— Ils sont de retour, dit Hawse à Disco en empoignant son M4.
Même s’il était à peu près sûr qu’il s’agissait de Doc et Billy, il ne voulait prendre aucun risque. Pendant sa fuite de Washington, il avait vu des morts vivants ouvrir des portes et monter des escaliers.
Hawse était le seul agent spécial à s’être échappé de la capitale en vie. Il se rappelait ce jour comme si c’était hier.
Il dut se frayer un chemin à coups de fusil dans le périmètre de la Maison Blanche, repoussant des vagues de créatures pour permettre au vice-président et à la première dame d’atteindre l’hélicoptère. Il vida son chargeur depuis la porte latérale de Marine Two, juste avant que les morts ne détruisent les grilles de sécurité en fer noir et envahissent la Maison Blanche. Tout en survolant Washington en compagnie des derniers représentants de l’autorité américaine, il contemplait la capitale de la nation une dernière fois.
Les créatures ressemblaient à des asticots qui rampaient sur les voitures, s’introduisaient dans les maisons et se repaissaient du cadavre qu’était Washington. Des semaines avant que les créatures n’envahissent la Maison Blanche, la FEMA avait relevé le pont Woodrow Wilson et avait ordonné la destruction des autres moyens d’accès qui jalonnaient le Potomac, coupant la Virginie de la capitale et du Maryland. Malgré ces mesures drastiques, l’anomalie avait fini par traverser le Potomac. Des maisons cossues du nord de la Virginie aux ghettos du Maryland, les morts vivants régnaient sans partage. Adieu les républicains, les démocrates et tous ces groupes impuissants. Le parti des morts dirigeait l’Amérique désormais. Les habitants de la Virginie s’en sortaient mieux que ceux du Maryland ; à cause des lois draconiennes sur l’accès aux armes à feu votées avant l’anomalie, la population du Maryland avaient rapidement été décimée. Les morts déambulaient en toute impunité dans des zones soi-disant sans armes, les mêmes zones où, avant l’apparition de l’anomalie, les fous de la gâchette et les voyous pouvaient s’en prendre à une population qui n’avait plus les moyens de se défendre.
Doc et Billy avaient atteint la porte. Hawse sortit de sa rêverie.
Hawse tenait son fusil canon baissé tandis que le volant de la porte tournait de l’autre côté pour se mettre en position ouverte.
— C’est quoi le mot de passe ?
— Va te faire foutre, Hawse, répondit Doc, franchissant la porte menant au centre de contrôle.
— Bonne réponse, vous pouvez passer, dit Hawse avec un pitoyable accent britannique.
Hawse et Disco remarquèrent tous deux le matériel que rapportaient les deux agents.
— Alors ? C’était comment dehors ? Le soleil se lève dans une heure. On commençait à se demander si on n’allait pas devoir venir vous chercher, bande d’enfoirés.
— Toi aussi tu nous as manqué, vieille branche, répliqua Doc avec un faux accent tout aussi horrible.
Doc et Billy racontèrent aux deux autres ce qui leur était arrivé pendant le trajet vers la zone de largage, y compris la rivière de morts vivants d’un kilomètre et demi de long qui était passée sous eux, sous le pont.
— Vous avez dû changer vos couches après ça, les gars, dit Disco.
Billy n’était pas un bavard. Quand il s’exprimait, les autres l’écoutaient.
— Je n’en avais jamais vu autant au même endroit. C’était pire qu’à la Nouvelle-Orléans. Tu n’y étais pas, Disco. Tu n’as pas connu Hammer, on l’a perdu là-bas. Un bon agent. Un seul manquement aux consignes de silence et Doc et moi aurions rejoint la rivière à l’heure qu’il est, et on serait venus vous traquer.
Comme d’habitude, il n’y avait aucune trace d’émotion dans la voix de Billy, mais ses mots faisaient mouche.
— À quoi sert ce matériel ? demanda Disco pour changer de sujet.
Doc sortit la notice de la poche de son pantalon et la lança à Disco tout en commençant son explication.
— C’est un peu comme ces canons à mousse antiémeutes qu’on allait nous donner en Afghanistan avant que la situation dégénère. La seule différence, c’est que cette matière n’est pas juste collante, elle devient dure comme du béton en quelques secondes. Il y a un composé qui liquéfie la mousse, et le voici.
Doc leur montra une fiole contenant un liquide clair.
— Qu’est-ce qu’on va en faire ? demanda Hawse. Ce que je veux dire, c’est à quoi ça va nous servir ? En quoi c’est une meilleure arme que mon M4 ?
— Est-ce que ton M4 peut arrêter une centaine de ces saloperies en moins de dix secondes et les transformer en un mur de cadavres en béton ? rétorqua Doc.
— À condition qu’elle fonctionne. J’ai pas envie de me retrouver devant une horde et faire le premier tir d’essai, ajouta Hawse.
Billy baissa la tête pour vérifier les mécanismes de son M4.
— J’espère qu’on n’aura pas à s’en servir du tout. Je pense pas que ça aurait suffi à stopper la rivière qu’on a vue. Ralentie tout au plus.
Ces mots laissèrent Hawse pensif quelques secondes.
— C’est quoi le plan maintenant, Doc ? dit Disco. Si j’ai bien compris, il vous a fallu toute la nuit pour ramener un gadget dont on se servira peut-être jamais, sans compter que vous avez frôlé la mort.
— Peut-être bien, mais Billy et moi on a récupéré des données que nous allons tous devoir analyser. Dans les mallettes, il y avait des documents ainsi qu’une autre carte répertoriant les zones de largage, que nous allons pouvoir comparer à la nôtre. Là où je veux en venir, c’est que nous avons récupéré plus que ce gadget.
Doc sortit les documents d’une poche extérieure de son sac.
— Je n’ai pu que les survoler pour l’instant, mais regardez ça.
Doc montra du doigt une carte recouverte d’un plastique transparent sur laquelle figuraient toutes les zones de largage.
— Si on compare cette nouvelle carte à la nôtre, on voit pas mal de différences. Cette nouvelle carte indique quelques zones de largage en plus par rapport à celle qu’on nous a confiée avant de sauter. Un certain nombre de ces zones ont l’air de se trouver dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres, principalement au nord de l’Hôtel 23. Disco et Billy, informez l’USS George Washington de notre situation. Il ne nous reste que quelques minutes avant le lever du soleil. À vous de jouer.
— C’est toi le chef, chef, dit Hawse.
Hawse et Billy s’éloignèrent et se dirigèrent vers la console radio à télécommunication satellite pour envoyer un bref rapport sur la mission effectuée.
Doc poursuivit :
— Bien, si on regarde la date à laquelle ces cartes ont été établies, on se rend compte que le matériel que nous avons récupéré cette nuit a été largué juste avant que l’Hôtel 23 ne subisse l’attaque sonore. Le mystère demeure : pourquoi l’organisation qui a fait converger une horde sur l’Hôtel 23 a-t-elle largué une arme expérimentale qui pourrait être efficace, au moins à court terme, contre une horde ?
— Je ne sais pas si nous le saurons un jour ou si c’est vraiment important à l’heure actuelle, dit Hawse en posant la carte sur le bureau.
— Ça n’est peut-être pas important, mais ces cartes peuvent nous fournir des indications. Les largages semblent se produire au même moment de la journée à chaque fois. Si l’engin qui largue ce matériel s’envole du même aéroport, à la même heure, à chaque sortie, on pourrait découvrir d’où il décolle, avec une marge d’erreur de quelques centaines de kilomètres, en utilisant des notions de mathématiques de base, une carte des États-Unis et une règle.
— On a transmis le rapport, chef, dit Disco.
— C’était rapide.
— Ben, je me suis contenté du strict minimum. De toute façon, ils vont poser des dizaines de questions, quelle que soit la longueur de mes messages. Autant envoyer le minimum et attendre l’avalanche de questions. J’ai coupé le circuit ceci dit. Je n’ai pas envie qu’une tempête électromagnétique révèle notre position.
— Bien vu, dit Doc. On a eu du bol jusqu’à présent, mais mieux vaut ne pas trop tenter le diable. Notre prochaine mission consiste à vérifier l’état de l’ogive nucléaire, lancer le programme de diagnostic et nous tenir prêts à recevoir les nouvelles coordonnées. Pas la peine de me demander, je ne les connais pas.
— Et si ça se trouve aux États-Unis ? demanda Hawse, la mine grave.
— Tout dépend de la cible. J’espère que ça ne sera pas le cas, mais quoi qu’il arrive, on avisera le moment venu.
Hawse repensa pendant quelques secondes à la Constitution des États-Unis, dans sa vitrine d’exposition blindée en plein cœur de Washington, cernée par les morts vivants.