Après sa rencontre avec Alice, Marie-Camille ressassa ses paroles en boucle dans sa tête jusqu’au mercredi suivant. Puis, elle prit sa décision : Jean-Luc lui avait promis de la rejoindre après sa journée de travail ; ils s’étaient donné rendez-vous au parc sur le bord de la rivière, comme la fois précédente. Déterminée à mettre fin à sa relation, la femme marcha d’un pas énergique jusqu’à l’espace vert. Elle se savait en beauté dans sa jupe en jeans et sa camisole brodée.
Marie-Camille le vit avant que lui la voie. Il était tourné vers la rivière, le dos appuyé contre la table de bois, sa tête un peu levée vers le ciel. Elle l’imaginait les yeux fermés et sut qu’elle n’y arriverait pas si elle s’approchait. Alors, la jeune femme cessa d’avancer, sans se préoccuper des grognements de deux cyclistes à qui elle avait bloqué le chemin. Ses yeux se promenaient un peu partout de manière fiévreuse, alors qu’elle espérait trouver la force de s’enfuir en courant. Serrant son sac contre sa taille, Marie-Camille fit demi-tour, les larmes ruisselant sur ses joues. Quand elle arriva à son appartement de la rue de la Roche, près de quarante minutes plus tard, elle avait les yeux bouffis d’avoir trop pleuré. Et lorsque la porte de sa voisine s’ouvrit au son de ses pas, elle n’eut pas la force de sourire.
— Bonjour, ma fille. Il fait trop chaud aujou… Oh, mais tu es malade dis donc ?
Madame Vadeboncœur s’avança près de la jeune femme et fixa ses yeux charbonneux sur le visage défait.
— Tu as pleuré, toi là ! Qu’est-ce qui se passe ?
— Rien, rien… oh…
Sans pouvoir se retenir, Marie-Camille se glissa entre les bras grands ouverts de la vieille dame, prête à l’accueillir. Les deux femmes restèrent longtemps sans parler sur le palier devant leurs logements. Puis, à bout de larmes, la jeune remercia la femme âgée du bout des lèvres.
— Je vais rentrer, murmura-t-elle sur un ton tremblotant.
— Tu es bien certaine que tu vas être correcte ? Parce que je peux venir dormir sur ton divan, si tu as besoin de réconfort. Je suis vieille, mais encore capable d’avoir une bonne écoute.
Marie-Camille était épuisée de justifier cet amour illégal. Elle se doutait de ce que lui dirait Albertine, même si celle-ci se vantait de se montrer avant-gardiste. Entretenir une relation avec un homme marié, père de surcroît, ne pouvait en aucun cas être justifié. Pas même par l’amour qui fleurissait dans son cœur ni par les baisers de Jean-Luc, qui la faisaient vibrer de désir. Rien ne légitimait une telle union. La jeune secoua la tête, se glissa chez elle et resta longuement appuyée contre sa porte fermée. Israël se frotta contre le bas de ses jambes pour réclamer son attention. Prenant son chat dans ses bras, Marie-Camille lança ses clés sur le comptoir et s’avança vers son meuble de télévision. Elle alluma son appareil et s’affala sur le divan, en espérant se changer les idées.
« Cette nuit, la ville de Berlin, en Allemagne, a été le théâtre d’un nouveau drame. Afin de stopper l’exode de ses habitants qui passent à l’Ouest, les autorités est-allemandes ont utilisé les grands moyens. Les premiers éléments d’un mur se sont dressés et, au réveil, les Berlinois des deux côtés ont reçu la terrible nouvelle… »
Découragée devant cette tragédie humaine, la jeune femme oublia momentanément sa peine et sa détresse. « Après tout, songea-t-elle, il y a des situations bien pires que la mienne ! »
Dans la soirée, le téléphone sonna à plusieurs reprises dans le petit appartement de Marie-Camille. Convaincue que c’était Jean-Luc qui tentait de la joindre, la jeune femme ne répondit pas. Après cinq répétitions, elle décida même de décrocher le combiné et le déposa près de l’appareil. Les miroirs de l’entrée et de la salle de bain lui renvoyaient sa mine attristée chaque fois qu’elle passait devant. La blonde savait qu’elle ne pourrait oublier cet homme avant longtemps. Elle avait senti au plus profond de son être que les émotions qu’il lui avait fait vivre dans le court laps de temps qu’ils avaient passé ensemble seraient difficiles à retrouver. Quand des coups se firent entendre à la porte d’entrée, elle sursauta et déposa sa cuillère de soupe sur la table.
— Non… Je veux pas le voir… murmura-t-elle, en refermant sa robe de chambre sur son corps.
Marie-Camille coucha sa tête dans ses bras repliés devant elle. Elle ferma les yeux en priant pour qu’il s’en aille. Elle savait que seule la distance entre eux pourrait lui permettre d’enterrer cette relation embryonnaire. Mais les cognements ne se tarissaient pas et, dans un mouvement d’humeur, la jeune alla ouvrir :
— QUOI ? Oh, madame Vadeboncœur, c’est vous ?
— Bien oui, ma fille, qui attendais-tu à cette heure-là ? Excuse ma tenue, mais je pouvais pas aller me coucher sans m’assurer que tu allais bien. Tu faisais tellement pitié tantôt.
Albertine se tenait sur le palier, les cheveux enroulés dans des bigoudis et le visage enduit de crème blanchâtre. Pantoufles de fourrure rose aux pieds, robe de chambre fleurie sur son corps enrobé, la vieille pointait ses yeux vifs sur sa jeune voisine.
— Bon, puis j’ai bien fait, si je comprends bien !
— Heu, c’est juste que je m’étais endormie devant la télévision, commença bravement Marie-Camille, en tentant un sourire rassurant.
La vieille dame ne fut pas dupe et se pencha vers l’avant :
— Juste à te voir la mine, coupa-t-elle, c’est clair que la situation est grave. Donne-moi une minute.
Abasourdie, Marie-Camille regarda la vieille dame trotter jusqu’à son appartement et y disparaître durant quelques minutes pour en revenir, le visage nu.
— Je peux pas garder mon cold cream trop longtemps, sinon, demain, je vais avoir comme un film gras qui va rester sur ma peau. Viens donc, on va pouvoir jaser toi et moi, ma petite.
Comme s’il s’agissait de son logis, la femme pénétra chez la jeune fille et la tira par le bras. Si elle n’avait pas été aussi attristée, Marie-Camille aurait peut-être résisté à cet assaut et cette invasion de sa vie privée. Et c’est comme si une digue venait de céder lorsqu’elle voulut répondre à la question :
— Dis-moi, comment il s’appelle, ce malheureux qui te fait autant de peine ?
— Jean-Luc.
— Me semblait bien aussi qu’il devait y avoir un homme dans ce genre-là en dessous de ta grande tristesse.
Marie-Camille plissa son nez devant ce commentaire inattendu, mais n’eut pas le temps de se questionner.
— J’en ai connu un, Jean-Luc, dans mon jeune temps. C’était pas un gentil garçon. Ils doivent tous être pareils.
Assise sur le sofa à côté de la vieille femme, Marie-Camille ne savait pas quoi répondre à cette drôle de réflexion. Albertine lui prit le menton pour le tourner vers elle et demanda :
— Raconte-moi tout.
Alors, Marie-Camille narra son secret sans retenue. L’enseignant, leurs premiers échanges plus houleux, leurs baisers, leurs discussions… et surtout, la femme et l’enfant de Jean-Luc. Après cela, elle attendit. Longtemps. Albertine Vadeboncœur se leva pour marcher jusqu’à la fenêtre de l’appartement. Puis, elle se tourna vers sa jeune amie :
— Laisse-le pas partir si tu sens que c’est le bon, ma belle.
— Pardon ?
— Tu le sais pas, mais j’ai été amoureuse folle un jour. Il s’appelait Émilien. Il était beau comme un Dieu, mais ses parents refusaient qu’il me fréquente. J’avais pas assez de classe pour sa famille. On s’aimait vraiment. On se voyait en cachette, on s’embrassait, oui, oui… J’ai jamais été trop prude, tu sauras. Puis, un matin de juillet 1910, mon Émilien m’a annoncé que ses parents l’obligeaient à épouser une lointaine cousine.
La femme avait le regard vague, comme si les souvenirs qui l’envahissaient couvraient ses yeux pâles de brume. Elle se tourna vers Marie-Camille, toujours assise sur le divan, et s’en rapprocha.
— J’ai immédiatement mis fin à la relation, même s’il me suppliait de continuer à le voir. J’aimais cet homme plus que tout au monde, mais j’étais aussi une jeune femme élevée dans un pensionnat religieux et je fréquentais assidûment l’église. Il n’était pas question que je reste en relation avec un homme qui ne pourrait jamais me promettre une union éternelle.
— Vous l’avez jamais revu ?
Albertine hocha doucement sa tête pleine de rouleaux métalliques. Elle revint s’asseoir à côté de la jeune femme.
— À la fin de l’automne, j’ai entendu entre les branches qu’il épouserait sa fiancée un samedi de décembre. J’ai pas pu résister à la curiosité malsaine d’aller constater sur place s’il semblait aussi malheureux que moi.
— Alors ? questionna Marie-Camille, qui tenait à présent la main tavelée dans la sienne.
— Il était si beau dans son habit gris foncé, ses cheveux blonds bien coiffés ! J’ai pensé, un moment, courir jusqu’à lui pour l’enlever à sa nouvelle épouse. Mais quand il s’est penché pour poser ses lèvres sur celles de la femme à ses côtés, j’ai compris que l’amour de ma vie m’avait échappé. Après, j’ai eu quelques relations, parce que j’étais une belle femme dans mon jeune temps…
— Vous êtes encore magnifique, Albertine, murmura avec affection Marie-Camille.
— Tu es gentille, ma fille. Ce que je veux que tu comprennes, c’est que si cet homme représente pour toi l’amour, le vrai, il vaut peut-être la peine que tu oublies les enseignements de nos bons curés.
De plus en plus perturbée par les mots de l’octogénaire, de celle qui aurait dû, lui semblait-il, être complètement outrée par ses agissements, Marie-Camille ferma les yeux et laissa sa tête reposer sur l’épaule ronde de sa voisine.
— Je sais pas quoi faire ! Je comprends surtout pas pourquoi je l’aime autant. Il est plus vieux, je le trouve beau, mais probablement qu’il l’est pas tant que ça pour les autres ; et en plus, il conduit une Coccinelle verte !
— Hum…
Albertine souleva un sourcil inquisiteur. Marie-Camille poursuivit la liste des inconvénients d’une telle relation :
— Il est parfois rétrograde, même si c’est lui qui m’a référée pour mon travail ; et surtout, il a un petit garçon. Je peux pas briser…
La voix de la jeune femme se cassa. Elle ne pouvait même pas prononcer les paroles qui lui venaient en tête.
— Qui te parle de briser sa famille ? chuchota Albertine.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Marie-Camille posa sa main sur sa bouche en secouant doucement ses boucles. Pourrait-elle vraiment fréquenter Jean-Luc Buisseau sans qu’il quitte son épouse et son enfant ? D’un autre côté, comment ferait-elle pour se regarder dans le miroir s’il venait à laisser les siens pour être auprès d’elle ? Ne sachant quoi penser, la jeune se lova de nouveau contre la vieille femme.
— Réfléchis à ça, ma belle. Sache juste que j’ai regretté toute ma vie d’avoir laissé partir mon Émilien. Avoir su que je retrouverais jamais un amour aussi fort, je l’aurais fréquenté, même sans être mariée.
Pendant plusieurs jours, Marie-Camille ressassa les paroles de sa voisine dans sa tête. La nuit, elle tournait sans cesse dans son lit et restait durant de longs moments à fixer le plafond, sans dormir. Jean-Luc était passé en son absence et avait glissé un mot sous sa porte : « Je t’en prie, Marie-Camille, j’ai besoin de te voir. Rejoins-moi à ton restaurant demain midi. »
Elle avait jeté le mot à la poubelle, après l’avoir tenu pendant de longues minutes. Puis, elle avait à son tour rédigé une note, qu’elle avait laissée à Jacques pour qu’il la remette à monsieur Buisseau. « Je peux pas. Respectez ma décision, je vous en prie. » Son ancien employeur ne l’avait pas questionnée. Malgré les paroles réconfortantes de mademoiselle Vadeboncœur, Marie-Camille choisit d’écouter son père et Alice, qui l’avaient tous deux mis en garde contre une telle relation.
Heureusement, les morts ne cessaient pas d’affluer, et sa charge de travail quotidien ne lui permettait guère de se laisser envahir par le chagrin pendant la journée. Avec monsieur Pépin, une belle entente s’était installée. Ils parlaient peu lorsqu’ils travaillaient côte à côte, mais l’homme lui faisait de plus en plus confiance. La seule difficulté qu’avait Marie-Camille venait au moment de transférer un défunt sur la table de porcelaine blanche. Lorsque la dépouille pesait trop lourd, elle devait attendre que son patron soit à ses côtés pour le faire.
Un évènement d’une grande tristesse prit le dessus sur sa propre peine, un matin d’août. Quand elle entra dans la grande maison de briques, Marie-Camille salua d’un bonjour amical la secrétaire et son patron, qui parlaient à voix basse.
— Allô, vous deux !
— Mademoiselle Gélinas, bonjour.
Rapidement, la jeune embaumeuse comprit que quelque chose n’allait pas. Madame Valois n’avait pas cet air serein qui la caractérisait si bien. Elle avait les yeux brillants et la lèvre un peu tremblante. Marie-Camille se débarrassa de son boléro blanc, qu’elle accrocha dans la garde-robe de l’entrée avant de s’approcher du duo.
— Tout va bien ?
— Oui, oui, répondit trop vite monsieur Pépin, en lançant un regard d’avertissement vers sa secrétaire. Suivez-moi.
Marie-Camille marcha derrière son patron, non sans jeter un coup d’œil par-dessus son épaule et remarquer madame Valois lui adresser un piètre sourire. Fronçant les sourcils, la femme entra dans le bureau de l’embaumeur et prit place dans la chaise en face de lui. Elle sentit ses mains devenir moites à l’idée qu’elle avait commis une erreur. Repoussant ses lunettes sur son nez, elle demanda, sur un ton alarmé :
— Qu’est-ce qui se passe ? Vous m’inquiétez.
— C’est juste que nous avons reçu une nouvelle dépouille hier soir.
— Ah.
Rien de nouveau, eut envie de répondre Marie-Camille. Pour la première fois depuis son embauche, monsieur Pépin se permit de toucher à sa jeune employée. Il étira le bras pour déposer sa main sur la sienne.
— C’est un enfant.
— Ah.
— Un petit garçon.
Les yeux de Marie-Camille se posèrent sur leurs mains. Elle fit la moue, car depuis le début de sa jeune carrière, elle appréhendait ce jour. Même si la mortalité infantile avait grandement diminué depuis quelques décennies, il n’en demeurait pas moins que c’était encore une réalité trop fréquente.
— Vous pensez pouvoir m’assister ? demanda Guy Pépin, en fixant son employée au-dessus de ses demi-lunes posées sur le bout de son nez.
Marie-Camille ferma les yeux quelques secondes avant de faire un léger sourire confiant.
— Oui, chuchota, ça sera pas un problème pour moi. Je suis prête à faire face à cette situation. Je savais que le jour viendrait éventuellement. On nous en a parlé à quelques reprises au cours de notre formation.
L’homme hocha la tête et recula sur sa chaise.
— C’est difficile, je vous préviens. Même avec toute mon expérience, je ne m’y habitue jamais. Non seulement il y a la tristesse devant ce deuil, mais le travail en lui-même est plus difficile. Lever la carotide s’avère bien difficile lorsque celle-ci n’est pas plus grosse qu’une aiguille…
La jeune femme ne répondit pas à ces derniers commentaires. Elle se contenta de hocher la tête avec compréhension. Quand ils descendirent les marches vers le sous-sol, quelques instants plus tard, Marie-Camille prit une longue inspiration comme s’il s’agissait de sa dernière bouffée d’air de la journée. Quand monsieur Pépin la laissa passer devant lui en ouvrant la porte, elle tenta d’éviter de regarder la table où reposait le petit défunt. Inévitablement son regard fut attiré vers le drap blanc. Le corps ne faisait pas plus de deux pieds.
— Il est mort comment ? demanda-t-elle en prenant un ton posé.
— Détresse respiratoire. Il y a eu une autopsie, alors les organes internes ne seront plus à leur place. Il faudra absolument éviter que les parents demandent à le prendre… Vous savez pourquoi ?
— Parce qu’en exerçant une pression sur l’abdomen, il pourrait s’échapper des fluides ou du sang par les voies naturelles, n’est-ce pas ?
Monsieur Pépin hocha la tête. Il s’avança vers la dépouille d’un pas solennel. Quand il souleva le drap pour laisser apparaître le petit bonhomme au corps blanc et à la chevelure blonde comme les blés, la jeune femme laissa échapper un petit sanglot.
— Oh…
Elle s’avança à son tour, une main crispée sur son sarrau. Une nouvelle inspiration lui permit de reprendre le contrôle de son cœur qui battait la chamade. Elle passa ses doigts dans les belles boucles soyeuses et jeta un coup d’œil rapide sur les grandes cicatrices laissées par l’autopsie. Les bras et les jambes du bambin étaient potelés, et ses petits pieds encore dodus étaient faits pour jouer au ballon, pour courir… pas pour qu’il se retrouve couché dans le sous-sol d’un salon funéraire. L’enfant était si petit et fragile que Marie-Camille sentit ses paupières se gonfler de larmes.
— Comment font les parents ? demanda Marie-Camille, en enfilant des gants et en prenant un linge mouillé pour commencer la toilette de l’enfant. Comment font-ils pour passer au travers d’une telle épreuve ?
Monsieur Pépin, qui comprenait l’émotion que vivait sa jeune collègue, répondit sur un ton doux :
— Le temps. Seul le temps peut permettre un semblant de guérison. Mais peut-on vraiment se remettre d’un deuil comme celui-ci ?
De chaque côté du petit garçon nommé Jean, le vieil homme et la jeune embaumeuse passèrent trois heures sans prononcer un autre mot. Ils s’attardèrent à rendre le garçonnet aussi mignon qu’il l’était sur sa photo, malgré la rigidité cadavérique qui s’était déjà installée. Parfois, dans un geste de grande tendresse, la jeune femme laissait ses doigts glisser sur la joue de l’enfant. Quand le temps arriva où elle dut sceller les mâchoires du garçonnet, elle avait de la difficulté à voir ce qu’elle faisait tant ses pleurs brouillaient sa vue. Elle pleura en silence en plongeant sa tête dans ses mains. Monsieur Pépin la serra avec affection avant de la guider vers la chaise, où elle resta assise longtemps.
— Laissez-moi terminer, Marie-Camille. Vous en avez assez fait.
La jeune femme ne songea même pas à s’opposer, toute son énergie s’étant dissipée pendant ce long travail. Lorsqu’elle émergea de la salle du sous-sol, au moment du dîner, elle sortit du salon funéraire pour aller se ressourcer face à la rivière. Rien ne pouvait préparer personne à une réalité aussi difficile. Elle aurait eu envie de partager cette douloureuse expérience avec Jean-Luc. Cet homme aurait compris les émotions qu’elle vivait, sans qu’elle ait même à les justifier. Il avait été directeur funéraire durant plusieurs années avant de devenir professeur d’embaumement. Il avait certainement dû, au cours de sa carrière, faire face à une telle épreuve. Marie-Camille avait l’impression que chaque enfant qu’elle croiserait dans les jours à suivre lui rappellerait le petit minois éteint de Jean.
— J’espère que j’aurai pas à vivre de telles situations trop souvent, murmura-t-elle en souriant tristement devant une fillette qui tentait d’approcher un canard récalcitrant, alors que sa mère la tenait par la main.
En songeant à la mort, au destin, qui pouvait mettre fin à la vie sans prévenir, Marie-Camille prit alors l’unique décision qui s’imposait. Celle de revoir Jean-Luc le jour où il referait surface dans sa vie. Si c’était le cas, bien sûr, car à la suite de son dernier message, l’homme ne l’avait plus contactée.