Bunyan (1628-1688).

L’Eglise établie est l’Eglise d’Angleterre, anglicane, soustraite à l’autorité de Rome depuis le divorce d’Henri VIII. Au XVIe siècle se sont constitués des groupes protestants appelés non-conformistes et qui se sont beaucoup développés sous Cromwell donnant naissance à de nombreuses sectes. Les non-conformistes furent victimes de mesures discriminatoires qui disparurent au cours du XIXe siècle. Ils ont été très actifs dans divers mouvements sociaux (abolition de l’esclavage, réforme des prisons, lutte contre l’intempérance etc…).

Ces sectes dissidentes, souvent marquées par le puritanisme (les congrégationalistes, les baptistes, les méthodistes) ont trouvé dans la bourgeoisie un terrain d’élection et ont contribué à façonner son moralisme, son style de vie fondée sur l’effort individuel, la compétition et centrée autour du travail et de la famille. Parmi les Puritains anglais les plus connus, outre ceux déjà cités, il y a William Penn (1644-1718) et Milton (1608-1764).

12  Weber (Max), Ethique protestante et Esprit du Capitalisme, Paris, Plon, 1964, p. 136-137.