Satyre

De son propre aveu, Robert a toujours été un chaud lapin. Très précoce, ce dont il n'est pas peu fier, il a connu sa première expérience sexuelle à 13 ans avec une amie de sa mère. À Toulouse, où il habite, sa réputation a depuis longue date fait le tour de la ville. À son travail – il est dessinateur industriel dans l'aéronautique –, à peu près tout ce qui porte jupon a eu à subir, un jour ou l'autre, ses assauts répétés. Du moins jusqu'à ce qu'une secrétaire le menace de poursuites judiciaires pour harcèlement sexuel, ce qui l'a quand même un peu calmé.

D'un physique avenant, le cheveu dru et droit, le regard sombre et une carrure avantageuse entretenue par la pratique régulière du rugby, Robert, sans être un play-boy, attire les femmes et le sait. Du magnétisme, le charme latin, un œil de velours, la tchatche ad hoc, et le tour est joué.

Françoise, sa femme, a depuis longtemps appris à fermer les yeux sur ses frasques réelles ou présumées. Tout ce qu'elle demande, c'est de ne rien savoir. Pour le reste, elle a pris le parti de s'en moquer. De toute façon, elle est une épouse épanouie, heureuse dans son rôle de mère au foyer. L'éducation de ses trois enfants l'occupe à plein temps, et elle n'a pas le loisir de se soucier des commérages. Et puis, elle savait ce qu'elle faisait en épousant Robert : jamais elle ne l'a pris pour un ange asexué. C'est même tout le contraire qui l'a attirée : son côté un peu brutal, presque animal.

Déjà au lycée, où ils se sont rencontrés, Robert était un dragueur invétéré. C'était plus fort que lui. Il fallait que toutes les filles passent par son lit, les moches comme les jolies. Il ne supportait pas que l'on puisse lui résister. Et il n'hésitait pas à draguer les enseignantes, du moins les plus jeunes, quitte à se faire rabrouer vertement. À bien y penser, seule la prof de musique – mais elle devait être quasiment centenaire – avait échappé à ses tentatives de séduction.

Cependant, loin de se calmer avec l'âge, les ardeurs de Robert s'avèrent de plus en plus pressantes. Depuis quelque temps, il a même l'impression de se transformer en animal sauvage, en rut permanent. Il a désormais besoin de faire l'amour plusieurs fois par jour. Sinon, dit-il, il explose. Françoise, comblée au-delà de toute espérance, n'en peut plus. Robert la réveille plusieurs fois par nuit pour satisfaire ses pulsions. Un soir, en rentrant du travail, il se rue même sur elle et commence à la prendre debout dans la cuisine, contre la porte du congélateur, sans songer une seconde que les enfants pourraient les surprendre. Elle a toutes les peines à le repousser.

Robert en est réduit à fréquenter les prostituées plusieurs fois par semaine. Ce qui commence à lui coûter une petite fortune. Au travail, il quitte fréquemment son poste pour aller se masturber dans les toilettes. Mais ce qui l'inquiète le plus, c'est le caractère de moins en moins maîtrisable de ses pulsions. Un dimanche d'été 1994, à la campagne, en pique-nique avec les enfants, il s'est même surpris à porter un regard de concupiscence sur un âne dans le champ voisin.

Du coup, Robert prend peur. Il craint de ne plus être capable, un jour, de résister à ses envies et de recourir à la force. Il décide donc, en cachette de Françoise, de consulter un psychiatre. Celui-ci lui apprend qu'il est atteint de satyriasis.

Diagnostic

Satyriasis signifie « lubricité » en latin. Quand au mot « satyre », il vient du grec et désigne le « membre viril ». C'est un état d'excitation morbide des fonctions sexuelles chez un homme qui entraîne une nécessité irréversible de répéter l'acte sexuel plusieurs fois par jour, jusqu'à vingt reprises sans épuisement. Il se produit des érections continuelles et des désirs immodérés des plaisirs de l'amour, et survient à tout âge.

Le satyriasis est différent du priapisme, qui est une érection prolongée et douloureuse survenant sans appétit sexuel et n'entraînant pas d'éjaculation. Il peut être symptomatique d'une pathologie organique sous-jacente (infection des voies urinaires et génitales, leucémie, lésion neurologique ou vasculaire) ou lors de la prise de certains médicaments

Le satyriasis est le pendant masculin de la nymphomanie chez la femme, mais s'observe beaucoup moins fréquemment. Il est parfois comparé à un trouble obsessionnel. Toute représentation, apparemment anodine, entraîne une forte pulsion sexuelle. Ces hommes sont impudiques et incontrôlables, car potentiellement dangereux envers les femmes, les enfants ou les animaux. Pire, s'il n'arrive pas à soulager sa pulsion sexuelle, le malade peut présenter une phase délirante.

Cette anomalie peut parfois se rencontrer dans certaines pathologies cérébrales.

Lorsqu’une anomalie organique est mise en cause, son traitement permet de faire disparaître les pulsions sexuelles.

Toute personne atteinte par cette anomalie doit être prise en charge par un psychothérapeute et suivre un traitement médicamenteux.