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Voyages, aventures, explorations et autres vagabondages
Éric
Voyageur : celui qui se déplace hors de chez lui, part à la découverte, parcourt des chemins plus ou moins longs et ardus, et s’en revient généralement « plein d’usage et raison ». Il n’est pas indifférent de rappeler que le voyage est souvent une métaphore de l’existence même, le plus grand étant la mort.
Explorateur : voyageur appartenant à l’espèce curieuse, investigatrice, questionneuse et observatrice.
Vagabond : celui qui vague, qui erre – planète signifie « astre errant » –, c’est-à-dire celui qui se déplace sans contraintes, s’arrête et reprend la route. Parce qu’il a le temps. Mieux, il habite le temps autant que les lieux qu’il traverse.
Aventurier : celui qui tente l’aventure, qui se livre au hasard, à l’imprévisible et donc au danger. Étrangement, ce terme désigne souvent les amateurs d’exploits, les traverseurs de déserts à cloche-pied, les navigateurs des quarantièmes rugissants en canot gonflable, les deltaplaneurs de l’Everest… toutes tentatives qui exigent une préparation minutieuse, une attention continue, du courage et une volonté d’acier, des sponsors, ainsi que des spectateurs – peu à voir avec l’aventurier d’autrefois qui jouait sa vie sur un coup de dés, sans que personne n’en soit averti, qui devenait trappeur, pêcheur de baleines, trafiquant, ou qui se lançait dans la forêt amazonienne, pour en rapporter la substance qui ferait sa fortune. L’aventure a été un état d’esprit, elle est en passe d’être une profession.
Et moi, qui suis-je ? Je ne puis nier mon sentiment d’appartenance aux voyageurs.
Auprès de mes parents, j’ai pris le goût du voyage et de la randonnée sac au dos ; avec les scouts, l’auto-nomie, l’équipe, l’immersion dans la nature. Tous mes voyages de jeunesse combinaient une expérience physique et la découverte d’un ailleurs. J’aime, cela est une certitude, me déplacer comme un nomade, dans des lieux sauvages, éloignés des villes, arpenter des terres qui ne sont pas – ou peu – touchées par l’empreinte de l’homme. Le vélo répondait à toutes mes attentes. Avec un tout-terrain, j’ai découvert la griserie de quitter la grande route, de gagner des vicinales, de découvrir des villages de plus en plus reculés, remontant des sentiers jusqu’aux hameaux les plus solitaires. La traversée du désert de Gobi, que nous avons faite à cheval puis avec des chameaux, a été une autre révélation. Le ski de randonnée ou tracté par un kite, le bateau, le kayak, la plongée sous la glace ou souterraine, et, bien sûr, la marche et l’escalade qui la prolonge, permettent d’aller voir plus loin quand les pistes s’achèvent.
L’exercice réveille tous les sens, sollicite le corps de façon variée. C’est amusant, mais cela ne me suffit pas. Je cherche à trouver le meilleur moyen d’explorer un milieu. Ensuite, c’est un bonheur quand, à force d’entraînement, la maîtrise est là, que les gestes deviennent justes et fluides, et la récompense est celle d’une communion avec la nature. Le corps et l’esprit qui se dilatent, le chuintement de la neige, les tons de feu sur la banquise sous le soleil de la nuit d’été, le souffle du vent dans la voile, l’alliance du bras et de la rame alors que file le kayak et que se déploie le paysage à chaque coup de pagaie, l’air à mon visage, l’univers sous-marin : toute sensation qui fait de moi un être vivant, en pleine conscience.
Ce que je peux dire de moi, voyageur ou aventurier, m’importe d’ailleurs moins qu’aux organisateurs de festivals d’aventures, qui m’affublent d’un badge estampillé « explorateur ». J’ignore ce que peut encore signifier l’exploration au siècle de Google Earth, sauf peut-être quand je plonge sous la banquise ou découvre une grotte, pénétrant dans des sites où quasi personne n’est jamais allé.
Le désir d’explorer, c’est le désir de connaître. Le besoin de savoir ce qui n’est pas encore découvert, transcrit en mots ou en équations, rejoint ma première vocation pour la science et mon goût pour la rencontre d’autres hommes, que ce soient les Inuits, les Bushmen du Botswana ou les Waraos du Venezuela. Pour l’avenir, je ne m’interdis rien, ni de remonter le Saint-Laurent, ni d’emmener Vagabond le long de l’Amazone, ni d’interroger sans relâche ceux qui croiseront ma route.
Si, comme le note Patrice Franceschi, dont le parcours aventureux est bien différent du mien, « il faut oser raconter sa propre histoire », c’est-à-dire chercher à l’interpréter, il n’est peut-être pas si indifférent de me rappeler que je suis né au Japon. L’abordage de ma terre natale à bord de Vagabond, après le passage du Nord-Est, a été d’une grande intensité émotionnelle. J’ai le sentiment que la curiosité concrète, l’envie de pénétrer et de vivre dans des lieux très étrangers à mon origine franco-française, vient peut-être de cette naissance décalée, des récits de mes parents, ainsi que de ces deux années aux États-Unis dans ma toute petite enfance. Comme dans ces histoires fantastiques où le héros, après avoir traversé la terre entière et vaincu tous les dragons, poussant une barrière un peu branlante et se frayant une voie dans les buissons, réalise qu’il est revenu dans le jardin ensauvagé de ses vacances d’écolier…
Navigateur, capitaine, ingénieur, scientifique, voyageur, aventurier, explorateur, photographe, caméraman, conférencier, reporter, logisticien, guide, spécialiste de la banquise… peu importe ! Alors oui, finalement, ces organisateurs de festivals peuvent bien me présenter comme ils l’entendent…