Élodie
À l'hôpital Sainte-Geneviève-des-Bois, tout le monde se souvient de cette maman tellement adorable et de sa petite fille Élodie. Celle-ci, âgée de 4 ans et demi, avait été hospitalisée en urgence, à la suite d'un surprenant problème de santé. En quinze jours, la gamine avait perdu près de trois kilos. Ses parents étaient arrivés affolés, expliquant qu'elle ne cessait de vomir et refusait quasiment toute nourriture solide. Effectivement, l'enfant était très pâle. Des cernes bleuâtres soulignaient son regard abattu et elle semblait en proie à une immense fatigue. Son visage de poupée, tout chiffonné, était marqué comme celui d'un adulte. Un premier examen rapide montra qu'elle présentait les symptômes d'une déshydratation aiguë et apparemment inexplicable. Les médecins ordonnèrent un bilan sanguin et urinaire, et la placèrent aussitôt sous perfusion. Celui-ci mit en évidence une insuffisance rénale fonctionnelle avec une chute de potassium. Une question essentielle se posait : comment une enfant apparemment aussi bien surveillée avait-elle pu se déshydrater de façon aussi importante ? Les praticiens émirent alors l'hypothèse d'une maladie des reins. Mais une UIV (exploration destinée à visualiser les voies urinaires) et une échographie éliminèrent totalement cette éventualité. Voilà qui s'avérait fort étonnant.
On décida donc de maintenir Élodie quelques jours en observation. Sa maman avait obtenu de rester auprès d'elle jour et nuit. On lui avait installé un lit d'appoint, dans l'angle de la chambre, face à la porte d'entrée, qu'il fallait replier chaque matin pour permettre les soins. Mais la jeune femme ne s'en plaignait pas du tout, bien au contraire. Elle suivait avec une attention, sans relâche, les progrès de sa petite fille, se chargeant elle-même de sa toilette ou de ses repas pour soulager des infirmières débordées qui n'avaient cesse de l'en remercier : une maman aussi prévenante et efficace, c'était une véritable bénédiction. La chambre fut bientôt envahie de montagnes de cadeaux, peluches, poupées, jeux de société, livres illustrés qui ravissaient la gamine et contribuaient à mieux faire passer les analyses auxquelles elle était soumise quotidiennement. Tant et si bien que cette hospitalisation forcée prit l'allure d'un heureux épisode de vacances, et qu'Élodie n'en ressentit pas le moindre traumatisme. Elle semblait même ravie qu'on s'occupe d'elle de telle manière, avec autant d'empressement et de zèle : pensez donc, échapper à l'école et avoir sa maman tout à elle, la journée entière, c'était un vrai rêve ! D'ailleurs, elle se rétablit fort rapidement. Au bout de huit jours, elle fut autorisée à sortir, ayant manifestement recouvré son dynamisme coutumier. Avant de partir, elle exigea d'embrasser toutes les infirmières présentes, et leur promit de revenir les voir bientôt.
Quant à la mère, elle était pleinement rassurée : aucun symptôme nouveau n'était apparu durant la semaine, sa fille débordait d'énergie, et les médecins s'étaient montrés très optimistes. Selon eux, il s'agissait, à l'évidence, d'un problème passager qui n'avait aucune raison de resurgir, même s'il fallait demeurer vigilant.
La vie reprit donc son cours normal pour Élodie et ses parents. Contrairement à ses habitudes, la petite fille retrouva sans rechigner le chemin de l'école, toute fière d'avoir à raconter son aventure à la maîtresse et à ses copines. Le premier jour, elle piaffait même d'impatience devant la grille du pavillon que sa mère ne parvenait pas à verrouiller, cherchant désespérément la clé au fond de la poche de son manteau de lainage. Car, chaque matin, Brigitte Jurastik accompagnait son enfant à la maternelle. Elle ne travaillait pas et, depuis son mariage avec Henri, elle avait abandonné toute velléité dans ce domaine. À la naissance d'Élodie, en accord avec son mari, elle avait décidé de se consacrer entièrement à elle. Au demeurant, Henri, ingénieur en informatique dans une filiale d'une grosse société américaine installée dans la zone industrielle de l'aéroport d'Orly, jouissait d'un salaire assez conséquent pour les mettre à l'abri de tout souci matériel. Le nécessaire était assuré, et même le superflu, puisqu'ils s'offraient régulièrement des vacances dans des régions aussi lointaines qu'exotiques. De toute évidence, ces ruptures du quotidien étaient bénéfiques pour tout le monde, et d'abord pour Élodie qui s'était révélée dès sa naissance comme une enfant un peu fragile. Dès l'âge de 2 ans, elle avait été victime, coup sur coup, de multiples infections urinaires. Brigitte se souvient encore de la première fois où elle avait découvert une odeur fétide dans ses urines. Un cauchemar ! Il avait fallu procéder à de nombreux examens, notamment une UIV. Fort heureusement, ceux-ci n'avaient rien détecté d'inquiétant : tout était parfaitement normal. Et, une simple administration d'antibiotiques avait suffi à enrayer chaque crise. Pourtant, Élodie en était restée très marquée : pendant des mois, elle n'avait pu approcher un médecin ou une infirmière sans se mettre à hurler. Son caractère était devenu ombrageux. Elle se mettait en colère pour une broutille, n'acceptait aucune remontrance, fondait en larmes à la moindre contrariété et se plaignait sans cesse de migraines violentes que le pédiatre avait attribuées à des angoisses psychomatiques. De ce fait, son intégration à l'école avait été problématique, la maîtresse étant, de son propre aveu, souvent désemparée face à des accès de fureur aussi subits qu'inexpliqués.
Quand Élodie souffrit de ses premiers problèmes urinaires, Brigitte se chargea sans rechigner de tous les soins, harcelant même le pédiatre quotidiennement et s'indignant qu'il ne trouve pas plus vite de solution aux maux dont son enfant était victime. Tout le monde, à commencer par son mari, fut obligé de reconnaître son extrême dévouement et nul ne songea plus, alors, à remettre en cause son instinct maternel. Elle consacra toute son énergie à dorloter sa fille, au point de forcer l'admiration de tous, y compris médecins et infirmiers.
Au retour de sa première hospitalisation à Sainte-Geneviève-des-Bois, Élodie connut encore quelques petites infections urinaires, mais de plus en plus rares, de plus en plus espacées. Puis, elles disparurent complètement après un an de traitements répétés et méticuleux. La fillette profita donc d'une phase de répit mais qui ne fut – hélas ! – qu'une courte rémission, une sorte de prélude à des tracas beaucoup plus graves.
Un matin de juin, quelques jours seulement avant son septième anniversaire, Élodie se plaignit auprès de sa mère de violentes douleurs abdominales. Au départ, Brigitte n'y prêta guère attention. C'est Henri qui la poussa finalement à aller consulter une nouvelle fois le pédiatre. Le médecin, surpris de l'intensité des élancements, se mit à noter avec précision ce qu'Élodie lui racontait au sujet de ses fréquentes envies d'uriner, accompagnées de terribles brûlures. De toute évidence, il était soucieux. Après quelques instants de réflexion, il conseilla à Brigitte d'emmener Élodie au centre hospitalier le plus proche, pour un bilan d'urgence. Il rédigea une ordonnance dans ce sens, qu'il remit à la jeune maman.
C'est ainsi qu'Élodie fut hospitalisée pour la seconde fois en moins de trois ans à Sainte-Geneviève-des-Bois. L'interne de garde, qui l'examina dès son arrivée, constata bien une douleur qui irradiait du dos, passait sur le flanc droit pour atteindre l'aine et provoquait les hurlements d'Élodie. La fillette ne présentait pas de fièvre, et l'abdomen restait souple au toucher : il ne pouvait donc être question d'une crise d'appendicite. Le médecin diagnostiqua alors une colique néphrétique. Diagnostic au demeurant confirmé par les propos de la maman, qui résuma en quelques phrases les problèmes urinaires qu'avait connus Élodie depuis son plus jeune âge, ainsi que sa précédente hospitalisation. Il demanda à l'infirmière d'effectuer immédiatement une injection pour soulager Élodie.
Le praticien ne put s'empêcher de s'étonner à haute voix des détails tellement pointus qu'apportait Brigitte, et du vocabulaire médical extrêmement juste qu'elle employait :
« Ma parole, vous feriez un excellent médecin ».
La maman parut sincèrement flattée de ce compliment.
Elle se garda pourtant bien d'avouer que c'était là son rêve le plus cher, depuis qu'elle était toute petite. Née dans une famille de médecins – son père et son grand-père l'étaient – elle avait baigné pendant sa jeunesse dans un univers médical dont elle se sentait la légitime héritière. Dès ses études au lycée, elle s'était fixée ce but : poursuivre la vocation de la dynastie familiale et se spécialiser dans les problèmes de l'enfance. Hélas ! le sort, ou les aptitudes, en avait décidé autrement.
Après le baccalauréat, elle s'était inscrite à la faculté de médecine, afin d'entreprendre des études pour lesquelles elle se jugeait prédestinée. Elle s'était faite recaler en première année, mais n'avait pas renoncé pour autant, et avait redoublé. Malheureusement, cette solution s'avéra également infructueuse : elle n'avait pas réussi à atteindre une place suffisante au concours pour passer en deuxième année. Et cet échec, l'échec de sa vie, elle ne l'avait jamais accepté.
S'ensuivit une dépression sévère de près de deux ans. Deux années pendant lesquelles Brigitte avait ruminé son infortune qu'elle considérait comme une injustice flagrante. Par la suite, elle avait poursuivi sans conviction de vagues cours de psycho qu'elle n'avait jamais cherchés à terminer : elle ne s'était même pas donné la peine de se présenter aux examens finaux.
Plongée dans ses pensées, Brigitte avait fini par perdre le fil de ce que lui expliquait le jeune interne au sujet de sa fille. Elle parvint néanmoins à se ressaisir quand celui-ci, en torturant méthodiquement un élastique, entama le chapitre des analyses auxquelles il entendait soumettre une nouvelle fois Élodie, et qui nécessiteraient quelques jours d'hospitalisation. Avant même qu'il en ait terminé, la jeune femme lui donna son accord sans paraître douter une seule seconde de ses arguments et de leur bien-fondé. Elle s'en remettait à lui en toute sécurité.
Pendant cinq jours, Élodie eut donc à subir toute une série de nouveaux examens, prises de sang, analyses d'urine, échographie, UIV. Une fois encore, sa maman resta avec elle jour et nuit, dormant dans sa chambre, l'aidant à faire sa toilette, assistant les infirmières dans leur travail. Toujours gaie et volubile, elle discutait avec tout le monde, allait chercher des croissants frais chaque matin pour l'ensemble des employés, plaisantait avec les malades, et remontait le moral de ceux qui craquaient. Bref, pendant une petite semaine, elle devint véritablement le rayon de soleil du service, installant un réel climat de confiance entre elle et le personnel soignant. Pourtant, au bout du compte, les médecins durent reconnaître à quel point les symptômes d'Élodie les laissaient perplexes : malgré des analyses poussées, ils ne parvenaient pas à comprendre les causes de ses coliques néphrétiques.
Ils l'autorisèrent donc à sortir, recommandant à Brigitte de surveiller ses urines et, bien sûr, de consulter sans hésitation si les douleurs réapparaissaient.
De retour à la maison, la jeune femme se montra indéniablement irritée de tant de dérangements pour un aussi piètre résultat. Elle s'en prit au pédiatre qui avait ordonné l'hospitalisation, fustigeant son incompétence notoire. Elle convint avec Henri de changer de médecin si Élodie devait, dans l'avenir, subir de nouveaux problèmes de santé.
Mais, pendant un an, la question ne se posa plus. La fillette retrouva une existence paisible, franchissant sans difficulté apparente les étapes de sa scolarité primaire, et renouant même avec l'insouciance et la joie de vivre propres aux enfants de son âge. Brigitte l'avait inscrite à un cours de danse classique où elle s'était liée d’amitié avec plusieurs autres enfants, et elle semblait définitivement sortie d'affaire.
Pourtant, peu après son entrée en CM1, ses douleurs se déclarèrent à nouveau. Elles étaient certes moins violentes, mais plus fréquentes, presque quotidiennes. À plusieurs reprises, elle dut quitter l'école en catastrophe. Bien sûr, Brigitte prit aussitôt rendez-vous avec un pédiatre de Longjumeau dont une autre maman lui avait vanté les mérites.
Mais ce dernier, un quadragénaire à la mine bonhomme et aux rondeurs rassurantes, fut à son tour contraint d'admettre son incapacité à déterminer les causes de l'affection d'Élodie. Lui non plus ne comprenait pas pourquoi elle présentait autant d'épisodes de coliques néphrétiques qui revenaient à une cadence aussi rapprochée.
Pour la troisième fois donc, Élodie fut hospitalisée à Sainte-Geneviève-des-Bois, toujours dans le même service dont elle était devenue, bien malgré elle, une habituée. Brigitte avait apporté un calcul qu'elle avait recueilli en tamisant les urines de sa fille, comme le pédiatre le lui avait conseillé. Mais le bilan de santé effectué sur la fillette s'avéra une fois de plus désespérément normal. À coup sûr, les médecins y perdaient leur latin. Ce qui les troublait le plus, c'était qu'Élodie, malgré tous ses ennuis, se développait harmonieusement et poursuivait sa croissance sans entraves.
Brigitte, pour des raisons administratives, ne fut pas autorisée à dormir à l'hôpital. Mais, dès 9 heures du matin, elle était là, et ne repartait que tard le soir, vers 20 heures, bien après les dernières visites permises. Désormais, tout le monde la connaissait, les infirmières l'adoraient, elle était ici comme chez elle et faisait quasiment partie intégrante de l'équipe. Elle assurait en quelque sorte les fonctions d'aide soignante.
À son arrivée, elle avait toujours avec elle un panier rempli de cadeaux à distribuer, des croissants, du chocolat, un jeu de cartes, un ballon, et entreprenait le tour des chambres avec son chargement, adressant un petit mot gentil à chacun, avant de rejoindre Élodie.
Mais le chef du service commençait à la trouver un brin envahissante. Il lui reprochait de se mêler un peu trop des activités proprement médicales. Il faut avouer que Brigitte trouvait son mot à dire sur tout et n'importe quoi, au point que les infirmières n'osaient presque plus travailler sans lui demander son avis.
Un jour, lors d'une visite du staff de l'hôpital, on frôla le drame. Alors que le professeur expliquait à son auditoire empressé d'internes, d'infirmiers et de surveillants, qu'Élodie, malgré ses problèmes de santé restés sans solution à ce jour, était une belle enfant qui grandissait très bien, Brigitte lui coupa brutalement la parole, l'accusant de raconter des inepties et de ne rien comprendre aux terribles maux dont souffrait sa fille. Le médecin, qui n'était pas homme à s'en laisser compter après plus de trente années d'exercice, la rabroua vertement, et lui intima l'ordre de ne plus s'ingérer désormais dans les questions purement médicales et de s'en tenir à son rôle de mère attentionnée, qu'elle assumait fort bien au demeurant. L'incident, vite clos, était malgré tout révélateur de l'ambiguïté de l'attitude de Brigitte depuis le début. Car, si d'un côté, elle s'impliquait de tout cœur dans la maladie de sa fille, ne supportant pas l'idée qu'on ne trouve pas les causes de celle-ci, de l'autre, elle semblait assez indifférente quant aux résultats des examens, comme si, au fond, elle n'était pas pressée d'aboutir à une guérison prochaine.
Pendant la durée de son hospitalisation, Élodie ne connut pas de nouvelle crise, et ne rejeta aucun calcul. Par chance, sa maman avait pu en recueillir un au préalable. Et son analyse permit d'avancer un peu dans le diagnostic et de conclure à une lithiase1 des voies urinaires par calculs d'oxalate2 de calcium.
Forts de ces déductions, les médecins autorisèrent Brigitte à ramener sa fille chez elle, tout en lui recommandant de la faire boire beaucoup.
Mais, malgré ce régime, les coliques néphrétiques reprirent de plus belle. En un an, Élodie allait émettre plus de quarante calculs, au cours de crises de plus en plus violentes et de plus en plus rapprochées. La fillette en sortait quasiment exsangue, et ses résultats scolaires commencèrent à en pâtir.
À la suite d'une crise encore plus terrible que d'habitude, elle fut à nouveau hospitalisée dans un service de néphrologie. On procéda alors à un examen plus précis des derniers calculs que sa mère avait pris soin de recueillir, comme à l'accoutumée. Un spectrophotomètre à infrarouges put mettre en évidence l'oxalate de calcium déjà connu, et un sulfate de nature indéterminée.
Mais, pour le reste, rien à signaler : les voies urinaires de l'enfant apparaissaient absolument conformes à la nature. Ce bilan posait en fin de compte plus de questions qu'il n'en résolvait : comment l'organisme d'une petite fille de cet âge pouvait-il fabriquer de si nombreux calculs, alors que ses examens biologiques étaient normaux et que les radios ne visualisaient jamais rien ? Les médecins étaient d'autant plus perplexes qu'ils n'avaient jamais pu constater, par eux-mêmes, l'émission de ces maudits calculs. Faute de mieux, ils se contentèrent de conseiller à Brigitte une consultation mensuelle chez un néphrologue, avec bilan sanguin et urinaire à chaque fois.
Il fallut attendre un nouvel accès de douleurs, un mois plus tard, pour découvrir enfin la clé de ce mystère. Cette fois encore, le calcul apporté par Brigitte fut étudié en spectrophotométrie3 à infrarouges. Son analyse révéla bien sûr la présence de l'oxalate de calcium, composant fréquent des lithiases, mais mit également en évidence des produits peu banals, comme du gypse. Comment de tels éléments avaient-ils pu arriver là ? Une seule possibilité : ils avaient été introduits de l'extérieur, autrement dit par voie orale, presque à coup sûr.
L'affaire prit alors la tournure d'une véritable instruction policière. L'enquête avançait. Les doutes se précisaient, mais toujours sans preuve formelle. Jusqu'à ce qu'un biologiste, sous l'effet d'une impulsion subite, ait l'idée d'analyser de la même manière un fragment du crépi recouvrant les murs de la pièce où il travaillait : celui-ci montrait des spectres parfaitement superposables à ceux des calculs remis par la maman d'Élodie.
On venait ainsi de comprendre avec horreur que Brigitte Jurastik avait provoqué elle-même les crises de sa fille, probablement en lui faisant ingérer un liquide qui contenait des débris similaires à ceux du crépi du laboratoire.
Diagnostic
Brigitte, la maman de la petite Élodie, était atteinte du syndrome de Meadow : une personne de l'entourage d'un enfant déclenche des manifestations symptomatiques d'une affectation chez cet être innocent, et cela pendant une durée variable. Aucun bénéfice matériel n'en résulte, et le seul but apparent, c'est que l'enfant joue vraiment un rôle de malade.
Ces patients parviennent aisément à tromper les médecins durant de nombreuses années, car ils utilisent un vocabulaire médical très précis, savent à quel moment troubler le praticien et l'égarer dans un diagnostic erroné. Le syndrome de Meadow ne doit jamais être considéré à la légère, car le comportement de la mère risque d'aboutir à des mutilations sévères chez son enfant, propres même parfois à entraîner la mort. Cette maladie induit de graves sévices corporels.
Ce sont les mères qui se révèlent le plus souvent responsables. Pourtant, elles apparaissent au-dessus de tout soupçon, elles sont hyperdévouées comme dans le cas décrit ci-avant, où la maman passait ses journées et ses nuits à l'hôpital au chevet de sa fille. Très coopérative, elle surveillait l'évolution des symptômes sur son enfant dans les moindres détails.
La personnalité de la mère est, dans la plupart des cas, mal définie : elle présente des traits d'hystérie, de paranoïa qui la rendent incapable de maîtriser des pulsions d'agressivité. Elle bénéficie directement de cette imposture, de ces mensonges répétés, et trouve dans l'univers médical un milieu chaleureux qui l'écoute avec attention et la considère même au début comme un être qui se sacrifie corps et âme à son enfant.
La mère souffre généralement d'une dépression qu'elle se plaît à minimiser et que personne ne soupçonne. Elle la compense et trouve son équilibre en manigançant des actes propres à déclencher différentes maladies. Elle échappe ainsi à la réalité quotidienne, à ses problèmes, à ses angoisses. Au moment du diagnostic, quand les médecins découvrent la supercherie, elle commence par nier son rôle puis sombre ensuite dans une dépression aiguë. Un fort pourcentage de ces femmes présente un trouble du comportement alimentaire, comme l'anorexie, s'est déjà mutilée ou a été victime de maltraitance dans son enfance.
Les préjudices infligés à l'enfant ne sont pas perçus comme tels par la mère, qui, bien que tout à fait consciente, ne réalise pas leur signification réelle et leurs conséquences capables de déboucher sur la mort qu'elle imputera alors en toute bonne foi à l'incompétence du corps médical.
Citons quelques exemples de maladies provoquées par les femmes atteintes de ce syndrome :
– Hématurie, sang dans les urines : elles ajoutent leur propre sang dans les urines de leur enfant.
– Crise d'épilepsie : elles la déclenchent en exerçant une pression sur les sinus carotidiens.
– Somnolence : confusion par absorption de somnifères.
– Hypoglycémie : par injection d'insuline.
– Hémorragie : par prise d'anticoagulants.
– Colique néphrétique : elles font avaler à leur enfant des composants extérieurs à l'organisme qui entraînent des calculs des voies urinaires (c'est le cas décrit précédemment).
– Septicémie : l'infection générale est causée par l'adjonction dans une perfusion d'eau prélevée, par exemple, dans un aquarium.
– Déshydratation : elles administrent des diurétiques en quantité à leur enfant.
Le diagnostic de ce syndrome est difficile, car la mère, très douée, d'un niveau intellectuel élevé, a très souvent côtoyé l'univers médical, en maîtrise parfaitement le jargon. De plus, elle consulte de nombreux praticiens et spécialistes, dans la mesure où les traitements échouent forcément, puisqu'elle continue son travail de sape. Elles sont également capables de falsifier des résultats d’examens ou des dossiers médicaux.
Les hospitalisations de l'enfant sont très fréquentes (on peut parfois en dénombrer plus de trente en quatre ans), des symptômes nouveaux apparaissent, et les plaintes signalées par la mère sont rarement constatées par les médecins.
La mère manipule le corps médical, les infirmiers, le personnel hospitalier, les amadoue à l'aide de petits cadeaux, de chocolats, de fleurs, utilise son charme, privilégie des rapports particuliers où la relation médecin/malade est inversée. En effet, c'est elle qui détient le pouvoir.
Elle joue, défie les hommes de science, s'amuse de cette revanche, se sent supérieure, règle des comptes avec le monde de la médecine, se valorise, allant jusqu'à prendre un plaisir intense, une quasi-jouissance dans ces conflits. La mère projette son anxiété sur l'enfant dans un mécanisme délirant, et réussit à croire elle-même qu'il est réellement malade.
Le père tient une place secondaire. Il semble absent, ne se rend pas compte de la réalité (ou bien la masque), de peur de rompre le fragile équilibre familial concentré autour de « l'affection » du petit. Il soutient toujours la mère de l'enfant et reste très absent au cours des examens médicaux.
L'enfant, quand il est plus âgé, reste complice inconsciemment de l'amour de sa mère, amour lié à la maladie. Il se sent coupable, demeure soumis à une relation pathologique de fusion avec elle.
Les médecins sont également les victimes de ces mères « diaboliques ». Lorsqu’ils commencent à douter, il est nécessaire qu’ils prennent l’avis de collègues ayant une expérience dans la protection de l’enfance. Ils doivent faire preuve de grande prudence car ces mères peuvent être capables de se retourner contre eux s’ils n’ont pas de preuve. Une hospitalisation demeure un des moyens de tenter de dénouer les fils d’une histoire machiavélique et de sauver l’enfant.
Le traitement, une fois le diagnostic et la confrontation établis avec la mère, après parfois de véritables enquêtes policières (ronde des infirmières, vidéo, etc.) consiste en une prise en charge psychiatrique de la maman. Cette démarche est loin d'être aisée, car la femme commence par nier, par résister avant de s'avouer vaincue. Il faut ensuite signaler l'affaire au juge pour enfants qui décidera, selon la gravité et l'importance des sévices, s'il est possible d'envisager pour l'innocente victime un retour au sein de sa famille – avec surveillance psychiatrique régulière, s'entend – ou un éloignement provisoire, voire définitif.
Cette maladie encore fort peu connue doit être décelée au plus tôt, car elle met en jeu la vie d'un enfant, contribue à égarer les médecins et le personnel paramédical, et à les conduire à des erreurs de diagnostic. Le syndrome de Meadow est aussi appelé syndrome de Münchhausen par procuration en référence au syndrome de Münchhausen, maladie psychiatrique concernant des personnes se créant volontairement des maladies.