Alice au Pays des merveilles

Une jolie frimousse, de longues jambes et une taille menue, Julie a tout pour séduire. Quand elle dégage sa frange blonde d'un revers de main pour faire apparaître ses yeux clairs, d'un bleu presque lavande, nul ne pourrait imaginer les tourments qui l'agitent. Et pourtant…

Depuis l'adolescence, Julie est victime de maux de tête récurrents. Alors qu'elle est encore au lycée Choiseul de Tours, elle connaît régulièrement des épisodes de migraine qui peuvent durer jusqu'à plusieurs heures. Cela se produit au moins deux ou trois fois par an. Mais rien d'handicapant ! Les choses finissent toujours par passer. Elle n'en parle à personne, pas même à ses parents. Elle ne veut pas les inquiéter inutilement. Elle attribue ces troubles à ce fond d'anxiété qui a toujours été sien depuis l'enfance, cette peur de l'échec qu'elle cherche à enfouir sous des dehors avenants, voire exubérants. Ce n'est pas pour rien qu'elle aspire à devenir comédienne.

Son bac en poche, obtenu fort honorablement avec une mention bien, Julie, avec l'accord de ses parents, se décide à faire le grand saut. Elle quitte Tours et ses copines pour « monter » à Paris. Elle a réussi son audition d'entrée au cours Florent, un prestigieux cours de théâtre parisien, à laquelle elle s'était inscrite sans en parler à quiconque, et ses parents ont accepté de la laisser partir. Ils ont confiance en elle, et savent qu'elle est raisonnable.

Julie trouve rapidement sa place dans l'école. Elle se sent comme un poisson dans l'eau, au cours Florent. Enfin, elle fait ce qu'elle aime, ce qu'elle a toujours voulu faire.

Tout irait donc pour le mieux pour Julie sans ces fichues migraines. Depuis son arrivée à Paris, la fréquence de celles-ci s'est en effet considérablement accélérée, au point que Julie a dû abandonner ses entraînements hebdomadaires de natation et doit souvent renoncer aux soirées entre amis. Mais surtout, les crises sont de plus en plus violentes, tendent à devenir un véritable handicap, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Les relations de Julie avec Romain commencent à s'en ressentir. Il faut dire que lors de ces épisodes terriblement douloureux, Julie apparaît totalement terrassée, incapable du moindre effort, pas même capable parfois de sortir de son lit pour répondre au téléphone ou ouvrir la porte : Romain est resté ainsi plus de deux heures sur le paillasson de leur appartement, un jour où il avait oublié ses clés. Pourtant, Julie persiste à vouloir nier la gravité de son mal. Elle veut absolument faire comme si de rien n'était et met tout cela sur le compte de la fatigue. Entre son boulot alimentaire et les cours le soir, sans compter, les auditions, les castings, la jeune femme n'a plus une minute à elle : elle a l'impression de courir tout le temps et, souvent, elle ne fait que croiser Romain entre deux portes. Mais Julie veut se convaincre que tout cela n'est que transitoire. D'ailleurs, Nora l'a déjà branchée sur plusieurs projets apparemment prometteurs, qui devraient lui permettre de laisser tomber son job de caissière.

Sauf que ce matin-là, alors qu'elle est attendue pour un casting décisif, Julie est incapable de se lever à la sonnerie du réveil. La migraine la cloue littéralement dans son lit. Du coup, elle est écartée sans ménagement de la distribution. Nora, la directrice de casting, est furieuse. Quant au réalisateur, il est lui aussi très mécontent qu'elle lui ait fait perdre du temps. Désemparée, Julie décide d'envoyer un mot à Nora pour lui expliquer que tout cela est un malentendu, une erreur de date, tente-t-elle d'avancer. Mais surtout, elle l'assure de son attachement indéfectible à son métier de comédienne.

Quelques jours plus tard, alors qu'elle ne travaille pas – elle aurait justement dû être en tournage ! - Julie s'installe dans le fauteuil face à la fenêtre du salon, dans l'appartement, pour relire une scène qu'elle doit présenter le soir même au cours Florent. Mais elle ne tarde pas à perdre le fil de sa lecture. Elle se sent bizarre. Elle a l'impression étrange que son corps se déforme. Elle voit ses bras s'allonger démesurément, s'étendre jusqu'à pouvoir toucher le plafond. Que lui arrive-t-il ? Elle n'a pourtant pas bu ! Et puis, d'un seul coup, la migraine l'assaille, une crise d'une violence inouïe, comme elle n'en a jamais connue jusqu'alors. Sa tête explose ! Prise de panique, la jeune femme réussit néanmoins à descendre les escaliers et à sauter dans un taxi pour se faire conduire aux urgences de l'hôpital le plus proche. Au bout de deux heures, un jeune interne vient enfin l'examiner. « Une simple crise de migraine, rien d'alarmant », conclut-il. Julie sent bien qu'on ne la prend pas au sérieux. Pire, le médecin cherche clairement à lui faire comprendre qu'elle lui fait perdre son temps et qu'il a des cas bien plus sérieux à prendre en charge. Le problème est que, de peur de passer pour une folle, la jeune femme ne parvient pas à lui parler de cette curieuse sensation qu'elle a eue juste avant la crise. Comment raconter ça sans paraître totalement dérangée ? L'interne lui prescrit néanmoins des antalgiques. Il lui conseille de voir son médecin et, peut-être, d'envisager une IRM. Il lui propose également de prendre rendez-vous à l'hôpital pour une consultation antidouleur.

Julie n'en fait rien et rentre chez elle convaincue que tout cela est plus ou moins la conséquence de son épuisement actuel et de la déception de n'avoir pas été retenue, par sa propre faute, pour ce tournage ! Elle a décidément trop d'imagination et doit apprendre à se maîtriser, voilà tout ! Sauf que, dans la semaine qui suit, Julie est à nouveau victime de plusieurs épisodes délirants. Un jour, elle a l'impression que ce sont ses pieds qui deviennent énormes, au moins deux fois plus grands que son corps. Le lendemain, c'est sa tête qui rétrécit et devient aussi minuscule qu'une tête d'épingle. Cette fois, Julie s'inquiète. Il faut absolument qu'elle en parle à quelqu'un. Elle ne peut plus garder ça pour elle. Mais, du coup, elle entre dans la spirale infernale des consultations et des examens à répétition. Elle commence par prendre rendez-vous avec son généraliste qui l'envoie vers un neurologue. Mais celui-ci ne décèle rien d’anormal. D'autant que Julie ne réussit toujours pas à lui avouer ses « visions ». Les crises se succèdent, toujours plus rapprochées, et s'accompagnent de douleurs de plus en plus violentes. Et il y a toujours ses étranges visions, si difficiles à raconter.

La dernière crise de Julie est encore plus délirante que toutes celles qui ont précédé. Cette fois, ce sont tous les objets autour d'elle qui se déforment, son lit, la commode peinte, la penderie, le lustre au plafond. Un moment, elle entrevoit même sa mère, mais surmontée d'une tête d'animal, une tête de chat lui semble-t-il. Cette fois, pas de doute, elle est en train de devenir folle. Comme son oncle, le frère de sa mère, qui a fini interné dans un hôpital psychiatrique ! C'est sûr, ce doit être héréditaire ! D'ailleurs, pourquoi ne veut-on jamais en parler dans la famille ? Il y a bien une raison !

Les trois semaines d'attente pour obtenir un nouveau rendez-vous chez le neurologue sont une torture pour Julie. Elle en vient à se demander si la cause de tout cela n'est pas une maladie organique non détectée. Une tumeur, peut-être ? Julie est plus inquiète que jamais. Quand le neurologue lui demande d'entrer dans son bureau, elle a la curieuse impression qu'il n'est pas vraiment content de la revoir. Elle tente de se justifier : «Je suis déjà venue vous voir. Pour des migraines ». « Oui, je sais, j'ai votre dossier sous les yeux », lui répond assez sèchement le praticien « Et qu'en est-il aujourd'hui ? ». Mais Julie se bloque totalement. Elle est incapable de répondre. C'est trop dur. Et, soudain, elle fond en larmes. Mais c'est aussi, paradoxalement, ce qui libère sa parole. Elle déballe d'un seul coup tout ce qui l'oppresse depuis des mois, dans un flot chaotique, entrecoupé de sanglots. Le médecin lui sourit alors légèrement : Julie est victime du syndrome d'Alice au pays des merveilles.

Diagnostic

Le nom du syndrome d'Alice aux pays des merveilles provient de Lewis Carroll, auteur d'Alice au Pays des merveilles qui était migraineux. Une aura migraineuse annonce la survenue d'une migraine. L'aura peut s'observer également au cours d'une épilepsie, de la consommation de drogues ou de médicaments psychotropes (antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques…), de la présence d'une tumeur cérébrale et chez certains schizophrènes.

Le syndrome d'Alice aux pays des merveilles provoque chez la personne atteinte l'étrange sensation de voir apparaître, des objets ainsi que certaines parties du corps, plus petits ou plus grands que ce qu'ils sont en réalité. Les hallucinations observées ne durent que 10 à 15 minutes maximum, le temps pendant lequel l'aura survient. Apparaissent ensuite les céphalées typiques de la migraine : douleurs violentes et lancinantes touchant un côté du crâne accompagnées de photophobie (hypersensibilité à la lumière), nausées, vomissements, irritabilité et troubles de l'humeur ainsi que des modifications de la vision.

Les personnes se sentent plutôt détendues au cours de ce phénomène mais restent néanmoins désappointées et refusent souvent d'en parler de peur d'effrayer leurs proches qui risqueraient de ne pas comprendre et de croire qu'ils délirent.

Ce syndrome témoigne de l'atteinte de la partie postérieure du cerveau située au niveau du lobe pariétal droit.

Apparaît alors une forme d’hallucination visuelle provoquant l’illusion de la modification brutale de la représentation d'une partie du corps dans l’espace, au niveau de la forme, de la taille et du volume. L’hallucination concerne également les objets situés à proximité de la personne atteinte. Les hallucinations disparaissent lorsque la crise se termine.

La macrosomatognosie signifie que la personne se sent démesurément grande et voit les objets de son environnement beaucoup plus petits que la réalité alors qu’au cours de la microsomatognosie elle se voit très petite, visualisant autour d’elle les objets beaucoup plus gros que la réalité

Dans les métamorphopsies les personnes atteintes ont une taille normale, mais elles constatent des transformations spectaculaires comme par exemple des têtes d’animal à la place des visages. Les objets peuvent également être concernés.

Le syndrome d'Alice au pays des merveilles survient plus souvent dans l'enfance et peut disparaître à l'âge adulte.

Les patients atteints de ce syndrome restent lucides mais surpris par ces phénomènes étranges et invraisemblables. Ce phénomène reste encore difficile à expliquer en raison notamment de la rareté de ses manifestations. Le traitement consiste à soigner avant tout la pathologie en cause, en l'occurrence dans le cas décrit, la migraine.