Prologue

Dans la vie de Lucie Bélanger, une personne occupe une place bien particulière : Jacques, son frère. Avant la guerre, ce frère aîné, elle le connaissait peu, en raison de leurs cinq ans de différence et de centres d’intérêt qui, forcément, n’étaient pas les mêmes. Mais lorsqu’elle s’est tournée vers lui dans une période où elle avait besoin de support, il l’a soutenue inconditionnellement. Au fil des lettres, leurs liens sont devenus très forts et quand Lucie a cessé d’avoir de ses nouvelles à la fin du printemps 1944, ce silence l’a beaucoup inquiétée. Le soulagement d’apprendre qu’il était sauf, l’automne suivant, s’est nuancé de tristesse, parce qu’elle a su en même temps qu’il avait traversé une épreuve douloureuse dont il refusait de parler. Elle ignore tout de cet événement, à part qu’il a eu lieu au moment du Débarquement de Normandie, quand Jacques, détaché de l’armée de l’air pour être intégré au service spécial, a été parachuté dans le sud de la France pour entraîner un groupe de maquisards au maniement des armes.

Après la guerre, alors qu’ils séjournent seuls à Saint-Donat pour panser leurs blessures, Jacques dit à sa sœur qui l’interroge : J’ai ma cicatrice, moi aussi, que je ne suis pas encore prêt à montrer. Mais bientôt, la présence aimante et attentive de Lucie l’aide à surmonter cette incapacité d’évoquer le passé. C’est ainsi qu’une nuit, protégé par l’obscurité, Jacques, pour la première fois, traduit en mots ce qui hante ses insomnies. Il le fait comme il raconterait l’histoire d’un autre, comme si ce Jacques Bélanger parachuté en Comminges n’avait pas été lui. Parfois, sa voix se casse et le récit s’interrompt. Alors, sans un mot, Lucie prend sa main et la garde, le temps que l’émotion se résorbe et qu’il trouve la force de continuer.