Bâiller de plaisir

Quand, le 9 février 1995, la gendarmerie lui avait annoncé la nouvelle par téléphone, Christiane avait eu l'impression que les murs s'écroulaient autour d'elle. Elle refusait d'y croire. Elle était dans un mauvais rêve, dans un cauchemar.

Certes, Pascal et elle n'avaient jamais été un ménage modèle. Et comme tous les couples de leur âge, il leur arrivait de se disputer. À la naissance de Léa, leur deuxième enfant, ils avaient été à deux doigts de la séparation, mais ils avaient réussi à surmonter ces épreuves. Avec le temps, la passion de leurs débuts s'était progressivement muée en une forme d'estime réciproque. Un attachement que Christiane avait fini par croire indestructible. À cela près que la vie allait en décider autrement.

Bien sûr, Christiane était encore irritée par le côté fort en gueule de son mari. Son côté loubard de banlieue, fier-à-bras, toujours prêt à prendre la mouche, prompt à jouer du poing pour un oui ou pour un non l'agaçait, mais elle savait pouvoir compter sur lui à tout moment. Au fond, il suffisait qu'il soit là pour qu'elle se sente en confiance. Comment allait-elle faire désormais, sans lui ?

Enfant de la DASS, Pascal n'avait pas de famille, et Christiane avait dû organiser seule ses obsèques. À vrai dire, tout cela lui avait paru, sur le coup, terriblement irréel. Que Pascal soit dans cette boîte, là, au centre de l'église, elle n'arrivait pas à le réaliser. Ce n'est que deux ou trois jours plus tard qu'elle avait vraiment compris. Compris que Pascal ne serait plus jamais à ses côtés. Qu'il était bien mort dans le tas de ferraille écrabouillée – leur voiture – que les gendarmes lui avaient montré au bord de la route. Et qu'elle était désormais seule, sans travail, avec deux enfants en bas âge à élever.

Grâce à une amie d'école, Christiane décroche un emploi de femme de chambre dans l'un des hôtels modernes de Saint-Brieuc. Elle fait désormais les allers-retours matin et soir en mobylette. Plus d'une fois, elle doit agripper à deux mains son guidon pour résister à l'envie de se jeter sous une voiture venant en sens inverse. Seule la pensée de ses deux enfants, qui deviendraient orphelins à leur tour, la retient. Devant Julie et Léa, elle s'efforce toujours de garder bonne contenance : elle veut que, pour elles, tout continue comme avant, même sans Papa. Le soir, elle s'occupe de ses filles longuement, les aidant à faire leurs devoirs, à prendre leur bain. Mais dès qu'elle les a mises au lit, après le dîner, elle s'affale dans un fauteuil et pleure. Souvent, elle reste dans le noir des heures entières, incapable de bouger, de prendre un journal ou de regarder la télé. Généralement, elle ne s'endort qu'aux premières lueurs de l'aube, puis est réveillée en sursaut par le radioréveil, à l'heure de préparer le petit déjeuner.

Christiane, de plus en plus épuisée, se demande combien de temps elle va pouvoir tenir le coup. Mais en bretonne têtue, elle refuse toute assistance médicale, décidée à s'en sortir seule. Elle rejette même la proposition de sa mère de venir s'installer chez elle quelque temps pour l'aider. Seulement, après trois mois d'un tel régime, Christiane est obligée de constater qu'elle est à bout de forces. D'une maigreur à faire peur, elle a perdu près de dix kilos. Si cela continue, elle risque de perdre son travail, ce qu'elle ne peut se permettre.

Sur les conseils de son amie d'enfance, Christiane se résout finalement à aller voir un médecin. Après l'avoir longuement interrogée, ce dernier lui prescrit des anxiolytiques et un antidépresseur. De fait, assez rapidement, le moral de la jeune femme s'améliore. Peu à peu, elle a l'impression de reprendre goût à la vie. Elle accepte même, plusieurs samedis de suite, de sortir au restaurant avec des copines de boulot, confiant la garde de ses filles à ses parents qui ne demandent pas mieux.

C'est lors d'une de ces sorties que Christiane constate pour la première fois un phénomène troublant. Quand elle se met à bâiller, elle a comme une sensation d'excitation, ce qui la trouble beaucoup. Elle ressent alors une sorte de bouffée de chaleur, la conduisant à deux doigts du plaisir. Elle n'ose évidemment en parler à personne, tant elle trouve cette histoire gênante, presque inconvenante. Pourtant, cela se reproduit à plusieurs reprises : à chaque nouveau bâillement, elle est au bord de l'orgasme. Christiane connaît, en fait, une curieuse sensation sexuelle liée à l'absorption de l'antidépresseur prescrit par son médecin.

Diagnostic

La dépression s'accompagne souvent d'une inhibition sexuelle du désir. Les médicaments antidépresseurs diminuent en général la libido, provoquant une aggravation transitoire des troubles de la sexualité qui atteint autant les hommes que les femmes. Mais, dans certains cas, ces traitements peuvent entraîner un hyperfonctionnement sexuel. Une étude pratiquée en 1995 révèle que près de 5 % des patients traités connaissent une excitation sexuelle à chaque bâillement.

Une jeune femme présentait un véritable orgasme quelques minutes après avoir avalé son comprimé. Un état qui se poursuivait quelques heures puis disparaissait. Un homme présentait une érection et éjaculait chaque fois qu'il bâillait, devant même porter des préservatifs toute la journée. Certains patients ont décidé de poursuivre leur traitement contre l'avis de leur médecin afin de prolonger ces sensations agréables.

Cet effet curieux observé avec certains antidépresseurs n’a aucune action positive sur la dépression.

Il faut informer les patients que les dysfonctionnements sexuels peuvent exister et qu'ils disparaissent à l'arrêt du traitement.