Near Death Experience

Les plus grands secrets sont souvent les plus faciles à garder, seuls les mensonges du quotidien peuvent parfois nous trahir...

20 octobre 1980. La nuit tombe sur la nationale à deux voies qui conduit Claudia et Bruno vers leur rendez-vous mensuel avec leurs fidèles amis. Comme chaque mois, depuis plusieurs années, ils doivent retrouver Jacques, Sylvie et Pascal dans un sympathique restaurant de la région où ils ont leurs habitudes. Il pleut des cordes. L'hiver approche, au grand désespoir de Claudia qui aime tant passer des heures dans son jardin. Heureusement, l'auberge n'est qu'à cinq kilomètres de chez eux. Déjà, ils aperçoivent le parking éclairé.

 

Comme toujours, à La Belle Hortense, l'ambiance est bon enfant et les conversations vont bon train. Les amis se racontent, se livrent, se cherchent. Le ton s'élève parfois, pour aussitôt s'épanouir en un bouquet de fous rires. C'est un petit jeu entre eux, ils adorent s'échauffer sur les sujets qui les font démarrer au quart de tour. Il faut dire que le vin d'Alsace qui accompagne la choucroute au menu de ce soir leur facilite grandement la tâche. Seul Bruno se contente de deux verres. Comme dit l'adage, entre boire et conduire, il a choisi. De toute façon, il ne supporte pas très bien l'alcool et, comme avec sa femme ils ont tous les deux le sang chaud de leurs origines italiennes, il préfère rester sobre pour éviter de s'emporter. Même si leurs disputes légendaires ne durent que quelques minutes.

Le dîner se termine vers minuit. Les époux embrassent chaleureusement Jacques et Sylvie devant le restaurant, et proposent à Pascal de le raccompagner puisqu'ils sont presque voisins. Bruno prend le volant. Avec toute cette pluie, la chaussée est particulièrement glissante, mais il roule prudemment. Claudia et Pascal, encore dans l'euphorie de la soirée, bavardent de tout et de rien quand, soudain, au troisième virage, ils percutent de plein fouet une voiture arrivant en sens inverse du côté gauche. Le choc est violent et le véhicule tourne sur lui-même avant de finir dans un platane.

À l'arrière de la voiture, Pascal est indemne, mais ne réalise pas tout de suite l'ampleur de l'accident. Claudia et Bruno sont inconscients. Sonné, Pascal sort de l'habitacle et entreprend de dégager Claudia du siège avant. Il y parvient péniblement et, tandis qu'elle bredouille quelques mots incompréhensibles, il constate que l'état de son ami conducteur semble plus préoccupant. Bruno, en effet, est affalé sur son volant, immobile, le visage en sang. Par une chance incroyable dans ce mauvais coup du destin, le drame s'est produit à moins de cent mètres d'une gendarmerie devant laquelle stationnait une ambulance du SAMU. En moins de dix minutes, les secours sont sur les lieux, prévenus par les passagers sains et saufs de la voiture responsable du drame.

Le médecin du SAMU examine rapidement Claudia, effectuant un bref examen neurologique en lui demandant de bouger ses bras, ses jambes, d'ouvrir et de fermer les yeux, et de répondre à quelques questions élémentaires. Comme elle ne présente aucun trouble apparent, il décide de la faire transférer vers l'hôpital le plus proche pour qu'elle soit mise sous observation et que l'on vérifie l'absence de fractures.

Par ailleurs, l'état de Bruno demeure plus inquiétant. Il ne répond à aucune question, il est visiblement dans le coma. De plus, tant que les pompiers arrivés sur les lieux peu de temps après le SAMU ne l'auront pas dégagé de l'amas de tôle auquel ressemble désormais leur nouvelle voiture, l'examen du médecin reste impossible. Au bout d'un quart d'heure, le corps de Bruno est enfin extrait du véhicule et on lui pose une perfusion avant de le conduire au plus vite dans un service de réanimation. Un pompier dépose une couverture sur les épaules de Pascal en pleurs sur le bord de la route. Une soirée qui avait pourtant si bien commencé...

Ce n'est qu'au bout de vingt-quatre heures que Bruno sort péniblement de son coma. Et la première phrase qu'il prononce à l'infirmière qui se trouve à ses côtés est plus que mystérieuse : « Pourquoi ne m'avez-vous pas laissé partir ? J'étais si bien... » L'infirmière, habituée à ce genre de réveil aussi difficile que surprenant, lui prend délicatement la main pour tenter de l'apaiser. Elle réalise très vite qu'il ne se souvient de rien ou presque, tout juste du dîner et du moment où il a quitté ses amis devant le restaurant. Progressivement, il comprend qu'il vient d'échapper à la mort et que son chemin de croix ne fait que commencer. Bruno présente, en effet, de multiples fractures aux côtes, à la hanche droite, au tibia et au fémur gauche ainsi qu'au bras droit. Une première intervention chirurgicale est programmée pour le lendemain matin. Qu'entendait-il par cette étrange sentence, « J'étais si bien... » ?

Le bilan du chirurgien au sortir de cette première visite au bloc opératoire est, selon lui, plutôt satisfaisant. Mais Bruno n'est pas dupe, il sait qu'il devra repasser plusieurs fois sur le billard et que son horizon est fait d'interminables séances de rééducation.

 

Quinze jours plus tard, il est transféré dans un centre spécialisé où, pendant plus de quatre heures par jour, il s'adonne à de fastidieux exercices. Son seul réconfort sont les visites quotidiennes de Claudia qui, inlassablement, franchit la porte de sa chambre en début d'après-midi. Et même s'il redoute plus que tout de ne plus pouvoir marcher, son état physique et psychologique s'améliore peu à peu, surtout lorsque ses deux enfants viennent lui tenir compagnie en fin de semaine. C'est pour eux et pour Claudia qu'il se bat et travaille sans relâche afin de redevenir maître de son corps.

Le chemin est long. Au bout de quelques semaines, Claudia appelle le chirurgien qui a opéré Bruno et qui le revoit régulièrement en consultation. Il ne peut encore rien promettre mais il pense qu'après la prochaine intervention, programmée dans un mois, Bruno a de fortes chances de retrouver l'usage de ses jambes.

Les semaines s'écoulent comme des années. Le moral de Bruno navigue entre la lumière et le gouffre. Il a beaucoup de mal à se remettre de la seconde opération. Il est fatigué, épuisé, tandis que ces maudites douleurs postopératoires mettent plus de dix jours à s'estomper. Mais il faut tenir bon, il est si près du but. Voici déjà le retour des sempiternelles séances de rééducation. Bruno voudrait retourner chez lui, il ne supporte plus les quatre murs de sa chambre et l'état de soumission dans lequel il se trouve. De plus, il est effrayé à l'idée de devenir un poids pour Claudia, un boulet qui l'empêche de vivre.

Hélas, un mois plus tard, Bruno apprend par le chirurgien qui vient de l'examiner qu'il est trop tôt pour rentrer chez lui et qu'il va prochainement subir une nouvelle intervention. L'impatience devient colère. Il est hors de question qu'il se fasse réopérer, il préfère même rester dans cet état. L'homme en blouse blanche n'insiste pas. Il connaît maintenant par cœur le caractère de son client et sait parfaitement qu'il réussira à le convaincre avec l'aide de Claudia.

Mais Bruno est têtu. Il ne repassera pas sur le billard. Pour lui, c'est terminé. « De toute façon, j'étais beaucoup mieux là-haut... » Un frisson traverse la pièce. Bruno s'interrompt brutalement, réalisant qu'il en a trop dit. Claudia est livide, abasourdie. Elle tremble encore de tous ses membres lorsqu'elle lui demande de s'expliquer. Bruno se tait, il sait qu'il a franchi un point de non-retour, un de ces moments où l'on sait que rien ne sera plus jamais comme avant. Devant le mutisme de son mari, Claudia frôle l'hystérie. Elle veut savoir, elle lui dit qu'elle a besoin de comprendre, que c'est important pour elle, qu'il en a trop dit ou pas assez... Elle l'attrape par les épaules, le secoue. Elle veut juste qu'il parle, qu'il lui raconte, que pour une fois il s'ouvre à elle.

Confronté pour la première fois à la violence de son épouse, Bruno se décide enfin à partager son étonnant souvenir. D'une voix froide et étrangement lointaine, il lui raconte alors que, pendant son coma, il a eu l'impression de voler au-dessus des médecins et des infirmières du service de réanimation. Il se sentait léger, si léger. Il était dans un tunnel, une sorte de large voûte au bout de laquelle brillait une intense lumière. Une lumière apaisante qui l'attirait irrésistiblement, le happait pour l'enrober de sa douce chaleur. Ce moment qui n'a duré que quelques secondes, il le revit à présent chaque jour par la pensée. Cet instant, il ne pourra jamais l'oublier.

 

Claudia est bouleversée. Des larmes coulent sur son visage qui, ces derniers temps, accuse le coup de ses nuits sans sommeil. Entre deux sanglots, elle lui demande pourquoi il ne lui a pas raconté tout cela avant. Il avait juste peur qu'elle le prenne pour un fou, un illuminé, répond-il. Tendrement, il lui prend la main pour la poser contre son cœur. Il voudrait tant la rassurer, lui dire que ce souvenir n'était qu'un rêve, une hallucination.

Peu à peu, Claudia reprend ses esprits pour lui raconter à son tour l'incroyable expérience qu'elle a vécue, juste après l'accident, lors de son transfert à l'hôpital. Elle raconte, avec dans les yeux la même lueur que lui quelques minutes auparavant, cet instant inoubliable où la légèreté se mêlait à la lumière dans ce mystérieux tunnel. Son corps qui flottait dans un brouillard radieux. Comme lui, elle n'a pas osé raconter. Comme lui, elle ne voulait pas qu'on la juge ou que l'on se moque.

Dans la triste intimité de cette chambre d'hôpital, Claudia et Bruno réalisent alors qu'ils ont vécu, ensemble et au même moment, ce que l'on appelle scientifiquement, une Near Death Experience, une expérience proche de la mort.

Le couple s'embrasse fougueusement tandis que leurs rires se mêlent à leurs larmes. Ce sera leur secret, le fondement de leur nouveau départ. Et si la mort ressemble vraiment à cela, ils savent à présent qu'ils ne connaîtront plus jamais ni l'angoisse ni la peur. C'est à bras ouverts que désormais ils attendront la fin. Le point final de leur existence.

Diagnostic

Cette expérience vécue par deux conjoints de manière simultanée est totalement exceptionnelle. Les Near Death Experiences, NDE, que l'on appelle aussi EMI (expériences de mort imminente), font aujourd'hui l'objet de nombreuses recherches scientifiques.

L’histoire de ce couple qui a vécu chacun de son côté cette expérience incroyable est exceptionnelle. Chacun s’est retrouvé dans cet état de plénitude, mais aucun des deux n’a osé en parler craignant de ne pas être pris au sérieux. À l’occasion d’un événement survenu quelques années plus tard, ils se sont alors avoué leur voyage dans l’au-delà.

Des millions de personnes victimes d'un coma réversible ont toutes rapporté des histoires semblables, magiques ou merveilleuses qui ont bouleversé leurs vies. Ces expériences se produisent en général lors d'accidents violents mais également après l'absorption de certaines drogues et parfois même durant un orgasme ou d'une relaxation profonde.

Tous les témoins racontent avoir vécu une expérience troublante, remettant en cause leur système de valeur. Chaque fois le scénario est identique : sentiment d'être projeté dans un long tunnel, lumière intense et éblouissante, sensation de planer au-dessus de son corps, impression de bien-être et de plénitude intense. Elles visualisent leur corps, le voyant de haut, au dessus de l'intervention par exemple, réussissant à observer les différentes personnes présentes (chirurgiens, infirmières…). Elles pénètrent dans cette Lumière dans laquelle elles ressentent un sentiment de joie.

Des années après, ces personnes se souviennent très précisément de ces instants qui n'ont pourtant duré que quelques minutes. La majorité d'entre elles n'appréhendent plus la mort de la même manière. Apaisées par ces expériences, elles sont par la suite beaucoup plus à l'écoute des autres et ne ressentent plus l'angoisse de mourir, et ont un rapport à la mort très différent.

Souvent, ces personnes laissent passer de longues années avant de raconter leur étonnant voyage, parfois même plus de dix ans. Car nombreux sont ceux qui répriment leur expérience de peur d’être incompris ou rejetés. Heureusement, les nombreux témoignages relatés dans les médias les incitent à se livrer.

Les explications de ce phénomène ne sont pas encore clairement connues et font aujourd'hui l'objet de nombreuses hypothèses parfois très controversées. Certains spécialistes pensent que la conscience ne serait pas rattachée au cerveau et qu'une personne dans le coma réussirait à maintenir un état de conscience parfaitement clair. Une autre hypothèse est également évoquée : l'EMI serait provoquée par l'asphyxie progressive du cerveau et la décharge massive de neuromédiateurs, provoquant alors une désinhibition des zones cérébrales mise en jeu dans les souvenirs provoquant ainsi un mécanisme hallucinatoire reproductible avec certaines drogues. L'effet des anesthésiants est également très souvent évoqué.

D'autres recherches sont encore nécessaires pour élucider précisément ce phénomène. Des études devraient être effectuées dans les blocs opératoires ou auprès des patients victimes d'un coma, mais pour cela il faudrait encore venir à bout du scepticisme du corps médical...

Pour d'autres personnes, très sceptiques quant aux explications scientifiques, l'EMI prouverait que nous ne connaissons pas encore toutes facultés inconnues de notre cerveau.

Alors phénomène normal ou paranormal ?