Spasmes

Jeanne n'est pas prête d'oublier ce déjeuner professionnel du 20 décembre 2010. Un cauchemar ! La pire chose qui lui soit arrivée depuis son terrible accident de voiture de l'été 2008 qui a bien failli lui coûter la vie. Mais elle ne garde guère de cet épisode que le souvenir de ce fameux tunnel plongé dans une lumière blanche et douce, tel que l'on décrit beaucoup d'autres avant elle. Et elle serait bien incapable de dire si ce souvenir est vraiment le sien.

Ce jour-là, en tout cas, ce fameux 20 décembre 2010, Jeanne est « à la bourre », comme à son habitude. Elle a rendez-vous dans une brasserie de l'Alma pour défendre un projet qui lui tient particulièrement à cœur. Une série médicale pour la télévision dont l'idée lui est justement venue lors de sa longue hospitalisation après son accident.

Mais voilà que Jeanne, au volant de sa Mini qu'elle conduit comme une Formule 1, est arrêtée par deux policiers à l'angle du Fouquet's, au carrefour entre l'avenue des Champs-Élysées et l'avenue Georges V. Elle vient, lui disent-ils, de brûler un feu rouge. Elle reconnaît volontiers qu'elle n'a rien vu. Elle tente toutefois de se justifier. Le feu de signalisation en question, que lui montrent les policiers, est quasiment indétectable, se situant juste quelques mètres après un autre de ses congénères.

 

Résultat des courses, Jeanne arrive avec quinze minutes de retard à son rendez-vous. La brasserie est bondée à cette heure, et elle a du mal à repérer son hôte. Elle est très énervée et bouscule sans le vouloir un maître d'hôtel qui lui lance un regard assassin. Elle repère pourtant sa table. Mais elle est extrêmement tendue lorsqu'elle s'assoit enfin face à son interlocuteur. Au point d'être quasiment incapable de s'excuser pour son retard, et encore moins de s'en expliquer. Tout juste se contente-t-elle de grommeler quelques mots sur la circulation décidément impossible dans Paris. Jeanne sait qu'elle dispose d'à peine une heure pour emporter le morceau auprès du directeur de la chaîne. C'est tout ce qu'elle a réussi à arracher, une petite heure pour rendre compte de deux années de travail. C'est pourquoi, à peine assise, la fonceuse qu'elle est se lance avec alacrité dans la défense de son projet. Elle réexplique tout l'intérêt du concept, son originalité par rapport à tout ce qui s'est fait jusqu'alors. Mais alors qu'elle parle avec passion de son projet, elle commence à ressentir comme des spasmes dans les joues, une sorte de tension qui lui paralyse quasiment le visage. Elle n'est plus en mesure d'ouvrir la bouche, ni de mastiquer. Jeanne n'a jamais rien connu de tel auparavant. C'est bien la première fois qu'un truc pareil lui arrive. Elle ne comprend pas. Le stress, probablement, se dit-elle, la tension liée à l'enjeu, ou la conséquence de l'incident qui l'a opposée aux deux policiers un peu plus tôt. Mais le regard pour le moins étonné, pour ne pas dire effaré, du directeur de la chaîne assis face à elle n'arrange pas les choses et ne l'aide nullement à surmonter son stress. Fort heureusement, l'épisode est de très courte durée, à peine quelques instants, et la conversation peut rapidement reprendre normalement. Elle se montre affable, enjouée, comme elle en a l'habitude. Et, au final, alors qu'elle était certaine que c'était perdu, le déjeuner se termine sur une promesse de son interlocuteur de signer une convention d'écriture avec sa production.

Jeanne aurait sans doute rapidement tout oublié de cet incident si les manifestations ne s'étaient pas reproduites, quasiment à l'identique, et plusieurs fois de suite. Elle remarque vite que cela coïncide généralement avec des périodes d'énervement, des moments de forte tension, un différend avec un de ses collaborateurs ou une contrariété plus personnelle. Elle en vient à redouter les réunions et même à refuser les déjeuners d'affaires, pourtant si nécessaires dans sa profession, par peur que ne se reproduise un incident du type de celui de la brasserie de l'Alma. Ou alors, elle se fait accompagner par l'un de ses producteurs exécutifs avec lequel elle convient d'un petit signe de connivence quand elle sent qu'elle est au bord d'un nouveau problème. Celui-ci prend aussitôt le relai de la conversation. Mais, il faut bien le dire, tout cela mine Jeanne.

 

Elle se résout finalement à appeler une amie comédienne pour obtenir un rendez-vous en urgence auprès de celui que l'on appelle, dans son milieu, l'ORL des stars. Il soigne les problèmes de voix ou d'audition d'à peu près tout ce que Paris compte comme chanteurs ou comédiens. Inutile de préciser combien il est difficile d'obtenir une consultation dans son cabinet. Mais grâce à l'entregent de son amie comédienne, Jeanne y parvient néanmoins. À peine assise face au praticien, avec sa vélocité et sa faconde habituelle, Jeanne commence à raconter ce qui lui bouffe la vie depuis des mois. Mais très rapidement, sa voix s'enraye. Elle est tout juste audible. Et Jeanne sent les larmes lui monter aux yeux. Bon dieu, même ça, elle ne peut pas y arriver. Le praticien procède à un examen précis. Il introduit un fibroscope dans la narine droite de sa patiente qui semble terrorisée. Et très vite, il entreprend de la rassurer. « Vous n'avez pas d'inquiétude à avoir. Vous n'avez ni cancer, ni polype, ni kyste sur les cordes vocales, bref rien de bien méchant. » lui dit-il, « Mais il va falloir procéder à d'autres examens ». Dans les jours qui suivent, Jeanne subit une électromyographie des muscles de la mâchoire et de la langue, une fibroscopie des cordes vocales et une vidéo-stromboscopie. Ces examens confirment l'intuition du spécialiste : Jeanne souffre d'une dystonie oro-mandibulaire.

Diagnostic

La dystonie est un trouble neurologique du mouvement qui entraine des contractions musculaires involontaires et prolongées des muscles d'une ou de plusieurs parties du corps pouvant provoquer une torsion ou une distorsion de la région atteinte. Apparaissent alors des difficultés lors de la marche, de l'alimentation, du sommeil mais également au cours de la parole.

La dysphonie spasmodique, qui entre dans le cadre des maladies dystoniques, est une altération de la voix provoquée par un spasme des cordes vocales.

Ce trouble de la voix peut être isolé ou associé à d'autres formes de dystonies comme par exemple le torticolis spasmodique, le blépharospasme (impossibilité à ouvrir les paupières secondaires à une contraction spasmodique des muscles des paupières) ou la crampe de l'écrivain.

Ces dystonies sont d'origine primaire dans la majorité des situations et ne sont pas liées à une autre pathologie. Son origine reste encore difficile à établir.

 

Cette maladie débute en général vers l'âge de 30 ou 40 ans et s'observe plus fréquemment chez les femmes, parfois à la suite d'un choc psychologique. La maladie évolue souvent progressivement.

Au début de la maladie, la dystonie spasmodique se manifeste uniquement lors de la mastication et de la phonation mais est absente au repos. Des tensions au niveau des joues ainsi que des spasmes du visage sont observés

Au cours de l'évolution de la maladie, apparaissent alors des difficultés lors de la mastication des aliments ainsi que des troubles de l'élocution.

La voix peut également être perturbée par des arrêts involontaires, le rythme des phrases est haché, le patient ne peut s'exprimer de façon normale et souvent par des phrases courtes.

D'autre part, certains patients s'expriment souvent en chuchotant ou avec une voix de « fausset » pouvant faire sourire l'entourage et contribuant encore davantage au malaise ressenti. La personne atteinte présente également des difficultés respiratoires lorsqu'elle s'exprime ainsi que des douleurs au niveau du cou.

Ces troubles peuvent parfois s'atténuer lorsque la personne chante, est en colère ou crie. Les spasmes empêchent les cordes vocales de vibrer normalement.

 

La vie quotidienne de ces patients est perturbée car ils éprouvent de grandes difficultés à communiquer, et à téléphoner. L'activité professionnelle s'avère difficile

Les manifestations varient au cours de la journée, s'aggravant progressivement pour devenir souvent très intenses dans la soirée.

La réalisation d'une fibroscopie du pharynx et du larynx ainsi qu'une électromyographie des différents muscles de la mâchoire et de la langue permettent le diagnostic de la dysphonie.

Une prise en charge multidisciplinaire comprenant un ORL, un neurologue ainsi que des professionnels de la rééducation est indispensable.

Le traitement de la dystonie oro-mandibulaire est difficile. Les traitements médicamenteux peuvent améliorer partiellement les manifestations. La rééducation peut apporter une aide importante mais nécessite souvent de nombreuses séances à long terme. Il est conseillé de l'associer à des séances de relaxation ainsi qu'à des techniques de réapprentissage de la respiration.

La pratique d'injections de toxine botulique dans les muscles du larynx permet de diminuer temporairement les spasmes et les manifestations. Une amélioration plutôt efficace s’observe au bout de 1 à 2 semaines et se prolonge tout en diminuant progressivement ses effets pendant 4 à 6 mois au maximum. Il est souvent nécessaire d'effectuer 2 voire 3 injections chaque année.

Une perte presque totale de la voix (aphonie) et une difficulté à déglutir peuvent s'observer dans les semaines suivant l'injection.

AMADYS-LFCD est une association de malades souffrant de dystonies ou de spasme hémifacial. Elle a pour but de mieux faire connaitre la dystonie auprès du plus grand nombre mais également de sensibiliser les professionnels de santé et les autorités sanitaires. Elle participe également à de nombreux programmes de recherche.