— Nous habitons de petites maisons penchées par le chagrin dont le toit s’incline davantage chaque nuit.

— La mère d’autrefois coud près de la lampe

— Apporte le café le beurre et les tartines

— Lise il faut attiser le poêle qui s’éteint

— Dois-je répéter combien se craignent la mère et le monde ? L’une garde dans la nuit de ses jupes ce que l’autre réclame. L’une craint pour son enfant l’en-allée sur les routes. Elle voudrait l’empêcher de fuir. Et le pousse à tasser la paille de son nid au plus profond de soi, sous une pile de tourments qui ne sont pas les siens. Obéissant à de vieilles ombres, sera-t-il capable d’aimer ?

— Lorsque la mère s’en va, emporte-t-elle notre souffrance ?

 

Il n’y aura plus désormais cette sorte de souci diffus qu’elle maintenait en moi depuis la fin de mon enfance : à la pensée du poids de son attente, de son désir de me protéger, me nourrir, comme d’entendre ma voix au téléphone… Ce souci m’enfermait dans un temps dont elle comptait les heures. Le temps d’une sourde dépendance.

Ma vie à présent n’a plus de commencement. Elle flotte, désamarrée, libre d’attaches. La voici devenue ce qu’elle était depuis toujours mais que je ne pouvais voir : une vie d’homme quelconque, issue de nulle part, procédant du rien et y retournant.