L’escouade trouva Élie Pradet en train d’atteler une paire de vaches. Le chien signala l’arrivée des hommes et Pradet, devant le déploiement de forces, devina qu’il était démasqué. Avec une rapidité que l’on n’aurait pas attendue d’un boiteux, il lâcha tout et entra dans l’étable dont il ferma la porte. Peu après, le temps qu’il parvienne à l’intérieur de la maison qui communiquait avec l’étable, ils l’entendirent barricader la porte d’entrée, puis ils le virent fermer les volets de la cuisine. Quand les forces de l’ordre arrivèrent devant la maison, il s’y était retranché et on ne voyait plus signe de vie, à l’exception des vaches à moitié jointes qui s’agitaient et du chien qui grognait en montrant les dents sans oser s’approcher des intrus.
— Élie Pradet, dit Lartigues d’une voix forte, nous savons que c’est vous qui avez tué Exupère Souquet. On vient vous arrêter. Sortez !
Rien ne bougea.
— Si vous n’ouvrez pas, on entre de force !
Un volet claqua à l’étage et apparurent, dans l’ordre, le canon d’un fusil et une tête résolue.
— Essayez, pour voir.
Et il tira un coup vers le chêne, ce qui fit tomber une pluie de feuilles et provoqua la débandade dans la cour.
— On n’est pas au bout de nos peines, commenta Deumier quand ils furent à l’abri derrière une grange. Il va continuer de tirer tant qu’il aura des munitions.
Lartigues était du même avis.
— On va le mettre en colère pour qu’il tire et qu’on en finisse plus vite.
Les mains en porte-voix, il cria, passant au tutoiement :
— C’était bien ton frère, le garde champêtre. On a trouvé la lettre de ton père qui le reconnaît.
Cette fois, Pradet tira deux coups, mais pas en direction du chêne. Les hommes désormais visés se félicitèrent de s’être mis à l’abri.
— Il t’a réclamé la moitié de la ferme, l’Exupère, et tu l’as tué.
Nouveau coup dans leur direction, mais mieux ajusté. Riquier avait l’impression d’assister à un western : le dépaysement n’était pas moindre, l’action non plus, mais le confort des spectateurs laissait à désirer. Le citadin aurait bien des choses à raconter à son retour à Toulouse. À moins qu’il n’en ait pas envie. L’homme ne se rendrait pas et cette histoire risquait de mal finir.
Pauline et Marie-Pierre, qui étaient à une faible distance de chez Pradet, sursautèrent au premier coup de feu.
— Ils l’ont peut-être tué, dit Pauline.
— Je les ai vus partir : ils n’avaient pas de fusils. C’est Pradet qui a tiré. S’il s’est suicidé, tout est terminé.
Les deux coups suivants vinrent infirmer l’hypothèse. Les deux filles, terrorisées, n’osaient plus bouger. Casalès, qui arriva en courant, les trouva blotties l’une contre l’autre.
— Vous savez ce qui se passe ?
Marie-Pierre lui raconta.
— Ne restez pas là. Appelle les vaches, Pauline. Je vais les pousser. Rentrez à la maison.
Lorsque le troupeau fut docilement engagé sur le chemin de la ferme, lui-même prit la direction de chez Pradet, bientôt rejoint par Jacques qui coupait des broussailles à proximité. Les deux hommes avaient espéré rejoindre le maire et les gendarmes, mais il aurait fallu avancer à découvert et ils durent rester en retrait. Il y eut un quatrième coup de feu et la voix de Lartigues reprit ses provocations :
— Si tu es un homme, descends au lieu de te cacher !
Après un nouveau tir, Pradet répliqua :
— Vous feriez mieux de vous occuper des terroristes et de laisser tranquilles ceux qui défendent leurs biens.
— Quels terroristes ? lui cria Compans.
— Ceux qui ont saccagé ma récolte avec le parachutage.
— Quel parachutage ? insista le gendarme.
— Il y a une quinzaine de jours. Le maire devait payer les dégâts, mais il ne l’a pas fait. Tous des menteurs ! Tous des voleurs !
Et il ponctua sa diatribe d’un nouveau coup de fusil.
— Où ils sont ces terroristes ? continua Compans.
— Est-ce que je sais, moi ? Cherchez-les puisque vous êtes si forts.
— Il invente n’importe quoi, ricana Lartigues. Des terroristes ! On aura tout entendu.
— Et cette histoire de dégâts ? s’informa Compans.
— Les vaches de la métairie s’étaient échappées, expliqua Maupas.
Compans sembla s’en contenter, Riquier se dit qu’il y réfléchirait plus tard et il n’y eut pas de commentaires. Pradet reprit, alors que personne ne s’y attendait.
— Moi, je sais bien où je chercherais…
— Où ? demanda Compans.
— Dans la forêt de Fontsavès, du côté de l’ancien pavillon de chasse.
— Si tu crois nous faire partir avec tes inventions, intervint Lartigues, tu te trompes. C’est pour toi qu’on est là et c’est parce que tu as tué ton frère. C’était ton frère, le garde champêtre. C’était le fils de ton père et ton père l’avait reconnu sur son lit de mort. Tu n’as pas respecté les dernières volontés de ton père et tu as tué ton frère.
Furieux, Élie Pradet hurla :
— C’était pas mon frère ! Je vous interdis de dire que c’était mon frère ! La lettre, elle est fausse ! Regardez ce que j’en fais de cette ordure d’Exupère !
— Il a mis quelque chose au bout du fusil, annonça Puntous qui regardait entre deux planches.
Le nouveau coup de feu éparpilla des débris dans toutes les directions. Deumier trouva dans la grange un outil à long manche dont il se servit pour récupérer un morceau qui n’était pas très éloigné d’eux, mais à découvert. Ils l’examinèrent : c’était la casquette du garde champêtre.
— Il avait dû la garder en guise de trophée, supposa Riquier.
Des pas derrière eux attirèrent leur attention : c’était Compans qui revenait de la direction du château. Personne ne l’avait vu partir.
— D’où tu viens ? demanda Lartigues.
— Je suis allé pisser.
Pradet s’était remis à crier et le chef oublia son subordonné.
— Vous ne m’aurez pas vivant, hurlait-il.
— Il en est à sa dernière cartouche, prédit Deumier.
— Rends-toi, répéta Lartigues.
— Jamais !
Un coup de feu éclata, peut-être le dernier. Pour ne pas courir de risques, il continua de l’appeler et de le provoquer, mais il ne se passa plus rien.
— On va quand même faire attention, recommanda Lartigues.
Ils approchèrent précautionneusement de la maison et tombèrent sur le cadavre du chien. Avant de mourir, Pradet avait supprimé son unique compagnon. Du côté de l’étable, il n’y avait plus trace des vaches que la fusillade avait dû effrayer. Deumier lança des cailloux sur la fenêtre d’où Pradet avait tiré et rien ne se passa.
— Je crois qu’on peut y aller.
Ils trouvèrent une échelle et l’appuyèrent au mur.
— Félicien, vas-y, et viens nous ouvrir la porte.
Quand Puntous apparut peu après, il était livide.
— Quelle saloperie ! bredouilla-t-il. Il y a du sang partout, j’ai même marché dedans.