VI
Hôtel 23 - Commando Phoenix

— Magne-toi, Doc ! cria l’un des hommes depuis les ténèbres.

— Cette petite torche à plasma n’est pas aussi puissante que la station de soudure. Je vais aussi vite que je peux.

— Ils sont sur nous, mon pote… Ouvre cette porte ou on est foutus ! Je les vois dans mes lunettes. Ils sont dans un sale état.

— Tu m’aides pas vraiment, là. Arrête de flipper.

Derrière ses lunettes de protection, Doc se concentrait sur le faisceau incandescent de la torche à plasma. Il suivait le tracé de la soudure existante et découpait lentement le métal. Il entendait les pas des morts vivants et leurs grognements dans son dos pendant qu’il travaillait mais il était hors de question de s’arrêter. Soit il arrivait à forcer l’accès de la lourde porte d’entrée, soit il serait déchiqueté par les griffes glacées des morts vivants. Les créatures affluaient, attirées par la lumière vive, le bruit produit par la torche à plasma et les silencieux des fusils.

La voix de Billy, extrêmement nerveuse, lui parvint pardessus le tumulte de la fusillade :

— Doc, grouille. Je déconne pas. Je peux sentir leur souffle !

— Je fais ce que je peux, mec. Plus que quelques minutes, répondit Doc.

— Trop tard. Disco, bute-les ! siffla Billy.

Disco sortit une grenade de son gilet, dégoupilla, puis la jeta en plein milieu de la foule grandissante des créatures en approche.

— Ça va faire boum ! hurla Disco tandis que le projectile roulait sous la forêt de jambes mortes vivantes.

Les quatre hommes se jetèrent à terre. Les secondes s’écoulèrent comme des minutes avant que l’explosion secoue la zone entière, projetant des bouts de viande pourrie et des fragments d’os un peu partout. L’explosion élimina un grand nombre de morts vivants, ou du moins les immobilisa.

Hawse entra dans la danse avec son fusil et expédia les créatures isolées.

— T’es de corvée de nettoyage, ducon ! cria-t-il en direction de Disco.

— Quoi ? répondit Disco en retirant un bouchon d’oreille de son oreille droite.

Hawse continuait à faire feu tout en lui parlant :

— Sans déconner, mec, balance ces trucs. Une de ces créatures va te bouffer le cul et tu l’entendras même pas venir.

— Cause toujours. Tu sais ce qui s’est passé ici. Quand le soleil se lèvera, tu pourras peut-être apercevoir la partie du javelot qui dépasse du sol, répliqua Disco.

Les morts vivants surgissaient de la lisière des bois, attirés par l’explosion. Dans peu de temps, même une centaine de grenades ne pourrait tirer l’équipe de ce mauvais pas. C’était l’affaire de quelques minutes tout au plus.

Doc et le reste de l’équipe avaient été briefés avant de sauter. Peu de temps avant leur arrivée, un énorme engin en forme de javelot avait été largué sur la base et avait noyé la zone sous un déluge sonore dévastateur. Les agents des services de renseignement encore en vie avaient conclu que cette arme avait pour objectif d’annihiler toute vie dans la région en attirant une horde gigantesque de morts vivants en émettant un vacarme assourdissant à des kilomètres à la ronde. On ne la connaissait que sous le nom de code qui figurait dans un rapport classé top secret : le projet Ouragan. Il avait fallu une escadrille de chasseurs A-10 Thunderbolts et leurs canons de 30 mm pour venir à bout de l’engin.

Tout en continuant à découper centimètre par centimètre la lourde porte d’acier qui leur barrait l’accès, Doc écoutait Disco et Hawse échanger des amabilités. Disco et Hawse ne cessaient de s’insulter copieusement entre deux rafales, s’efforçant de trouver des jurons toujours plus raffinés. Tout ça c’était de l’esbroufe, Doc le savait bien. Au fond d’eux, ils étaient terrifiés.

— J’en suis à la moitié, dit Doc à voix haute, pour lui-même.

Il se dévissa le cou pour s’adresser à Billy :

— Billy, rassure-moi, ils ont bien dit que c’était vide à l’intérieur, pas vrai ?

Billy répondit tout en balayant la zone du regard, à l’affût de créatures ayant franchi la ligne de défense :

— Ouais, les marines ont nettoyé la base avant de souder la porte. Il n’y a rien là-dedans à part des rats morts et deux ou trois cafards.

— Compris.

L’espace d’un instant, Doc imagina des rats morts vivants et chassa cette idée saugrenue. Ils seraient trop lents, de toute façon, à moins que… Il valait mieux ne pas y penser. Il reporta son attention sur la torche.

L’instrument de découpe de Doc continuait à s’enfoncer dans la porte d’acier tandis que la fusillade s’intensifiait derrière lui. Disco et Hawse sollicitaient tellement leurs armes que la chaleur dégagée par les cartouches de gaz commençait à faire chauffer l’huile des mécanismes. L’odeur du lubrifiant brûlant rappelait à Doc la longue guerre contre le terrorisme qui avait défini toute sa vie d’adulte. Une guerre qui avait pris fin en quelques jours à peine à cause de l’apparition des morts vivants. Disco et Hawse faisaient feu sans discontinuer sur les créatures en approche. Les cervelles et les os explosaient, éclaboussant les rangs des macchabées toujours plus nombreux qui se pressaient dans la pénombre. Ils attiraient une sacrée foule désormais.

Les données fournies par le renseignement sur cette base étaient très complètes. Il n’y avait pas si longtemps, cet endroit avait été envahi par des centaines de milliers de créatures. Les précédents occupants s’en étaient échappés de peu. La plupart des morts vivants étaient restés après la destruction de l’arme sonore. Les autres s’étaient éparpillés dans la nature, dans une marche macabre sans but ; des hordes implacables qui dévoraient les vivants.

Doc acheva les derniers centimètres de découpe puis laissa tomber la torche à ses pieds.

— C’est bon, les gars. Billy, tu couvres nos arrières. On y va.

— Bien reçu.

Leurs lunettes s’adaptèrent automatiquement aux lumières infrarouges émises par leurs armes lorsqu’ils pénétrèrent dans la base en proie aux ténèbres. Doc franchit la porte et donna la consigne à Billy de le suivre.

— Je suis le dernier, dit Billy.

— Bien reçu, verrouille la porte, répondit Doc.

Billy repoussa l’épaisse porte en acier et tenta de fermer les verrous qui rendraient l’endroit aussi sûr qu’une chambre forte dans une banque. La plupart des verrous s’enclenchèrent mais certains résistèrent. Ça suffira, pensa Doc.

Hawse tendit la main vers le bout de son arme.

— Je mets un peu de lumière.

Ils remontèrent leurs lunettes sur leurs fronts et s’adaptèrent à la nouvelle luminosité. Les trois autres éteignirent leurs lumières infrarouges pendant que Doc dépliait une carte de la base.

— Elle a été dessinée à la main par l’ancien commandant pendant son débrief sur le porte-avions. Il a tracé un « X » là où il a planqué une bouteille de whisky, dans le conduit d’aération de la salle climatisée. Voilà qui devrait nous motiver pour inspecter le bâtiment.

— Plutôt deux fois qu’une, dit Hawse, tout sourire.

— Très bien, voici le plan : Hawse, tu t’occupes des quartiers d’habitation et des couloirs qui y mènent. Disco, la salle climatisée. Billy, tu me couvres pendant que je m’occupe du centre de commande.

 

Hawse avançait rapidement dans le couloir sombre. Sa première impression correspondait aux rapports des renseignements. La base avait été abandonnée en urgence des semaines auparavant. Des centaines de milliers de créatures convergeaient vers ce lieu à cause d’une arme conçue pour les attirer à son point d’impact. Des habits, des déchets et des effets personnels étaient éparpillés en vrac. Un album photo poussiéreux était ouvert sur le sol d’une des chambres, des espaces vides sur les pages racontant une histoire. Des photos avaient été retirées à la hâte. Il n’y avait aucun signe de vie, ou de mort.

Hawse poursuivit sa fouille jusqu’à la limite des quartiers d’habitation. Un bruit mécanique le fit sursauter. Le soudain afflux sanguin au niveau de ses yeux lui fit voir des milliers d’étincelles. Il marchait lentement et contrôlait sa respiration tout en essayant d’identifier le son. Il entendait des bruits de pas qui venaient d’un couloir non loin de là.

— C’est toi, Disco ? lança-t-il vers la pénombre.

Il courut vers le couloir, son arme en joue. Il s’attendait à tomber nez à nez avec un mort vivant, mais tout ce qu’il trouva, ce fut un cul-de-sac. Les bruits de pas appartenaient au passé, à une époque où la base était encore occupée. Hawse reprit sa mission première, la bouteille de whisky cachée dans le conduit d’aération. Elle était exactement à l’endroit indiqué par la carte.

 

La base était complètement abandonnée, mais cela ne changeait rien pour eux. Ils montaient la garde et patrouillaient comme si le danger se cachait dans chaque salle. Ils étaient tous amis et refusaient d’être responsables du décès d’un de leurs coéquipiers. Ces derniers mois, ils avaient vu plus de morts vivants que de personnes vivantes. Ce n’était pas vraiment difficile à concevoir.

Au cours de leur dernier briefing, ils avaient appris qu’à l’intérieur des États-Unis les morts vivants étaient au nombre de deux cent quatre-vingt-quinze millions, et que ce nombre ne faisait que s’accroître chaque jour. Il y avait encore quelques survivants se terrant dans des greniers ou dans des caves dans le pays, mais très peu d’après les analystes. Leur nombre diminuait heure après heure, pour aller grossir les rangs de l’ennemi.

— Hawse, à quelle distance te trouves-tu de la salle du générateur ? transmit Doc.

— Euh, je dirais dix mètres.

— Tu penses que tu peux le faire redémarrer ?

— Ça dépend de la quantité de carburant dans le réservoir.

— Fais de ton mieux, mon pote. J’aurai besoin de courant.

— D’accord, je m’y mets.

Billy continuait de scruter les environs.

— Doc, t’as entendu ? demanda-t-il.

— Que dalle.

— Ces choses sont déjà en train de s’acharner sur la porte par laquelle on est entrés.

Putain, ils abandonnent jamais. Tu penses que certains d’entre eux sont radioactifs, Billy ?

— Un sur dix dans la région, selon nos renseignements.

Doc entendit sa radio crépiter.

— Le générateur sera bientôt en marche. Il ne reste qu’un huitième de carburant dans le réservoir, ceci dit. Vaudrait mieux le faire fonctionner que deux heures par jour, du moins jusqu’à ce qu’on en trouve plus, déclara Hawse.

— Entendu. Les marines nous ont laissé un schéma des environs et ont annoté les quelques zones dignes d’intérêt. Il va falloir qu’on ramène un camion-citerne, ou bien trouver un moyen de rapatrier du carburant ici.

Doc entendit Hawse activer le rupteur principal pour allumer le générateur. Le bruit traversa le couloir d’acier comme si Hawse était dans la pièce d’à côté.

Hawse se manifesta à nouveau :

— J’ai trouvé la procédure de démarrage, je commence la séquence.

La batterie devait encore contenir suffisamment d’électricité depuis l’évacuation car le générateur se mit en marche dès la première tentative. Une fumée âcre emplit la pièce jusqu’à ce que la pression positive entre en action et que les conduits d’aération aspirent les fumées d’échappement. Doc entendit le rupteur s’enclencher à nouveau.

— On est bons, Doc, hurla Hawse de l’autre bout du couloir.

— D’accord, je rallume l’ordinateur central.

Ils retournèrent tous dans la salle de contrôle et virent les systèmes informatiques revenir à la vie un par un.

Doc entama la procédure de trente minutes visant à réveiller la base par ordre de priorité. La mission serait un échec s’il ne parvenait pas à remettre en marche l’ordinateur central et à se connecter avec le porte-avions. Les quatre hommes avaient mémorisé tous les mots de passe. Ils les avaient également notés sur des calepins étanches pour être sûrs. Le système était synchronisé et crypté d’après la carte d’accès du précédent commandant. Doc retira la carte de sa pochette de protection et la regarda pour la première fois. Un lieutenant de la Navy ? On lui avait dit que le type était un commandant. Il avait entendu parler de promotions sur le tas, depuis que tout ceci avait commencé.

Il frotta la puce dorée au bas de la carte avec son pouce pour s’assurer qu’elle était bien propre puis l’inséra dans le lecteur. Un écran d’identification apparut, exigeant un code PIN. Doc l’avait mémorisé mais il consulta quand même ses notes pour être tranquille. Au bout d’un certain nombre d’erreurs, le système se bloquerait. Il tapa lentement 7270110727. Il entendit les systèmes d’identification s’activer. Le code fut accepté et les données concernant la mission commencèrent à s’afficher.

Même s’ils n’avaient pas besoin de la carte pour accéder à la majorité des fonctions de la base, elle donnait à l’équipe un accès total. Doc cliqua sur l’icône sécurité. Huit écrans de contrôle apparurent. Seuls cinq étaient opérationnels. Les écrans désignés comme SE, SILO et ENTRÉE B étaient noirs. Les autres semblaient en état de marche car il pouvait discerner des éléments du paysage et des barbelés. Doc cliqua sur l’icône pour faire basculer les caméras en mode vision nocturne, puis vision thermique. La caméra marquée ENTRÉE PRINCIPALE fonctionnait en mode vision nocturne mais pas en mode vision thermique.

Billy regarda sa montre.

— Chef, le soleil se lève dans deux heures. Il faut qu’on puisse communiquer.

— Disco, à toi de jouer. Je te surveillerai d’ici. Hawse, tu l’accompagnes. Personne ne sort du périmètre tout seul.

 

En tant qu’agent des communications, il incombait à Disco de récupérer la mallette renforcée dans la zone de largage et de la ramener à la base. Avant l’arrivée des macchabées, les équipes des forces spéciales utilisaient cette méthode pour implanter une station de communication en plein cœur des territoires ennemis. Quand elle était fermée, elle ressemblait à une valise renforcée classique. Quand elle était ouverte, la simple pression d’un bouton déployait une petite antenne à gain élevé et les capteurs d’énergie solaire situés à l’intérieur du couvercle se retrouvaient exposés. L’appareil de transmission se connectait à un ordinateur de la salle de contrôle de la base par le biais d’un signal Wi-Fi crypté. L’ordinateur était connecté à une antenne extérieure classique.

Lorsqu’il était correctement déployé, l’appareil était étanche, autonome et résistant. Il permettait des échanges sécurisés, de télégrammes ou de documents, avec les hauts gradés du porte-avions. Il offrait également une bonne protection contre les interférences radio car l’émetteur-récepteur changeait de fréquence dix fois par seconde. Conçu pour empêcher les tentatives d’interception des communications par les autres puissances mondiales, ce genre de mesures de sécurité était imparable et aurait dû être employé contre un ennemi plus civilisé et plus avancé technologiquement.

Hawse dépassa Disco dans le couloir et regarda pardessus son épaule.

— Je passe devant.

— J’espérais que tu dirais ça. Passe le bonjour à la bande de VRP à la porte.

— Merde, je les avais oubliés, ceux-là. J’ouvre, tu tires ?

— Ça me va. Ils devront te passer dessus avant de m’atteindre.

Ils approchèrent de l’entrée. Leurs chaussures résonnaient sur le sol carrelé. Le bruit était progressivement éclipsé par le vacarme produit par les morts vivants qui s’acharnaient sur la porte d’acier.

— On risque d’en baver.

— Je sais, monsieur « je passe devant ».

Hawse récapitula le plan avec sa folie coutumière.

— Très bien, je vais attacher cette corde autour du volant. Quand je ferai tourner le volant et que je tirerai la porte, tu commenceras à sulfater.

— Hawse, pourquoi est-ce qu’on n’y va pas dans l’obscurité ? Sans lumière, mais avec les lunettes ? Ils ne voient pas dans le noir, crétin.

— J’allais le dire. Ça va de soi.

— Bref, plus tôt on en aura fini, plus vite on sera rentrés. J’ai pas envie de traîner là-dehors dans le noir plus longtemps que nécessaire.

Ils éteignirent leurs lumières et remirent leurs lunettes. Dans les ténèbres, le vacarme produit par les grattements et les cris des créatures semblait plus assourdissant. Ces bruits faisaient concurrence à celui des chargeurs enclenchés, à la vérification des cartouches de pression, aux respirations haletantes et aux battements de cœur. Disco imaginait le mal absolu qui se tenait juste de l’autre côté de la barrière d’acier en ce moment. Il priait silencieusement pour que la porte tienne bon malgré tout.

Hawse attacha solidement la corde à la porte.

— Prêt ? cria Hawse.

— Vas-y !

Hawse fit tourner le volant et ouvrit la porte donnant sur un monde sauvage et impitoyable.